MUBI – Winter’s Night de Jang Woo-jin

Posté le 7 décembre 2021 par

Parmi la belle sélection Mubi coréenne de cette fin d’année 2021, le troisième long-métrage de Jang Woo-jin, Winter’s Night (2018), vient épouser la venue de l’hiver et de la neige, en un conte sentimental nocturne traversé par le temps qui passe.

Un couple visite le temple de Chuncheon dans lequel ils ont passé leur première nuit ensemble 30 ans auparavant. En chemin, l’un d’eux perd son téléphone et le cherche. Pendant la nuit, ils rencontrent tour à tour un ex-amant, un ami et un jeune couple identique à celui qu’ils formaient à l’époque.

Jang Woo-jin n’en est pas à premier coup d’essai concernant la mise en scène des saisons au cinéma. Son précédent film Autumn, Autumn, (2016) en témoignait déjà, et avait pour fil rouge le motif semble-t-il récurrent de l’évasion. La petite ville de Chuncheon, à l’Est de Séoul, apparaît également comme le centre névralgique des inspirations de l’auteur, au point que chaque métrage entretiendrait des liens étroits avec un autre. A Fresh Start (2014) mettait ainsi l’acteur Woo Ji-hyeon à l’honneur, retrouvé dans le suivant mentionné plus haut aux côtés de Lee Sang-hee, puis tous deux anonymement réunis une fois encore dans Winter’s Night (2018), bien qu’ils n’en forment pas le duo principal. De plus, la cinématographie coréenne ne nous a pas habitués à la représentation de couples de quinquagénaires, à ce moment précis de la vie où peut survenir une sorte de crise existentielle, bien loin de la jeunesse insouciante ou des séniors. C’est aussi en ce sens que Jang Woo-jin ne peut échapper à la comparaison avec Hong Sang-soo et Zhang Lu, tant les trois cinéastes cultivent l’errance et le doute amoureux sous la forme de drames minimalistes portés sur la nature des relations humaines. En revanche, Winter’s Night ne se refuse aucun moyen de styliser l’action, et adopte une démarche contraire au naturalisme esthétique, bien souvent de coutume dans l’intention de cette pratique de cinéma. L’ouvrage bénéficie notamment d’un fantastique travail photographique signé Yang Jeong-hun, qui teinte l’immaculé de la neige de couleurs bleues et orangées. La caméra accompagne l’amertume des protagonistes par de légers travellings et des plans fixes superbement composés, conférant au film une atmosphère flottante qui se conjugue à merveille à la nocturnité du cadre.

Investi d’une poétique du hasard, dans ce désert de glace où les visiteurs semblent à chacun leur tour s’échouer, Winter’s Night met avant tout en lumière les imperfections du couple moderne, sur plusieurs niveaux de lecture. Du manque de réciprocité aux regrets, jusqu’à l’inhabilité à s’ouvrir aux autres, Jang Woo-jin confronte de ce fait différents binômes – et modèles de couple – afin de réconcilier les êtres avec l’altérité en un lieu vierge dépourvu des habitudes du quotidien, mais chargé émotionnellement. Un récit à tiroirs, donc, mais dont l’un serait en quelque sorte le reflet atemporel de l’autre ; le couple de jeunes s’apparente ainsi à l’émanation mémorielle de ce que le couple principal était par le passé. Ce qui devait être un simple voyage en souvenir du bon vieux temps, prend une tournure mélancolique interrompue par la froideur de cette nuit d’hiver. Le programme attendu se fissure et laisse alors pénétrer l’autrefois dans l’instant, marqué par un verre de soju déclencheur de réminiscences, à l’image d’une tasse de thé chez Marcel Proust. Nuancer les registres permet au film de ne pas s’étirer en longueur et de susciter la curiosité sur les scènes à suivre, imprévisibles car volontairement rendues incohérentes par la succession des évènements. Un bien bel objet de déambulation qui se savoure comme une boisson chaude au coin du feu.

La sélection Mubi coréenne étant très riche ces derniers temps, il ne faudrait pas que Lee Chang-dong, entre autres, fasse de l’ombre à cette authentique promesse d’un moment suspendu dans l’hiver. Winter’s Night est disponible depuis le 15 novembre 2021, en espérant un jour voir débarquer les autres long-métrages de Jang Woo-jin sur la plateforme.

Richard Guerry.

Winter’s Night de Jang Woo-jin. Corée du Sud. 2018. Disponible sur Mubi.

Imprimer


Laissez un commentaire


*