Cannes 2014 – Vendredi 16 / Samedi 17 : Couplets Cannois

Posté le 18 mai 2014 par

Et oui ! Deux journées en un seul papier, parce qu’il faut tenir un rythme où les films n’attendent pas, tout comme les spectateurs se bousculant à l’entrée des salles, pressés d’être les premiers installés devant le grand écran. Passage en revue de deux films en Compétition Officielle, dont le premier film français de la sélection, Saint Laurent, ainsi que celui de Mathieu Amalric en section Un Certain regard. Enfin, notre premier film vu à La Semaine de la critique, qui n’est rien de moins qu’un bon petit film horrifique.

Le mariage chez Simenon est souvent le terreau de relations empoisonnées, dans certains cas littéralement, comme c’est le cas dans La chambre bleue, publié en 1964. Un couple d’amant est accusé d’avoir assassiné leur époux respectifs, par un enchaînement de non-dits laissant à chacun libre court à la passion meurtrière. Le cinéaste se donne le rôle principal, avec à ses côtés la co-scénariste du film et compagne dans la vie, Stéphanie Cléau, dans un film ramassé – à peine 1h16. Rarement on a vu une adaptation plus fidèle au style et à l’effet du romancier belge. La mise en scène méticuleuse, presque froide, et les distorsions entre voix-off /over et images instaurent toutes sortes de doutes : entre l’apparente culpabilité des personnages et leurs motivations secrètes, que faut-il croire ?

La Chambre BleueLa Chambre Bleue de Mathieu Amalric

Le texte original est apposé à une ville de province d’aujourd’hui, où la passion adultère reste toujours une belle affaire de commérages, laquelle s’expose très crument dans une scène de tribunal, où les témoins se succèdent à la barre pour persifler, mettant toujours plus au ban le couple de « monstres », dans un dernier tiers de film qui évoque beaucoup le cinéma de Claude Chabrol. Présenté à la section Un certain Regard, ce 6ème long-métrage prouve combien Amalric le cinéaste est précieux, même à cent lieux de la sensualité rieuse de Tournée. A l’opposé même, puisque ce film si clinique décortique des faits pour travailler une problématique chère à Simenon : comment peut-il être question de morale dès lors qu’il existe la passion ?

Dans le 7ème long-métrage de Nuri Bilge Ceylan, 4ème présenté en compétition cannoise (et 4ème primé selon nous), la morale est l’argument massue du personnage principal, qui, lorsqu’il est en proie à une difficulté rhétorique, invoque toujours le haut de l’esprit. Lui est un riche héritier et ancien acteur de cinéma vivant en Anatolie, avec une épouse plus belle et plus jeune que lui. Fort de ses 3h16, Winter Sleep est ce que l’on peut appeler un gros morceau. Un bout de cinéma à l’ambition démesurée, un film de passions sentimentales, un drame social, un mélodrame aussi… rien que ça.

Winter Sleep Haluk Bilginer et Melisa Sözen, interprètes de Winter Sleep

Tutoyant Dostoïevski et les romans Russes par son ampleur théorique, Winter Sleep raconte les relations difficiles entre Aydin le propriétaire et ses locataires pauvres, mais aussi la vie d’un couple qui n’en finit plus de se haïr, le ressentiment d’une sœur. Le cinéaste, d’ordinaire peu adepte du bavardage, en inonde le spectateur, puisque le film entier est une joute verbale, épuisante pour les personnages, éprouvante pour le spectateur. Mais l’éprouver est une expérience gratifiante, puisque l’on s’efforce de comprendre, le plus souvent à l’encontre du personnage central, en réaction à lui, la vacuité de sa parole et de ses mots creux. Et le cinéaste, assez goguenard il faut bien l’avouer, teste posément notre résistance à tant d’insupportables démonstrations de bassesse, dans un film aussi virtuose que la vision de l’humanité qu’il présente est pessimiste.

Le lendemain fut présenté Saint Laurent, de Bertrand Bonello autour d’un autre couple terrible, Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent, l’alliance du commerce prosaïque et de l’artiste fragile et autodestructeur. Se concentrant principalement sur la période 1967-1974, le biopic material est là : reconstitutions soigneuses, soucis des métiers de la couture derrière le brio du créateur, interprétation générale exemplaire. Que l’on connaisse ou non la vie du créateur français, on assiste à un drame feutré qui réussit mieux ses moments de « déglingue » que les faits plus notoires, comme la relation avec Bergé ou la vie de « du couturier des femmes ». La rencontre d’YSL avec son amant Jacques de Bascher, synonyme d’expéditions toujours plus poussées dans la drogue et la recherche d’une sexualité brute consumante donne au film ses scènes les plus fortes. La dernière partie du film se dissout un peu entre des sauts temporels qui se voudraient tourbillonnants, mais finissent par donner l’impression que le monteur a joué du ciseau les yeux fermés.

It FollowsL’actrice Maika Monroe, dans It Follows

Second long-métrage de David Robert Mitchell, It Follows est un changement de genre intéressant pour le jeune cinéaste américain, après The myth of the American Sleepover (déjà montré à la Semaine de la Critique en 2010) sur les derniers jours d’été d’un groupe d’adolescents. Celui-ci est plus volontiers un film d’horreur, d’inspiration slasher. Sans dévoiler l’origine des ennuis de la jeune héroïne, on dira juste que ce qui pourchasse et terrorise les personnages du film entremêle bien un motif important du cinéma d’horreur – à savoir la sexualité des jeunes et jolies filles – avec ceux du teen-movie. Notamment grâce à une photographie assez exceptionnelle, It Follows est une mutation sans volonté parodique entre les deux genres, puisqu’il a réservé quelques bons moments de stress à toute la salle du Miramar.

Et pour ceux qui se languissent des films asiatiques en compétition, un peu de patience, ils seront bien là en seconde semaine ! A demain.

Pauline Labadie.

Cannes 2014 sur East Asia

Podcast spécial Cannes (avec Pauline Labadie, Victor Lopez, Julien Thialon, et des intervention de Davy Chou et Bastian Meiresonne)

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