Quatre courts-métrages de Davy Chou sur MK2 Curiosity

Posté le 7 février 2023 par

À l’occasion de la sortie de Retour à Séoul, MK2 Curiosity propose de découvrir quatre courts-métrages de Davy Chou jusqu’au 9 février. À travers eux, on peut voir se dessiner les thématiques et collaborations chères au cinéaste franco-cambodgien.

Comme c’est l’usage, c’est sur le court-métrage que Davy Chou s’est dans un premier temps fait la main. La sélection de MK2 Curiosity nous offre ainsi Expired, son premier film de 2008 à la forme quelque peu énigmatique. On y voit les employés d’un café narrer l’histoire d’un couple français séjournant au Cambodge, dont les deux enfants se retrouvent frappés d’un étrange sortilège. Par la suite, une série d’instants de vie sans dialogues vient illustrer ce récit. Le commentaire du réalisateur nous apprend que c’est le carnet vidéo de ses propres vacances en famille qui a servi de base à ce court-métrage, ce qui explique sans doute l’aspect disparate des plans, et notamment des derniers, de nature clairement fictionnelle ceux-ci. Le résultat est un patchwork assez anodin, même si le sujet évoque la langueur moite et le réalisme magique du cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, et notamment de son Cemetery of Splendour. Néanmoins, l’intérêt est aussi de découvrir au générique deux noms qui continueront d’accompagner Davy Chou sur ses films suivants, à savoir celui de Vincent Villa au son et de Laurent Leveneur au montage.

Dès 2011, Davy Chou sort son premier long-métrage : le documentaire Le Sommeil d’or, consacré au patrimoine cinématographique cambodgien ayant sombré dans l’oubli. C’est dans ses replis, à partir de rushs restés inexploités, que le second court-métrage de la sélection, Their New House Is Covered With Cork, a vu le jour. On y suit une vieille femme errant dans les décombres de ce qui fut l’un des cinémas mythiques de Phnom Penh jusqu’aux années 70. Bien qu’il n’y ait pas véritablement de dramaturgie, l’œuvre laisse parler l’atmosphère troublante de ces images, peuplées de figures à l’aspect fantomatique, qui vient souligner avec étrangeté et poésie le déclin relaté dans Le Sommeil d’or. On retrouve d’ailleurs à la photographie Thomas Favel, qui restera lui aussi un collaborateur au long terme de Davy Chou.

Cambodia 2099, le troisième et le plus long (22 minutes) des courts-métrages présentés, est sans doute celui qui a le plus à nous révéler, en cela qu’il a servi de brouillon à Diamond Island. Tourné quelques années auparavant dans l’arrondissement éponyme, il nous donne d’ailleurs à voir… les germes du décor du long-métrage. Ainsi, si on n’y voit pas encore les complexes hôteliers et enseignes lumineuses qui le prendront d’assaut, ce qui fut jadis un marécage est déjà une friche urbaine prête à accueillir les rêves de grandeur d’un nouveau Phnom Penh. C’est l’accomplissement de ce rêve, justement, que l’un des personnages espère contempler, en voyageant dans le temps jusqu’à ce fameux Cambodge de 2099. Cependant, derrière ce postulat excentrique, ce sont bien les mêmes thèmes que dans Diamond Island que l’on retrouve : celui d’un pays en transformation dont la jeunesse se cherche, celui du fantasme d’un ailleurs – les Etats-Unis – et des chances qu’il offrirait, celui du spectre traumatique du passé qu’on voudrait enterrer mais dont l’empreinte est pourtant partout. Si la photographie n’a pas la même splendeur, certaines visions sont même déjà là, presque telles quelles : les chemises aux tons vifs se détachant sur le bleu du ciel, les virées nocturnes en scooter avec une petite amie, les tentatives de rapprochement pendant qu’elle pianote sur son smartphone… tous ces instants avaient déjà été saisis ici. Les acteurs, néanmoins, sont différents, le tournage improvisé en quelques semaines n’ayant pas laissé le temps d’organiser un casting, et on note à cet égard que l’un des rôles principaux est revenu au réalisateur Kavich Neang, que Davy Chou produira par la suite, notamment avec Last Night I Saw You Smiling et White Building.

Enfin, le dernier court-métrage, d’une durée de 3 minutes, est The Prince Of Sihanoukville, tourné en 2019. Tout comme pour Their New House Is Covered With Cork, il s’agit moins de l’écriture d’un film à proprement parler que d’un montage de rushs, saisissant par leur ambiance mais ne pouvant être interprétés sans leur contexte. Ici, plutôt que le passé qui se délite, c’est l’avenir dénaturé qui est suggéré, rejoignant en ce sens l’esprit de Diamond Island. Thomas Favel a ainsi filmé les rues de Sihanoukville, station balnéaire cambodgienne peu à peu engloutie par le tourisme chinois : la caméra s’arrête sur les idéogrammes en néons, les devantures des casinos… Il y a pour ces images une sorte de fascination pessimiste, peut-être plus explicite encore que dans Diamond Island, qui les inscrit complètement dans l’univers de Davy Chou.

Ainsi, si ces films ne sont pas toujours aboutis et semblent parfois tâtonner pour trouver leur forme, on y voit se former et se préciser les sujets qui animent le cinéaste, constituant tantôt l’embryon, tantôt le revers de ses longs-métrages. Ils permettent aussi d’observer comment l’équipe qui entoure Davy Chou s’est constituée au fil du temps, ce qui participe sans aucun doute à renforcer le sentiment de cohérence qui émane de son œuvre. À ce titre, sont également présentés sur MK2 Curiosity trois autres courts-métrages sur lesquels il a cette fois agi en tant que producteur : Three Wheels de Kavich Neang, California Dreaming de Sreylin Meas (qui avait été assistante réalisatrice pour Davy Chou) et Sunrise In My Mind de Danech San. Derrière, c’est une grande et belle famille de cinéma qui émerge.

Lila Gleizes

Expired de Davy Chou. 2008. France, Cambodge.

Their New House Is Covered With Cork de Davy Chou. 2013. France, Cambodge.

Cambodia 2099 de Davy Chou. 2014. France, Cambodge.

The Prince Of Sihanoukville de Davy Chou. 2019. France, Cambodge.

Imprimer


Laissez un commentaire


*