VIDEO – Le Dieu éléphant de Satyajit Ray

Posté le 1 juin 2022 par

Récit de mystères, d’enquêtes et d’aventures, Le Dieu éléphant (1979) est un film qui s’inscrit dans un chapitre particulier de la cinématographique de Satyajit Ray, loin des œuvres sociales et politiques auxquelles il avait habitué les festivals européens.

A Bénarès, haut lieu spirituel de l’Inde, le détective Feluda et ses deux comparses, le fidèle Topshe et l’écrivain fantasque Jatayu, passent des vacances bien méritées après leurs dernières aventures. Mais quand un homme les approche pour enquêter sur la mystérieuse disparition d’une statue en or inestimable du dieu Ganesh, le détective ne résiste pas et se lance dans une palpitante investigation…

Le Dieu éléphant est en fait la suite du film La Forteresse d’or, joli succès populaire pour le réalisateur en 1974. Les deux œuvres sont adaptées des romans de détective qu’écrit Ray en parallèle de ses activités de cinéaste. Destinées à un public indien, plus particulièrement bengali, elles usent pourtant de tous les codes du genre tels qu’on les connaît en Europe : filatures, énigmes, ruelles sombres, personnages hauts en couleur… Les références aux grands récits d’aventures occidentaux sont très appuyées dans Le Dieu éléphant, avec de nombreux plans sur des BD de Tintin et plusieurs mentions de Tarzan. La parenté est d’ailleurs complètement assumée par Ray, qui laisse ses personnages se comparer d’eux-mêmes aux équipes que forment Sherlock Holmes et Watson ou encore Hercule Poirot et Hastings.

Mais en mélangeant culture européenne et culture indienne, Satyajit Ray n’ambitionne pas de conquérir un public occidental. Si le film est tout à fait compréhensible pour un non-Indien (malgré ses éléments très locaux, l’histoire est avant tout un mystère à résoudre), il ne correspond pas à ce qu’attendent les festivals. Le réalisateur n’abandonne toutefois pas tout ce qui a fait son succès chez nous : comme tout bon récit d’enquête, Le Dieu éléphant se penche sur la nature humaine et les motivations qui poussent un homme ou une femme à commettre un crime. L’occasion pour Ray de s’attaquer une nouvelle fois à des sujets qui lui tiennent à cœur, tels que la corruption, la malhonnêteté religieuse ou encore l’accaparement des richesses de l’Inde au profit de l’Occident.

Ce n’est ainsi que la 3e fois que le réalisateur filme en couleurs, après une première expérimentation en 1962 avec Kanchenjungha puis en 1977 avec Les Joueurs d’échecs. Privilégiant toujours un jeu d’ombres et de lumières, qui servent cette fois à appuyer le suspense et la tension propres au genre, Satyajit Ray utilise aussi la couleur pour magnifier la ville de Bénarès et la richesse des intérieurs qu’il capture avec sa caméra, et peut-être aussi pour attirer un public plus populaire, de moins en moins friand du noir et blanc.

S’il n’est néanmoins qu’une chose à retenir du long-métrage, c’est le plaisir que Satyajit Ray prend à tourner avec sa petite équipe d’acteurs. Soumittra Chatterjee, fidèle au poste, reprend son rôle de détective pour sa 10e collaboration avec Ray. Il est entouré du jeune débutant Siddartha Chatterjee et du vétéran Santosh Dutta, dont la carrière décolla grâce au cinéaste dans les années 1960.

Dirigeant avec enthousiasme ce casting presque exclusivement masculin, le réalisateur parsème ensuite son enquête de personnages plus originaux les uns que les autres, entre bodybuilder, client insupportable d’hôtel, faux saint et lanceur de couteaux vieillissant. Ce dernier donnera ainsi lieu à une scène mémorable du film : sous les ordres de son patron, un dangereux homme d’affaires, il projette d’une main tremblante ses lames affûtées autour du corps d’un des comparses du détective, paralysé par la peur.

Cette autre facette du cinéma de Satyajit Ray, plus légère et ancrée dans la culture populaire, est moins connue en Occident car elle fut longtemps considérée comme moins intéressante par la critique (et encore aujourd’hui par une partie de la critique occidentale). En alternant dialogues malicieux et moments de tension admirablement menés, le réalisateur offre pourtant à son public un divertissement intelligent et captivant. Un vrai bon moment de cinéma pour les petits comme les plus grands.

Bonus

A propos de Le Dieu éléphant par Charles Tesson : le critique et historien revient sur l’histoire personnelle du réalisateur, qui a conduit à la production du film. Satyajit Ray grandit en effet dans la maison-imprimerie de son grand-père, qui crée une revue pour enfants nommée Sandesh. Celle-ci disparaît à la mort de son père, mais Satyajit Ray décide de la relancer et y publie plusieurs nouvelles. Son grand-père étant aussi traducteur, le jeune Ray baigne dans les œuvres de Conan Doyle et de Jules Verne, des références qu’on retrouve dans ses propres récits pour enfants. Dans Le Dieu éléphant, il réalise ainsi presque une sorte d’autobiographie imaginaire de son enfance, passée dans les livres d’aventures auprès du vieil homme. Homme à la culture très hétérogène, Ray se libère avec ce film de l’image qu’on avait de lui et devient un artiste complet. 

Audrey Dugast

Le Dieu éléphant de Satyajit Ray. Inde. 1979. Disponible dans le coffret Satyajit Ray en 6 films, en DVD et Blu-Ray chez Carlotta Films le 01/03/2022

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