DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – Chapitre 8 : Asako I&II de Hamaguchi Ryusuke – Alors qu’une seule aurait suffit

Posté le 11 septembre 2018 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ce mois-ci, retour sur le dernier film du réalisateur de Senses, présenté en compétition à Cannes en attendant sa sortie française en janvier 2019.

L’autre film japonais en compétition à Cannes cette année, Asako I&II, signé par le réalisateur de Happy Hour, s’emploie à incarner ce rêve du Japon auquel les personnages de Shoplifters de Kore-eda Hirokazu (Palme d’or) ne croient plus. Plutôt deux fois qu’une chez Hamaguchi, le bonheur vient vous surprendre y compris lorsqu’on vous le retire, ce tourment qui hante l’œuvre de Kore-eda.

Asako (Karata Erika, une révélation qui emprunte à Matsu Takako dans le April Story de Iwai Shunji) croise Baku lors d’une exposition de photos. Coup de foudre immédiat pour le jeune homme, à la fois DJ, détaché et pourtant protecteur, incarnation bohème d’une marge douce. Premier baiser, accident de moto, étreintes et disparition de Baku qui réapparaît à la fin du récit, devenu entre-temps top model et star de pubs.

Le temps passe comme chez Shinkai Makoto et porte avec lui les séquelles romantiques qui brusquent le récit à trouver une solution. Asako travaille désormais dans un petit café élégant qui compte une entreprise de saké parmi ses clients. Elle y croise Ryohei, qui arrive d’Osaka, sosie de Baku (les deux sont joués par Higashide Masahiro). Après une suite de faux départs (Asako indécise), leur relation est scellée le 11 mars 2011, jour du séisme de Tohoku. Jusqu’au retour de Baku.

Sorte de Vertigo sans risque, de road movie sommeillante en voiture entre Tokyo, Sendai et Osaka, où cette fois une jeune femme retrouve sur son chemin l’autre même, Asako I&II évoque des thèmes chers au cinéma japonais des années 90, notamment celui du binôme du destin masculin, auquel Hamaguchi évite cette fois de déborder vers une surenchère virile. On pensera aux lycéens de Kids Return de Kitano Takeshi,  pris entre boxe et yakuza, ou plus encore au Kintaro Salaryman de Miike Takashi dans lequel un employé de bureau est sommé de redevenir un ancien chef bosozoku. Hamaguchi offre à Asako le choix entre deux idéaux contemporains, celui qui a réussi en entreprise, et celui qui devint une célébrité. Occasion pour le cinéaste de signaler à la profession, après la fresque irrésolue qu’est Happy Hour, qu’il sait signer des productions formatées. Un film qui s’appuie trop sur des raccords ‘chat’.

Stephen Sarrazin.

À lire tous les seconds mardis du mois sur East Asia

DC Mini : un appareil à sonder les rêves des personnages du film Paprika, de Kon Satoshi, adapté du roman de Tsutsui Yasutaka.

Troisième chronique Japon pour un site consacré au cinéma : la première, No-Otaku, remonte au tournant du millénaire, pour Objectif Cinéma, que menait Bernard Payen de la Cinémathèque Française, la seconde, SoOtaku, plus conséquente, fut pour les Cahiers du Cinéma, avec le concours de Laurent Laborie et Jean-Michel Frodon. Enfin, celle-ci pour East Asia, avec Victor Lopez. Une chronique pour aborder ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus.

À cet égard, Kon Satoshi, qui a réalisé une œuvre sans faute, faite de strates, incarne un des derniers grands rêves du cinéma japonais, profondément lié à l’histoire de cette cinématographie (Millenium Actress) mais aussi à ce qui créait fractures et autres tremblements dans le Japon contemporain (Perfect Blue, Paprika, Paranoia Agent, Tokyo Godafathers).

Une oeuvre toujours à proximité. Une parenthèse pour souligner une complicité qui remonte au moment de la sortie au Japon de Perfect Blue, que je signalais à un collègue qui programmait la sélection asiatique d’un festival canadien. Le film fut récompensé, et je découvrais par ailleurs que Ikumi Masahiro, qui avait composé la musique du film, était déjà un ami de Tokyo. Un premier entretien pour HK Extrême Orient eut lieu, et par la suite, Kon Satoshi et moi nous discutions en amont de chacune de ses sorties, souvent dans son studio. Affiches et livres dédicacés, scellées.

Cette chronique accompagne le moment où j’exhumais l’affiche de Paprika, suite à une conférence donnée à Edinburgh.

Stephen Sarrazin.

À lire aussi :

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 1 : Unforgiven (sur Dans un recoin de ce monde)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 2 : Dimmer (sur Vers la lumière)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 3 : « Là où c’était, je n’en décollerai plus » (The Exhibition of Shinkai Makoto)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 4 : « Le temps retrouvé » (Entretien avec Sakamoto Ryuichi et Takatani Shiro)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 5 : Osugi Ren, last man standing

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 6 : Festival des ex, les aléas de Tokyo Filmex

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 7 : One Vision, lorsqu’il n’y a qu’un regard « Wowowowo gimme one vision »

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