DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 2 : Dimmer (sur Vers la lumière)

Posté le 13 février 2018 par

Tous les seconds mardis du mois, Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ce mois-ci, retour sur l’évolution du cinéma de Kawase Naomi à la lumière de son dernier film.

Production franco-japonaise, en attendant le suivant avec Juliette Binoche, couronné du Prix Œcuménique lors du dernier Festival de Cannes, Vers la lumière de Kawase Naomi poursuit cette nouvelle veine de films ‘gentils’ entamée avec Les Délices de Tokyo, dans lequel on retrouvait déjà Nagase Masatoshi, qui tient cette fois le rôle d’un photographe célèbre, Nakamori Masaya, qui chaque jour perd un peu plus de sa vision. La cinéaste reste ainsi fidèle à ce thème de la perte qui dévore chacun de ses films.

Pour occuper ses journées, Nakamori participe à un atelier d’évaluation d’accompagnement narratif de films, conçu pour les non-voyants. Ses membres commentent le travail de la jeune auteure Misako Ozaki (Misaki Ayame) qui a écrit les descriptions de plans et de scènes. Et certains d’entre eux, à commencer par le photographe, ne l’entendent pas de cette façon. Le film qu’elle raconte tourne autour des derniers jours d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer et du mari sculpteur qui l’accompagne avec passion jusqu’à la fin. Il se déroule au bord de la mer, et ceux qui en écoutent le récit déplorent le déséquilibre subjectif d’Ozaki lorsqu’elle attribue des sentiments aux visages du couple, ou encore aux changements de lumière, de climat qui traversent les plans.

Une parole qui réveille le photographe, son plus sévère critique, qui s’éprend d’elle. Kawase accumule dès lors les signes qui font de son scénario une prémisse de feuilleton japonais auquel Vers la lumière emprunte les archétypes de rebondissements. Sur une musique d’Ibrahim Maalouf, qui surprend en évoquant les plages de piano qu’on associe à l’œuvre de Shunji Iwai (Love Letter, April Story, Hanna & Alice), nous découvrons, lors de plans élégiaques de drone tournés hors de la ville, que la mère d’Ozaki souffre également d’Alzheimer. Sa mère parvient encore à préserver quelques images de son mari, disparu, sur fond de crépuscule chatoyant. La jeune femme se tourne vers le cinéaste, qui tient aussi le rôle du mari sculpteur, pour qu’il lui parle de son lien à cette mémoire qui faillit. Ce dernier est joué par Fuji Tatsuya, toujours digne et insaisissable, qui se fond dans la foule après avoir livré quelques réflexions mièvres, à l’image de cette scène du film dans le film, lorsque le mari sculpte sa femme pour la dernière fois : une statue de sable que le vent et la mer s’emploient à effacer de l’image.

A cette scène vient répondre le noir qui habille et occupe le photographe, qui au début du film arrivait encore, de près et selon les angles, à discerner le contenu d’une photo. A la fin du film, il n’y voit plus rien, ou plutôt, il ne verra que la jeune femme qui s’apprête à venir vers lui avant qu’il ne l’arrête, ‘Je viens vers toi.’ annonce-t-il. Moment Sirkien dans un film qui ne brûle de rien malgré son titre.

Cette Radiance (ndlr – le titre international du film) est le nom donné à une prestigieuse revue de photo ; Nakamori retrouve ses collègues photographes lors d’un dîner et l’un d’eux annonce qu’il vient de faire la couverture, une banale photo de mode à des lumières, devine-t-on, de la grâce des images de Nakamori. Ce jeune photographe tentera par ailleurs de voler l’apapreil photo du maître, celui qui contient les dernières photos prises avant de ne plus rien y voir.

La fadeur du propos du film prête au titre une ironie imprévue. Et pourtant le film arrive à briller par la présence de l’actrice Misaki Ayame, la plus belle découverte du cinéma japonais depuis Aoi Yu (par Iwai Shunji). Une talento qui ne faisait rien de remarquable est transformée par Kawase, comme Iwai l’avait fait autrefois avec Nakayama Miho et Matsu Takako ; il en avait fait des actrices.

Kawase ne livre pas un grand film mais aura révélé une comédienne aimée du médium.

Stephen Sarrazin.

  • Le titre dimmer est le mot anglais pour variateur de lumière.

Vers la lumière de Kawase Naomi. Japon. 2017. En salles le 03/01/2018. 

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin

À lire tous les seconds mardis du mois sur East Asia

DC Mini : un appareil à sonder les rêves des personnages du film Paprika, de Kon Satoshi, adapté du roman de Tsutsui Yasutaka.

Troisième chronique Japon pour un site consacré au cinéma : la première, No-Otaku, remonte au tournant du millénaire, pour Objectif Cinéma, que menait Bernard Payen de la Cinémathèque Française, la seconde, SoOtaku, plus conséquente, fut pour les Cahiers du Cinéma, avec le concours de Laurent Laborie et Jean-Michel Frodon. Enfin, celle-ci pour East Asia, avec Victor Lopez. Une chronique pour aborder ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus.

À cet égard, Kon Satoshi, qui a réalisé une œuvre sans faute, faite de strates, incarne un des derniers grands rêves du cinéma japonais, profondément lié à l’histoire de cette cinématographie (Millenium Actress) mais aussi à ce qui créait fractures et autres tremblements dans le Japon contemporain (Perfect Blue, Paprika, Paranoia Agent, Tokyo Godafathers).

Une oeuvre toujours à proximité. Une parenthèse pour souligner une complicité qui remonte au moment de la sortie au Japon de Perfect Blue, que je signalais à un collègue qui programmait la sélection asiatique d’un festival canadien. Le film fut récompensé, et je découvrais par ailleurs que Ikumi Masahiro, qui avait composé la musique du film, était déjà un ami de Tokyo. Un premier entretien pour HK Extrême Orient eut lieu, et par la suite, Kon Satoshi et moi nous discutions en amont de chacune de ses sorties, souvent dans son studio. Affiches et livres dédicacés, scellées.

Cette chronique accompagne le moment où j’exhumais l’affiche de Paprika, suite à une conférence donnée à Edinburgh.

Stephen Sarrazin.

À lire aussi :

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 1 : Unforgiven (sur Dans un recoin de ce monde)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 2 : Dimmer (sur Vers la lumière)

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 3 : « Là où c’était, je n’en décollerai plus » (The Exhibition of Shinkai Makoto)

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DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 5 : Osugi Ren, last man standing

DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 6 : Festival des ex, les aléas de Tokyo Filmex

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