DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN ET YANGYU ZHANG – Chapitre 18 : Film/Catastrophe

Posté le 6 avril 2020 par

Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang présentent dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ils évoquent ici Fukushima 50 (2020) de Wakamatsu Setsuro.

Comment  traiter de ce qu’on croyait, ou espérait être, le seul désastre naturel de cette ampleur à s’abattre sur le Japon du 21è siècle en s’appuyant sur une idée de mise-en-scène qui accomplit la rencontre d’une esthétique télé japonaise et d’une ambition à la Irwin Allen ? Fukushima 50 tente de montrer ce qui s’est passé à l’intérieur de la centrale nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011 : comment 50 employés arrivèrent à éviter une catastrophe nucléaire encore plus dévastatrice, à partir de nombreux témoignages livrés à l’auteur Kadota Ryusho. Rappelons que le 11 mars fut le jour du tremblement de terre de Tohoku, du tsunami qu’il entraîna, et de l’explosion de réacteurs atomiques.

La première demie-heure semble annoncer une ambition qui, faute d’originalité, a ce mérite de s’inscrire dans la lignée du Shin Godzilla de Anno Hideaki, et la série HBO Chernobyl de Craig Mazin et Johan Renck. Rapidement, le film met en place le manque d’expérience du nouveau gouvernement Minshuto, le parti d’opposition. Scènes après scènes, le film souligne les tergiversations incompétentes des ministres, comme chez Anno, tandis que les premières séquences dans la centrale annonçant l’ampleur de l’enjeu ressemblent à celles d’une douleur indicible de Chernobyl, lorsque des travailleurs tentent de réduire la pression qui s’élève dans les réacteurs. L’absence flagrante de scénarios d’urgence plonge peu à peu le récit, et le film, dans un abîme qui est à peine nommée : les constats rapides de sécurité sur l’état de ces réacteurs qui furent effectués par la grande entreprise d’énergie TEPCO.

Il faudra ainsi qu’une figure émerge à travers ce chaos, capable de tenir tête au gouvernement et de donner foi à son équipe. Yoshida Masao (joué par Watanabe Ken) devient cet emblème du travailleur japonais qui, dos au mur, désobéit d’intelligence et refuse les consignes de l’Etat. Les dirigeants craignaient que les réacteurs allaient être irrécupérables si l’on continuait de les refroidir avec de l’eau de mer. Yoshida persiste et sauve le Japon du Tohoku à Tokyo.

Une fois ce cadre rempli, Fukushima 50 prend une autre tournure et devient un véritable film contemporain japonais, c’est-à-dire une feuilleton télé sentimental qui enchaîne les scènes de larmes parmi les employés, leurs familles à l’extérieur, et un politicien ou deux mesurant ce que Fukushima deviendra. On croise même l’acteur Dankan, ancien de chez Kitano (Jugatsu, Getting Any) reconverti aux feuilletons depuis, dans le rôle d’un journaliste de cette région, sur place à Tokyo, implorant les responsables de répondre. Le réalisateur Wakamatsu Setsuro, un vétéran de la télévision, livre une mise-en-scène épuisée après ces premières trente minutes, et cherche à montrer le courage et la propension au sacrifice de la plupart des hommes de Yoshida à travers une suite de plans de leurs familles qui imposent une empathie alors qu’elle est gagnée d’emblée. Wakamatsu, dans sa critique du gouvernement Minshuto, évoque tout au long du film le refus de l’Etat japonais à accepter une aide internationale (le gouvernement suivant, du Jiminto, avec ses milliers de litres d’eau contaminée à gérer, poursuivra cette logique) et le réalisateur reprend, comme Anno, cette paresse de faire un casting local d’étrangers, recrée des bulletins d’informations criblés d’erreurs de langage… L’Amérique se fait particulièrement insistante et inquiète à travers son ambassadeur et un officier responsables de bases militaires américaines au Japon, qui avait passé son enfance à…Fukushima. La fin du film voit une flotte d’hélicoptères, façon Coppola, s’envoler vers la zone sinistrée pour y livrer des bouteilles d’eau et la population les accueille comme il se doit ; voici les vrais amis de l’archipel.

Lors de la projection de presse, le Japon n’avait pas encore pris de décision pour les JO de 2020, ni donné de consignes de confinement. Seul un paquebot de croisière inquiétait la population. Des masques étaient offerts à chaque membre de la presse, le port obligatoire. Fukushima 50, une production Kadokawa, est en salle en ce moment à Tokyo, aujourd’hui plus anxieuse. En 2011, l’Amérique était néanmoins celle d’un autre président.

Stephen Sarrazin.

La pensée féministe n’a pas toujours insisté sur le devoir de repérer un enjeu féministe dans toute chose que nous croisons au quotidien, ni au contraire de l’éviter. Ainsi, on ne peut s’empêcher de remarquer l’ampleur du déséquilibre de genre chez les travailleurs croisés dans ce film, où nous voyons des centaines d’hommes œuvrant dans différents départements et une seule femme. Dès la première scène avec les premières secousses du tremblement de terre, le film signale la redondance professionnelle de son rôle qui consiste à demander à chaque collègue s’échappant d’un bâtiment ‘est ce que ça va ?’, plutôt que d’indiquer le trajet d’évacuation ou de leur tendre les boîtes de rations et autres produits d’urgence. Elle ne fait que répéter cette phrase. Au cours des heures qui suivront, cette seule femme à partager ce cadre, où tous les hommes sont des spécialistes, qui s’arrêteraient sur le champ lors d’un appel important ou d’une querelle interne, n’a vraisemblablement aucune profession précise ; elle est dans le plan afin de réconforter ses collègues masculins, nettoyer les toilettes, et en tant que femme qui a passé la quarantaine, encore ‘jolie, touchante’, devient à la fois nourrice, femme de ménage, une amante possible, une mascotte. Il va sans dire que le département de Ressources Humaines chez TEPCO a beaucoup à faire et apprendre pour corriger son image, professionnelle et sociale.

Yangyu Zhang.

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