Cannes 2015 – Chapitre 1 : Folie furieuse

Posté le 16 mai 2015 par

Au moment même où vous lisez ces lignes, nous sommes sans doute dans le TGV qui nous mène droit vers nos premiers émois cinéphiliques cannois. Mais comme je vous l’avais annoncé précédemment, j’ai eu l’opportunité de visionner les deux films de la section Hors-Compétition déjà sortis sur Paris, à savoir La Tête haute d’Emmanuelle Bercot et Mad Max: Fury Road de George Miller.

Il y a des jours comme ça ou l’on pense voir des films complètement différents les uns des autres, mais qui, finalement, partagent énormément de points communs : des cris de rage, des larmes de désespoir, une folie qui s’immisce lentement, une violence sourde qui peut éclater à n’importe quel moment… On retrouve chez Emmanuelle Bercot et George Miller cette envie d’exprimer, à travers leurs personnages, une croyance forte en l’être humain. Ce sont des films vivants, qui nous bousculent, nous rentrent dedans, sans nous ménager. Ce sont des acteurs habités par leur rôle, dont le sentiment de colère, de frustration, de révolte, nous renvoie dans les cordes, broyés que nous sommes par la puissance qui se dégage de certaines scènes. La manière de raconter une histoire, pourtant, est quasiment antithétique. Là où Emmanuelle Bercot se réapproprie les codes du film social chers à Ken Loach ou aux frères Dardenne (difficile de ne pas voir en Malony la version masculine de Rosetta), George Miller transcende les limites du cinéma de genre sur lequel s’est construite sa filmographie, et renouvelle une saga dont il est l’instigateur. Mais au final, les idées se rejoignent. Il y a toujours cette main tendue vers l’autre, cette main qui sauve, qui apaise, qui rétablit le lien, ce lien si souvent détérioré, parfois rompu.

 tête haute

C’est ce lien affectif que recherche le jeune héros de La Tête haute. Boule de nerfs incontrôlable, vivant seul avec sa mère, junkie immature, et son petit frère, Malony s’enfonce de plus en plus dans la violence, et rate les perches tendues par la juge des enfants (Catherine Deneuve, impeccable comme souvent) ou son nouvel éducateur (Benoit Magimel, bien meilleur que dans ses derniers rôles). La mise en scène d’Emmanuelle Bercot, toujours sur le fil, épouse le caractère de son personnage principal, et nous garde sous pression en permanence. Plutôt que d’adopter une structure narrative prévisible avec la traditionnelle descente aux enfers suivie de la phase de rédemption, la cinéaste préfère jouer sur un rythme beaucoup plus fluctuant, ponctué par les coups de sang de Malony. Cela donne un film à fleur de peau, dont la force du propos et la puissance émotionnelle dégagée par l’interprétation arrivent à faire oublier les quelques maladresses de fond et de forme, notamment cette tendance à mettre sur un piédestal les services chargés de la protection juridique des mineurs. Qu’importe, le talentueux Rod Paradot, d’ores et déjà l’une des grandes révélations du Festival, bouffe littéralement l’écran, et nous emporte dans son sillage dévastateur, empli de larmes et de fureur.

 mad-max-fury-road

De la fureur, il y en a énormément dans Mad Max: Fury Road. Le quatrième volet de la saga s’est longtemps fait désirer, et on n’a presque cru qu’il ne verrait jamais le jour. Puis le tout premier trailer est arrivé sur la toile, promettant une bonne grosse baffe à tout le monde, et rappelant au cinéphile mécréant à quel point l’inventivité de George Miller n’a aucune limite. A l’arrivée, le film comble absolument toutes les attentes, et même bien au-delà. Convoquant aussi bien La Chevauchée fantastique de John Ford que Sorcerer de William Friedkin, reprenant toutes les bases du deuxième opus pour mieux les transcender, Miller nous offre un ballet de tôles froissées dantesque et déjanté comme rarement vu au cinéma. La précision des cadrages, des mouvements, des chorégraphies, et la volonté de rendre le spectacle aussi vrai que possible, en s’appuyant essentiellement sur des effets-spéciaux mécaniques, permettent une immersion totale. Non content d’avoir réalisé le film d’action le plus fou de ces dernières années, Miller dépasse de loin le cadre du divertissement jubilatoire pour développer un univers post-apocalyptique d’une richesse absolue. Pas besoin d’un surplus explicatif, tout passe par l’image. L’intrigue dépouillée, brute, directe, évolue dans un rapport de confiance entre le réalisateur et le spectateur. Dans cet univers dirigé par un pouvoir patriarcal, la perte du monde tel qu’on le connait n’est pas une fin en soi, mais le point de départ d’un nouveau cycle placé sous le signe de la renaissance et de la rédemption. Il n’est plus question de femmes ou d’hommes, mais de l’humanité vue comme un tout naturel et harmonieux, né du chaos et de la folie. Une harmonie que l’on retrouve pleinement dans le duo formé par Furiosa et Max. Miller ne tente pas de faire de Tom Hardy le nouveau « Mad Mel », et préfère utiliser le style si particulier de l’acteur pour proposer une nouvelle facette du personnage. Max n’existe plus sans Furiosa. Ils contiennent chacun la rage, la douleur, la peine de l’autre. A ce titre l’alchimie progressive entre Tom Hardy et Charlize Theron est magnifique à observer, car d’un naturel saisissant. Pas besoin de paroles, tout passe encore une fois par l’image. On en revient aux valeurs les plus fondamentales du cinéma, comme un retour au point de départ et le début d’un nouveau cycle. Mad Max: Fury Road ouvre la voie vers de nouveaux horizons qui s’annoncent plus que prometteurs.

Nicolas Lemerle.

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