Cannes 2015 – Chapitre 4 : Amour, guerre et yakuzas

Posté le 23 mai 2015 par

Après quatre jours à sprinter entre les salles cannoises pour assister aux séances souhaitées, l’atmosphère est redevenue un peu plus calme depuis mercredi. Alors que chacun commence à faire des pronostics sur le palmarès, les projections se poursuivent et les derniers films de la sélection se dévoilent. Amour, violence, guerre, yakuzas vampires, grenouille tueuse… Demandez le programme !

love

Au moment de dévoiler son prochain long-métrage, Love, Gaspar Noé nous avait promis un film qui « fera bander les mecs et pleurer les filles », un mélodrame où le sexe permettrait d’explorer les différentes facettes de l’amour. Quelque mois plus tard, à l’occasion d’une séance de minuit très attendue au Festival de Cannes, le pari est-il tenu ? En partie oui. Dans Love, il y a beaucoup de scènes de sexe, souvent très crues, mais jamais filmées de manière répugnante, comme ça pouvait être le cas chez Lars von Trier. La passion amoureuse destructrice du protagoniste principal permet à Gaspar Noé de prolonger ses expérimentations narratives et visuelles, en jouant sur des réminiscences de souvenirs plus ou moins vagues et désordonnés. Le réalisateur tente de réitérer cette sensation de lâcher-prise que l’on a pu ressentir devant Enter the Void, en nous plongeant dans les méandres vaporeux de son récit. S’il y parvient sans conteste à plusieurs reprises, l’ensemble manque de force dans le propos et dans l’interprétation. Le personnage principal n’attire pas vraiment la sympathie, malgré son désenchantement mélancolique qui nous étreint à quelques moments. L’immersion n’est donc pas aussi intense que prévu.

 dheepan

Un autre réalisateur français était attendu au tournant pour son retour en compétition. Avec Dheepan, Jacques Audiard semble légèrement s’éloigner du reste de sa filmographie, puisqu’il raconte l’histoire d’un combattant tamoul qui fuit le Sri Lanka en se fabriquant une fausse famille avec une femme et une fille qu’il ne connait pas. Réfugié avec sa nouvelle famille dans une cité de banlieue parisienne, Dheepan décroche un poste de gardien de HLM, et se retrouve bientôt confronté à une violence qui lui rappelle de mauvais souvenirs. Dans une première partie très proche du film social, Audiard s’intéresse principalement à la manière dont les membres de cette famille de circonstance vont se rapprocher et s’entraider pour s’intégrer au mieux. Notre ancien combattant devient père, amant, protecteur. Les liens se réchauffent, et l’association factice se transforme en amour réel, palpable. Toute la puissance dramatique du film repose sur ses personnages principaux, magnifiquement interprétés par trois comédiens tamouls inconnus jusqu’alors. Mais très vite, Audiard replace ses protagonistes dans l’environnement violent qui les entoure. Des premiers coups de feu sont entendus, puis d’autres. La guerre des gangs fait rage, et Dheepan doit agir pour protéger celles qui sont devenues ses proches. Ce virage vers le thriller pur est moins convaincant, malgré un climax final impressionnant. Le regard donné sur les banlieues françaises risque de provoquer moult débats à la sortie du film.

 sicario

De la guerre il y en a, mais pas vraiment d’amour dans Sicario. D’une froideur implacable, le nouveau thriller de Denis Villeneuve suit l’enquête de l’agent du FBI Kate Macy (Emily Blunt) et de deux hommes employés par la CIA (Josh Brolin et Benicio Del Toro), lancés sur les traces d’un baron de la drogue au Mexique. Aux frontières de l’illégalité, cette opération renferme de nombreuses zones d’ombre que Kate va devoir percer à jour. Le parti-pris de garder le point de vue de Kate en nous laissant autant qu’elle dans l’inconnu rend ce thriller diablement efficace et captivant. Les nœuds de l’intrigue sont dévoilés au compte-goutte, ce qui permet à Villeneuve de créer une ambiance anxiogène proche des films de Michael Mann. Quel est le réel but de cette opération ? Quelles sont les motivations de la CIA ? Kate veut à tout prix obtenir des réponses, au risque de plonger la tête la première dans un monde d’une violence insoutenable, où la notion de justice semble avoir été profondément altérée. Si Emily Blunt est parfaite dans le rôle d’une femme idéaliste qui perd peu à peu ses repères, on retient surtout la performance monstrueuse de Benicio Del Toro, qui pourrait briguer le prix d’interprétation si Sicario n’obtient pas le prix de la mise en scène.

the assassin

Je passe rapidement sur The Assassin, devant lequel j’ai eu du mal à garder les yeux ouverts. S’il peut sans conteste être considéré comme la claque esthétique du Festival, le dernier film de Hou Hsiao-Hsien prend rapidement des allures de joli album photo sur la Chine du VIIIème siècle. Malgré quelques séquences qui ont su relever mon intérêt par intermittence, le montage lénifiant et l’incompréhension de certains ressorts de l’intrigue ont fini par m’achever. Je le reverrai sans doute prochainement dans de meilleures conditions, pour savoir s’il vaut plus que son statut de film « beau mais chiant » de la Compétition.

La soirée du jeudi s’est terminée en fanfare avec le retour inattendu mais diablement jouissif du cinéaste japonais Miike Takashi. Il n’était malheureusement pas là pour présenter son nouveau film, Yakuza Apocalypse: The Great War of the Underworld, mais il nous a laissé un message absolument hilarant, déguisé en geisha dans une vidéo diffusée avant la projection. Pour le remplacer, le chorégraphe et acteur Yayan Ruhian est venu faire un petit show sur scène pour nous mettre dans l’ambiance. Quant au film, il n’est pas du tout le nanar annoncé, mais plutôt un grand délire fun et débile qui nous rappelle avec nostalgie le Miike des années 90. Le public fut en tout cas très réceptif à l’humour bien spécial du Japonais, notamment lors de l’apparition hilarante du tueur déguisé en costume de grenouille. Ce personnage complètement fou nous a même fait l’honneur de sa présence en fin de projection, accueilli par une standing-ovation. Ce fut donc une séance idéale pour décompresser après l’avalanche de films vus ces derniers jours.

Voilà, le Festival de Cannes ferme bientôt ses portes. Je n’ai pas pu voir tous les films de la Compétition mais si je me laissais aller à faire un pronostic quant à la Palme d’or, je pencherais pour Mountains May Depart, de Jia Zhangke. Je profiterai de mon dernier chapitre sur le palmarès pour vous parler de l’adaptation en film d’animation du livre Le Petit Prince par le réalisateur américain Mark Osborne, et pour revenir sur le très grand cru Pixar. Ça me donnera l’occasion de questionner la place du cinéma d’animation dans la sélection cannoise.

Nicolas Lemerle

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