Le film de la semaine – I Am Not Madame Bovary : Everlasting Regret

Posté le 1 juillet 2017 par

I Am Not Madame Bovary signe une nouvelle collaboration entre le cinéaste chinois Feng Xiaogang et l’actrice Fan Bingbing dont il a contribué à établir la renommée locale. En salles le 5 juillet, ce succès au box office a également remporté de nombreux prix, notamment au Festival de San Sebastian. L’occasion pour nous de découvrir Fan Bingbing en paysanne qui lutte pour son émancipation entre l’archaïsme des traditions et la rigidité de la modernité.

i am not madame bovary

Li Xuelian (Fan Bingbing) est rejetée par son mari. Elle tente de divorcer mais un vice de procédure empêche une séparation légale du couple. Elle décide donc de s’attaquer à tous les membres du système chinois de sa petite ville jusqu’à Pékin pour que justice soit rendue. Ce qui frappe dès les premiers plans du film de Feng Xiaogang, c’est sa radicalité formelle. L’image est en forme de rond dans un premier temps, du moins dans la petite ville et a un format carré dans la grande ville. Ce choix oblige le spectateur à adapter son regard, mais surtout au cinéaste à redéfinir son esthétique qui devient extrêmement porteuse de sens. En effet, les changements de formats qui sont à la mode dans le cinéma mondial ces derniers temps ne reflètent pas tous une réflexion formelle qui serait la pierre angulaire de l’œuvre. Dans I Am Not Madame Bovary, ces cadres particuliers nous obligent à penser l’image différemment et donc à sentir la réalité qui est dépeinte à travers une sensibilité particulière. Le film s’inscrit dès son introduction dans la tradition littéraire, et picturale, chinoise. Il se construit à partir de la figure mythique de Pan Jilian, qui est un célèbre personnage de conte chinois du XVIIème siècle. C’est une femme libre et vénéneuse qui déchaîne les passions jusqu’à provoquer le meurtre de son mari. C’est la femme fatale chinoise.

I Am Not Madame Bovary

En ce sens, elle fait partie de la culture populaire chinoise jusqu’à nos jours et sa présence est telle dans l’inconscient collectif chinois que c’est une insulte qui désigne les femmes infidèles aujourd’hui. C’est cette vision héritée de la littérature populaire chinoise qui enferme aujourd’hui les femmes dans des valeurs archaïques aussi bien dans leur village que dans la ville. Feng Xioagang construit donc intelligemment ses images avec une photographie sublime et des compositions qui font écho à la peinture chinoise pour montrer que cette vision enferme son héroïne alors qu’elle vit dans une certaine modernité. Le poids de la tradition réduit et définit la vision du monde dans lequel Li Xuelian est emprisonnée. Il y a également une vision plus ludique qui serait celle de voir une femme tourner en rond, dans un rond. Comme si l’image épousait le vertige de la condition féminine chinoise jusqu’à son absurdité. Quand ce ne sont pas les traditions, ce sont les jeux de pouvoir politique, donc de la ville, qui enferment le personnage dans des cadres. Elle se retrouve impressionnée par des miniatures et par la froideur de la verticalité du pouvoir politique, masculin bien sûr. Il y a un jeu avec les échelles, la profondeur et les cadres comme si la ville était un espace à l’architecture et aux dimensions industrielles, quelconques, finalement robotiques comme pour représenter la machine qu’est l’État chinois. Une machine masculine qui semblerait pourtant défaillir devant la présence d’une seule femme.

I Am Not Madame Bovary

Si I Am Not Madame Bovary marque le spectateur, ce n’est pas que par sa construction et son esthétique qui pourraient seulement être une somme d’intention ou un exercice théorique voire expérimental. La performance de Fan Bingbing vient apporter une autre dimension au film. Alors que c’est une idole glamour dans son pays, l’actrice se fond pleinement dans le rôle de cette paysanne qui prend alors l’aura d’une figure féministe contemporaine. Fan Bingbing offre un jeu physique qui rappelle son travail avec la cinéaste Li Yu (Lost in BeijingBuddha Moutain…), pour laquelle l’actrice se livre et dépeint des femmes perdues, brisées, passionnées. Elle épouse les facettes de cette Pan Jilian moderne dont Li Xuelian serait l’un des avatars. La fougue du personnage provoque même des moments comiques, entre les réactions des hommes qu’elle attaque et les réactions parfois décalées de l’héroïne. La plastique de l’actrice pourrait être en contraste avec une vision « réaliste », mais Feng Xioagang semble justement vouloir confronter les visions des femmes chinoises à travers différentes temporalités et différents espaces que Li Xuelian doit parcourir pour transcender sa condition. La grande réussite du film réside dans le fait que le cinéaste semble croire que l’entité qu’il met en scène, cette femme forte, courageuse, informée pourrait faire plier le système chinois. Que la plus grande peur d’un système masculin serait la persistance d’une voix féminine contradictoire, d’une seule femme qui refuse de se taire et d’être victime de sa condition, qui refuse d’être Madame Bovary.

Kephren Montoute.

I Am Not Madame Bovary de Feng Xiaogang. Chine. 2016. En salles le 05/07/2017

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