DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – Chapitre 10 : Le Fermier Samurai

Posté le 25 décembre 2018 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ce mois-ci, il revient sur Killing, le dernier film de Tsukamoto Shinya.

Il y a une volonté inaltérable en France de croire au cinéma japonais, un engagement qui aura révélé ses plus importants cinéastes contemporains depuis plus d’un quart de siècle, y compris celui de faire le pas au-delà de la diffusion, de la distribution. La France accompagne et produit désormais les cinéastes qu’elle adoubait auparavant à Cannes.

Tsukamoto Shinya, qui connut un engouement parisien au début des années 90, est un cinéaste de Venise. Si ses films figurent toujours au programme de divers festivals français, son œuvre récente demeure plus confidentielle. Pourtant sa démarche reste la même : Tsukamoto se trouve encore à la tête de sa petite maison de production Kaijyu Theater, et fait l’acteur chez les autres cinéastes (de Miike Takashi à Anno Hideaki ou Martin Scorsese) afin d’investir ses cachets dans ses films. Si ses premiers films, monuments de la culture cyberpunk, écrivaient les chapitres d’une histoire des ‘sub-cultures’ de Tokyo, les derniers se sont tournés vers celle plus large du Japon, dans lesquels il dénonce les appels à la guerre, l’envie des conflits. Après Nobi (2014), son remake du film anti-militariste de Ichikawa Kon (lire ici), Tsukamoto signe un scénario original avec Killing (Zan), dans lequel on retrouve un jeune rônin, Mokunoshin (Ikematsu Sosuke) qui travaille aux côtés de fermiers. Il s’entraîne néanmoins chaque jour avec le fils d’un de ceux-ci, sous l’œil de Yu (Aoi Yu) qui se laisse s’éprendre de lui, qui le frôle d’une scène à l’autre. Il fait également l’objet du regard d’un samouraï, Sawamura Jirozaemon (Tsukamoto Shinya), qui recrute des sabreurs afin de s’engager dans une possible guerre civile pour combattre les forces navales américaines de Perry, venues presser le Japon de s’ouvrir au commerce étranger. Premier jidai geki de Tsukamoto, Killing puise à la fois dans l’histoire noble du genre, et celle de son versant ‘pop’ avec le chambara. Le personnage de Sawamura qui recrute des hommes prêts à lever le sabre pour défendre une cause rappellera Les Sept Samouraïs de Kurosawa, tandis que la seule séquence de carnage du film oscille entre les Lady Snowblood et Baby Cart. Celle-ci marque d’emblée la fin de chaque projet nourri par chacun des personnages. Elle démarre avec l’arrivée d’une autre bande de rônins qui campe à proximité de la ferme. Le jeune fermier, adversaire de Mokunoshin, devient la première victime lorsqu’il tente de les disperser. Mokunoshin, qui veut le venger, découvre ensuite la mesure de son impuissance (que Tsukamoto avait déjà suggéré avec quelques scènes lorsque Yu s’approche trop du jeune samouraï ; ce dernier s’éloigne afin de se prouver qu’il est encore capable d’une érection). Incapable de lever le sabre, témoin du viol de Yu qui voulait voir son frère vengé, il ne reste que Sawamura pour agir.

Le cinéaste expliquait en conférence de presse à Tokyo s’être entraîné avec un maître de sabre, dont la collaboration remonte à Hiruko the Goblin (1991). Cette séquence arrive à anéantir les récits possibles annoncés dans la première partie du film, mais ne détourne pas le personnage de Tsukamoto, qui navigue entre sage et virtuose, de sa mission. Il a besoin d’hommes et refuse de laisser Mokunoshin s’échapper. Fidèle aux codes du genre, le film se termine par un duel.

Killing élève Tsukamoto Shinya à un autre niveau, et compte parmi les films japonais les plus accomplis depuis une dizaine d’années, de loin le plus réussi dans la mesure où il signale à la fois un tournant et une nouvelle maturité de l’œuvre, que ses pairs peinent à trouver. Fidèle aux durées courtes, avec une séquence d’ouverture qui signe le film (un marteau qui frappe une épée sur une enclume, ce son de métal qui caractérise l’univers du cinéaste),  Killing impose peu à peu un autre rythme, fait de faux départs, d’instants interrompus, de pulsions en panne (autre thème cher au cinéma de Tsukamoto), que vient résoudre Sawamura, laissant entendre en avoir assez de ce Japon qu’il croit trop indécis et vacillant. Il offre aussi l’occasion à l’immense actrice Aoi Yu d’érotiser autrement son jeu. Découverte par Iwai Shunji au tournant du siècle, cette actrice a aujourd’hui dépassé la trentaine et offre au film le soin de la mettre à jour. Tsukamoto a créé avec Sawamura l’un de ses plus personnages les plus singuliers depuis Tetsuo, qu’on souhaiterait également voir faire l’objet d’une série, d’une ampleur moindre que Zatoichi mais tout au moins une trilogie.

Tsukamoto n’a pas réinventé le jidai geki, il l’a ramené au sein du cinéma japonais.

Stephen Sarrazin.

Killing de Tsukamoto Shinya. Japon. 2018.

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