VIDEO – Violent Streets de Gosha Hideo

Posté le 14 décembre 2024 par

Le jeune mais passionnant et passionné éditeur Roboto Films poursuit en édition mediabook combo DVD/ Blu-Ray sa collection « Gangsters ». Après Violent Panic: The Big Crash (1976) de Fukasaku Kinji et Great Jailbreak (1975) de Ishii Teruo, une œuvre de Gosha Hideo est mise en lumière : Violent Streets. Plus que la parution d’un film méconnu, cette édition offre l’occasion de découvrir un film d’exploitation (non sans une ambition artistique) véritablement inconnu !

Dixième film de l’une des figures mineures de la Nouvelle Vague japonaise, ce yakuza-eiga énervé amplifie le geste paradoxal du cinéaste de vouloir re-dynamiser les genres qu’il investit en en célébrant la décadence. Après les chanbara du début des années 60 par lesquels il s’est fait connaître et dont il a à la fois électrisé les codes et tailler le linceul (Goyokin avec Nakadai Tatsuya en étant le parachèvement abouti), Gosha s’est tourné vers un genre qui, en terme de popularité, s’est alors substitué aux films de sabre : le polar, et plus exactement le film de gangster.

Dans cette production de la Toei (que la bande-annonce vendait comme « une nouvelle lignée dure lancée par le Toei« ), le cinéaste glisse sa sensibilité écorchée dans les habits du genre. Tant et si bien que si les enjeux sont d’une paresse compassée (sempiternelle lutte des bandes), le canevas sert de matrice pour que le cinéaste, en contrebande, y file quelques idées de cinéma assez effervescentes.

Suite à un enlèvement qui tourne mal, deux clans yakuza se lancent une guerre sans merci. Egawa, yakuza respecté à la retraite, se retrouve malgré lui entraîné dans un déchaînement de violence. 

Dans un lettrage rouge vif avec une calligraphie hachurée, comme les génériques de Fukasaku, le film s’ouvre sur la promesse de vouloir en découdre. Ça va saigner ! Et vous ne serez pas déçu. Du flamenco aux effusions d’hémoglobine, le rouge vient comme sourdre de sous la peau noire qui couvre l’esthétique une violence contenue et qui perce, soudain.

Comme le motif de la danse, qui revient en rime tout le long, la violence apparaît en suspension avant d’exploser (une certaine tendance au recul pour mieux bondir dans cruauté, alors, issue de la Nouvelle Vague japonaise). Difficile, depuis 2024, de ne pas voir là une influence, en ce sens, sur la rythmique de la violence chez Tarantino.

Plus qu’en résonance avec la violence du film, la danse, espagnole en l’occurrence, résonne avec l’érotisme de certaines séquences, comme cette scène où alternent une scène de sexe et une scène de danse, orchestrant une symphonie de chambre à deux instruments. C’est dans cette idée menue de petit maître que le film s’extrait de son programme pour faire vibrer une certaine singularité (à portion congrue, on le regrette).

Là où ce pur film d’exploitation se dote d’un regard, c’est aussi sur le propos qu’il tient à l’égard de la contre-culture frondeuse qu’a incarnée à ses débuts la Nouvelle Vague japonaise. À travers l’histoire de la Togiku, cet ancien gang de yakuza devenu une compagnie respectant la loi, Gosha taille un costard au yakuza eiga même, dont on sent, à travers ses personnages de bandits notabilisés, que ce genre d’incubateur de révolte s’est gentrifié.

Pour en retrouver la substantifique irrévérence, le cinéaste n’hésite pas à mettre en scène une violence crue (à faire passer les évocations des premiers Oshima et Wakamatsu pour des pudeurs). En invoquant une femme transgenre tueuse au rasoir, il piétine aussi le virilisme propre au genre (tout en se repaissant, hypocrisie coutumière du procédé, de la brutalité des hommes).

À cet égard, l’une des séquences les plus éloquentes restent celles de la débauche criminel dans un poulailler. Aux films de gangster en costard, qu’avaient fini par orchestrer les pionniers du genre (Fukasaku le libertaire et Suzuki l’esthète), Gosha tâche de ramener cette férocité meurtrière à sa bestialité originel. Comme Monte Hellman qui, la même année, tourne aux États-Unis Cockfighter (ce film de rednecks sur l’art des combats de coq), le cinéaste japonais rappelle cette antienne aristotélicienne : « l’homme est un animal […] politique« .

BONUS

La vertu des « petits » éditeurs spécialisés tient au grand soin qu’ils apportent aux bonus, sachant ô combien la redécouverte de ce type de film nécessite à la fois un accompagnement (une prédisposition du spectateur au contexte de production) et un prolongement (la faculté à prolonger le plaisir du film).

Les bonus se compose surtout d’un essai vidéo de 15min signé par Robin Gatto nommé « Le paradoxe du yakuza perdu » (prolongeant une réflexion de Christophe Gans sur la figure de Gosha Hideo) et d’un entretien de 30min avec Julien Sévéon, spécialiste du cinéma d’Extrême-Orient. Ce-dernier rappelle la place que le film occupe dans les filmographies respectives des 3 vedettes masculines du casting : Ando Noboru, Kobayashi Akira et Sugawara Bunta. Il évoque aussi, avec plusieurs exemples à l’appui, dans quelle mesure le film résonne avec la vie personnelle de Gosha. Il en ressort de son analyse copieuse et étayée combien, par-delà la violence, le cinéaste y déploie une certaine sensibilité, notamment à l’égard du sort des femmes fait dans ce milieu de gangsters.

L’édition est également complétée d’essais de Pauline Martyn et Nathan Stuart, ainsi que de bandes-annonces d’autres films du catalogue du distributeur.

Flavien Poncet

Violent Streets de Gosha Hideo. Japon. 1974. Disponible en combo DVD / Blu-ray en novembre 2024 chez Roboto Films.