DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – Chapitre 9 : L’Enfance Dehors

Posté le 13 novembre 2018 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ce mois-ci, il nous livre une réflexion autour de Miraï, ma petite sœur de  Hosoda Mamoru, avant sa sortie dans les salles françaises le 26 décembre prochain.

Mirai no Mirai, dernier long-métrage de Hosoda Mamoru, raconte l’histoire d’un garçon de 4 ans, Kun, qui découvre combien il incarnait le centre de l’univers de ses parents lorsqu’il saisit ce que représente l’arrivée de sa sœur : affront, déplacement, désir de fugue, sentiment de rejet. Il n’est plus l’astre qui signe l’orbite de la famille. Et Kun hurle au monde et à ceux qui veulent l’entendre sa colère et son indignation (par la voix presque irritante de Kamishiraishi Moka, une actrice de 18 ans). Dans Ponyo sur la falaise, Miyazaki Hayao offrait à Shun, garçon doux et discret, une complice venue de la mer. Hosoda ne cesse de jouer avec des codes semblables, le fantastique intime et complice à la portée de la main, trope qui traverse l’univers de Ghibli et de Hosada. Cette fois il renoue avec les jeux de temps qui lui avaient servi autrefois (1). Mirai, petite sœur de Kun, lui rend visite dans un jardin secret. Elle vient du futur afin de le rassurer. Et pour livrer quel message, celui de son prochain statut d’aîné, que les carrières à sa portée, au Japon, dépasseront celles de sa sœur (2) ? Hosoda mène une œuvre occupée à tisser des liens avec des forces du possible qui confère à ses films, comme ceux de Miyazaki depuis le début, une dimension animiste. Des liens, pour reprendre la formule de Donna Haraway (3), avec ce qui est humain et ce qui ne l’est pas, soulignant un engagement environnemental auprès de toutes les espèces (les deux précédents films de Hosoda, Les Enfants loups et Le Garçon et la Bête en sont déjà des manifestes).

A cela répondent les films de Kore-eda Hirokazu, assemblage de familles impossibles (Still Walking, Tel père tel fils) ou invisibles (Nobody Knows, Une Affaire de famille), évoquant Le petit Garçon d’Oshima Nagisa, ou Kikujiro de Kitano Takeshi. Des familles fracturées et d’autres que le pays refuse de reconnaître.

A l’heure où les taux de natalité au Japon chutent d’une année à l’autre, le cinéma de Kore-eda se reconnaîtrait dans l’autre versant de la démarche de Haraway, lorsqu’elle milite pour une écologie des naissances, d’être pour l’enfant plutôt que pronataliste (4). Ce qui ne signifie en rien que le cinéma japonais se penserait selon la démarche de la philosophe.

Néanmoins, un pan du la production contemporaine s’ouvre à cette lecture, à cette filiation, bien qu’une part importante des réalisations japonaises s’acharne à mettre en scène des personnages qui dans leur jeunesse craignent de vieillir et les autres qui refusent d’admettre que cela a eu lieu (le modèle des émissions de variétés qui hante depuis plus d’une décennie le cinéma japonais). S’ajoute à cela l’oubli des personnages déjà cités, celui du garçon joué par Abe Tetsuo, acteur du film d’Oshima, ou celui de Kikujiro, et son interprète Sekiguchi Yusuke, ou enfin Yagira Yuya, acteur primé à Cannes pour Nobody Knows de Kore-eda. Matsuoka Mayu, la lycéenne qui se prostitue pour subvenir à sa ‘famille’ dans Une Affaire de famille (version habitée, incarnée, de celle de Miike Takashi dans Visitor Q), est ambassadrice de l’édition 2018 du Tokyo International Film Festival. Un destin semblable pour Sasaki Miyu, qui tenait le rôle de Yuri, la petite fille rendue à la mère qui n’en veut plus une fois les caméras parties ?

Notes :

(1) La Traversée du Temps (2006)

(2) Lorsque Abe Shinzo dévoilait son nouveau gouvernement le printemps dernier, une seule femme y figurait en tant que ministre… de l’égalité des genres, Katayama Satsuki. M.Abe eut cette phrase ‘elle vaut trois femmes’.

(3) Voir Donna Haraway, Staying with the Trouble : Making Kin in the Chtulucene, Duke University Press, 2016.

(4) Contrairement à la France, les familles Japonaises bénéficient de peu d’aides du gouvernement. Gosses de Tokyo serait encore possible. En région, le vide.

Stephen Sarrazin.

À lire tous les seconds mardis du mois sur East Asia

DC Mini : un appareil à sonder les rêves des personnages du film Paprika, de Kon Satoshi, adapté du roman de Tsutsui Yasutaka.

Troisième chronique Japon pour un site consacré au cinéma : la première, No-Otaku, remonte au tournant du millénaire, pour Objectif Cinéma, que menait Bernard Payen de la Cinémathèque Française, la seconde, SoOtaku, plus conséquente, fut pour les Cahiers du Cinéma, avec le concours de Laurent Laborie et Jean-Michel Frodon. Enfin, celle-ci pour East Asia, avec Victor Lopez. Une chronique pour aborder ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus.

À cet égard, Kon Satoshi, qui a réalisé une œuvre sans faute, faite de strates, incarne un des derniers grands rêves du cinéma japonais, profondément lié à l’histoire de cette cinématographie (Millenium Actress) mais aussi à ce qui créait fractures et autres tremblements dans le Japon contemporain (Perfect Blue, Paprika, Paranoia Agent, Tokyo Godafathers).

Une oeuvre toujours à proximité. Une parenthèse pour souligner une complicité qui remonte au moment de la sortie au Japon de Perfect Blue, que je signalais à un collègue qui programmait la sélection asiatique d’un festival canadien. Le film fut récompensé, et je découvrais par ailleurs que Ikumi Masahiro, qui avait composé la musique du film, était déjà un ami de Tokyo. Un premier entretien pour HK Extrême Orient eut lieu, et par la suite, Kon Satoshi et moi nous discutions en amont de chacune de ses sorties, souvent dans son studio. Affiches et livres dédicacés, scellées.

Cette chronique accompagne le moment où j’exhumais l’affiche de Paprika, suite à une conférence donnée à Edinburgh.

Stephen Sarrazin.

À lire aussi :

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 1 : Unforgiven (sur Dans un recoin de ce monde)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 2 : Dimmer (sur Vers la lumière)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 3 : « Là où c’était, je n’en décollerai plus » (The Exhibition of Shinkai Makoto)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 4 : « Le temps retrouvé » (Entretien avec Sakamoto Ryuichi et Takatani Shiro)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 5 : Osugi Ren, last man standing

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 6 : Festival des ex, les aléas de Tokyo Filmex

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 7 : One Vision, lorsqu’il n’y a qu’un regard « Wowowowo gimme one vision »

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