DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN ET YANGYU ZHANG – Chapitre 15 : TIFF 2019 Une décennie qui s’étire à/vers sa fin

Posté le 26 novembre 2019 par

Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang présentent dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ils se penchent ici sur la sélection 2019 du Tokyo International Film Festival, dominé par un film : i: Documentary of the Journalist de Mori Tatsuya. Par Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang.

L’édition 2019 du Tokyo International Film Festival s’inscrira dans l’histoire de cette manifestation. Le jury du prix ‘Japanese Splash’ a récompensé un film qui mérite d’être retenu, i: Documentary of the Journalist de Mori Tatsuya, déjà célèbre pour les sujets qu’il avait consacré à la secte Aum (A, A2), aux désastres du 11 mars 2011 (311), et au compositeur Samuragochi Mamoru, ce faux Beethoven qui se prétendait sourd et qui n’écrivait pas sa musique, mis à jour en 2014 (Fake).

Son dernier film se tourne vers la journaliste du Tokyo Shimbun, Mochizuki Isoko, dont le livre avait l’objet d’une adaptation à succès l’été dernier, The Journalist, réalisé par Fujii Michihito. Mori colle aux semelles de Mochizuki, témoignant de sa hargne à ne pas démordre des scandales politiques au Japon, qui auraient fait tomber plus d’un gouvernement. Il est là avec son caméscope pendant qu’elle parcourt le pays de Tokyo à Osaka à Okinawa. Il tente également de l’accompagner lors d’échanges entre la journaliste et l’attaché de presse du gouvernement Abe, Suga Yoshihide, qui la réprimande officiellement à plus d’une reprise. Mori a travaillé avec la télévision japonaise plus de vingt ans, il en connaît les rouages, il s’est construit avec adresse un espace hors du système, mais dont il reste un voisin proche.

Le film s’ouvre sur une série de gros plans de Mochizuki, se rendant d’un lieu à l’autre d’Okinawa, à la recherche de ceux qui vont bénéficier de la construction d’une nouvelle base militaire américaine, et ne trouve personne. Elle affiche une énergie, une détermination derrière une immense fatigue, une maladresse (elle traîne trop de sacs avec elle) et se préoccupe peu de ce qu’elle avale. Cette première séquence nous montre un personnage quasi invulnérable et annonce un portrait qui naviguerait entre ses combats publics, les causes auxquelles elle se consacre, et ces moments lorsqu’elle se trouve dans un taxi, parlant à sa fille, révélant une autre dimension d’une femme devenue célèbre en faisant ce que tant d’autres n’osent plus, demander au gouvernement de rendre des comptes.

L’équilibre entre la volonté biographique et le projet politique du documentaire ne cesse de pencher d’un côté ou de l’autre pendant tout le film, cela vaut également pour celui entre une politique de la narration et celle de la société japonaise contemporaine. Nous retrouvons ici et là la journaliste en tant qu’individu, mère, une citoyenne accessible, chaleureuse, ce que Mori tient à souligner, tandis qu’à d’autres moments, notamment vers la fin du film, le réalisateur se sert de son sujet, se sert d’elle et son métier, afin d’exprimer ses propres opinions politiques. Celles-ci ne détonnent pas de celles de la journaliste, pourtant il n’hésite pas à la mettre de côté et occuper le champ ponctuellement pendant tout le film.  Il y arrive habilement par son montage, mais lorsque nous en venons à un rassemblement nationaliste, qui lui évoque quelques réflexions sur l’histoire de l’Europe, la parole est retirée de la femme, et Mori se livre à un désir de manifeste.

Le cinéaste a publié une vingtaine d’ouvrages sur la culture des médias au Japon, il est professeur à l’Université Meiji. Néanmoins, il se donne souvent le rôle, dans ses films, d’un membre du public qui n’y connaît ni n’y comprend rien. Dans 311, il partait dans une camionnette avec son producteur et un collègue journaliste vers Fukushima pour aller y filmer, au lendemain du désastre nucléaire. Un compteur geiger qui explose en chemin, un seul costume anti-radiation qu’il retire et jette en vitesse après avoir confirmé que la ville était bien déserte… le film devient une accumulation de choix à ne pas faire.

Avec i, nous sommes devant un Mori qui prétend ne pas savoir ‘comment faire’. Lorsque le conflit entre Mochizuki et Suga monte en puissance, Mori exprime le souhait auprès de la journaliste de pouvoir accéder aux conférences de presse. Vont suivre un enchaînement de séquences dispersées dans la seconde partie du film dans lesquelles nous voyons Mori demander conseil, Mori qui appelle les service de presse du gouvernement, Mori perplexe devant le formulaire à remplir, Mori qui explique aux policiers devant l’Assemblée qu’il est là pour les paysages…

En réponse aux frustrations partagées par la journaliste et le cinéaste, ce dernier assène le spectateur d’une séquence animée dans laquelle les deux héros tiennent tête à Suga, transformé en cerbère. L’animation surprend par la qualité de son trait plus gras, plus cru, plus près de ce que nous pouvions voir dans Kill Bill de Tarantino, ou dans Taste of Tea de Ishii Katsuhito, que d’un Shinkai Makoto. Mori se représente ici comme le seul combattant au côté de la journaliste. Auparavant, nous avions droit à un échange entre Mochizuki et le chef du parti communiste du Japon, qui affirme son soutien, ou d’autres rencontres avec d’anciens proches du gouvernement Abe, invités à tomber sur leurs sabres suite à des scandales, afin de ménager le Premier Ministre, ce qu’ils ne goûtent guère, s’empressant de dévoiler un devoir de victime désormais périmé. Retenons enfin, malgré tous ces plans où Mochizuki semble être la seule femme à non seulement se mesurer aux politiciens, mais être la seule grande journaliste à Tokyo. Aucun moment de parole féministe, de rencontres avec des collègues de sa profession, hormis une autre journaliste du Tokyo Shimbun qui accepte d’accompagner Mochizuki afin de la présenter lors d’une manifestation pour les droits des citoyens d’Okinawa.

Cette séquence animée non seulement alourdit le film mais précède de peu un épilogue dans lequel Mori commente en voix off une photo célèbre de femmes tondues dans les rues de Paris à la Libération. Nous attendons toujours une explication.

Ce documentaire, malgré ses failles, affiche une volonté de se mesurer aux images, aux médias, à l’effort d’amnésie qu’elles produisent au Japon. Cela vaut aussi pour cet autre documentaire controversé de Miki Dezaki, Shusenjo: The Main Battleground of the Comfort Women, qui a tenu six mois dans une salle à Tokyo, malgré les menaces et qui fit encore parler de lui récemment dans le cadre d’un modeste festival dans la ville de Kawasaki, qui allait le retirer de sa programmation. Kore-eda Hirokazu vint au secours du film.

Stephen Sarrazin & Yangyu Zhang

Otherwise

Quant aux autres prix, aux autres sélections du festival, il reste fidèle à lui-même. Signalons que Olivier Assayas remplit encore une salle, cette fois avec son Wasp Network. Marriage Story de Noah Baumbach a rappelé ce qu’était un scénario à un public échappant aux transpositions de mangas et feuilletons télé, et Seules les Bêtes de Dominik Moll remportait le prix du public, son interprète Nadia Tereszkiewicz  celui de meilleure actrice, Chaogtu with Sarula de Wang Rui, tourné en Mongolie, recevait celui de meilleure direction artistique. Obayashi Nobuhiko et Nakadai Tatsuya étaient récompensés du Lifetime Achievement Award. Un film, des brèves.

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