VIDEO – Violent Panic: The Big Crash de Fukasaku Kinji

Posté le 30 avril 2024 par

Un nouvel éditeur arrive sur le marché du cinéma asiatique ! Roboto commence sa fournée avec deux très belles éditions consacrées à Fukasaku Kinji. Un inédit et un jidaigeki survolté, plutôt rare en France. Revenons sur Violent Panic: The Big Crash sorti en 1976, petite pépite du grand cinéaste dont la patte a clairement infusé sur le cinéma mondial.

Takashi et Mitsuo, deux amis, sont des braqueurs en série hors pair. Ils prévoient de faire un dernier braquage avant de s’enfuir au Brésil. Cependant, ce dernier braquage ne va pas se passer comme prévu…

Produit au milieu des années 1970s, Violent Panic: The Big Crash est une sorte de film fou furieux inclassable. Contrairement à ce que laisse entendre ses premières minutes endiablées, le film ne sera pas un énième actionner de Fukasaku, sauce braqueurs contre policiers. C’est plutôt un film indiscernable, sorte de cri furieux du réalisateur, qui est alors en train de prendre vie sous nos yeux. Même si, en premier lieu, le film possède le charme de n’importe quel Fukasaku : son style, reconnaissable entre 1000, fait toujours effet. Cette caméra portée n’a comme limite que le corps du caméraman se mouvant dans tous les sens ; le flux du film est sans cesse interrompu par des ruptures, qu’elles soient continues ou discontinues (comme, par exemple, des arrêts sur images ou des passages « roman-photo »), le tout dans un emballage pop et dynamique tout à fait charmant et à l’image du réalisateur. Il faut aussi reconnaître que la belle copie utilisée pour cette édition rend très clairement hommage aux qualités plastiques du film, ce qui nous permet de profiter comme il se doit de tout un tas de gimmicks fukasakiens qui auront inspiré toute une génération de cinéastes.

Pourtant, au fur et à mesure que l’intrigue se déroule, l’on se prend les pieds dans sa tortueuse complexité et l’on se rend compte que nous ne sommes pas face à n’importe quel produit de très bonne facture. Cette sensation reste tout de même un long moment : tout y est, les gangsters, le style, les personnages pourris jusqu’à la moelle… en effet, tout y est. Mais tout y est un peu trop. Auto-parodie ? Non, le cinéaste est tout à fait sérieux (du moins, jusqu’à un certain point) et ne cherche pas vraiment l’auto-dérision. Ses codes, exacerbés à l’extrême, sont ici un moyen de mener le film vers un nouveau terrain : celui de la satire.

Voilà comment l’on pourrait caractériser simplement ce Violent Panic: The Big Crash qui ne cesse de sauter d’un genre à l’autre, d’un ton à l’autre, le tout dans une forme fukasakienne exacerbée et surlignée. Cela est confirmé en fin de film, lorsque le « Big Crash » en question a lieu : dans ce final aussi chaotique que dantesque, tout le monde y passe. Nous avons d’abord les nationalistes qui rejettent tous les maux du pays sur les communistes tout en louant le gouvernement actuel et, plus particulièrement, sa police ; puis nous avons les journalistes de la télévision (sous l’ironique sobriquet de « MHK ») qui, entre deux documentaires ineptes sur de jeunes contestataires, sont filmés comme les paillassons du gouvernement (ce qu’ils récusent par l’hilarante phrase du présentateur « Nous sommes tout à fait impartiaux » alors même qu’ils viennent de se faire quasiment censurer). Tout cela n’arrive pas tel un cheveux sur la soupe : le film le travaille, étrangement, mais sûrement. Il multiplie notamment les arcs narratifs annexes pour se rapprocher parfois du film fleuve, dont l’unique but est de faire rencontrer les multiples personnages dans un final explosif où tout le monde fait la guerre à tout le monde. Dans ces arcs, l’un des plus notables, est notamment celui entre un garagiste et une sorte de médecin homosexuel sadique : rien ne laisse envisager que les choses vont tourner comme cela (à la lisière du thriller érotique tordu, presque du pink gay), ni que ce personnage va rencontrer le destin de nos personnages principaux d’une quelconque manière. Et parfois, ces arcs annexes vont nous mener dans l’érotico-grotesque tordu, comme ce vieil homme qui, fou amoureux d’une ex-danseuse de cabaret, collectionne des mannequins à son effigie.

Fou est le mot pour caractériser le film. Mais politique l’est aussi : si Fukasaku n’est pas inconnu des films aux propos politiques assumés (comme Battle Royale pour n’en citer qu’un seul), Violent Panic: The Big Crash est un véritable petit brulot qui tâche. Cette société qu’il semble mépriser au plus haut point est, tout comme son style, exacerbée dans tout ce qu’elle a de plus détestable afin de créer ce final dont la résolution n’est ni plus ni moins que le chaos. Personne ne semble d’ailleurs épargné, si ce n’est nos braqueurs qui, miraculeusement, semblent échapper au cynisme de Fukasaku (et encore, l’épilogue portant sur eux un regard tout de même assez moqueur). Ainsi, entre un Japon traditionnel qui, plutôt que de renaître de ses cendres, ravale son vomis en se rangeant du côté des États-Unis et du gouvernement, une modernité incarnée par la société de consommation, mère de tous les vices, dont le pire d’entre eux est celui du narcissisme, et les contestataires qui ne sont bon qu’à être un sujet pour une télévision tâcheronne de l’État : tout y passe.

Un vent de fraîcheur accompagne cette nouvelle sortie de Roboto. En plus de nous proposer un inédit, ils choisissent l’un des plus dingues, des plus stylisés et des plus rageurs de Fukasaku. Si l’on pourrait reprocher au film un petit ventre mou (et encore, très léger, mais quand même notable malgré la courte durée du film), cette sortie est probablement l’une des plus intéressantes de ce mois. Violent Panic: The Big Crash est un objet pop, trash, survolté, cynique et complètement lunaire à ne pas manquer.

BONUS

Présentation du film par Stéphane du Mesnildot : sa présentation du cinéaste ainsi que de sa filmographie est très fournie et permet notamment de remettre le film tant dans son contexte historique que dans la carrière de son auteur. Nous sommes toujours heureux de retrouver Stéphane du Mesnildot derrière les bonus d’un film japonais et, une fois n’est pas coutume, ses analyses fines, pertinentes et pointues sont un très grand plus à cette édition.

Fukasaku par Jean-François Rauger : autre grand connaisseur du cinéma nippon et actuel directeur de La Cinémathèque française, cette présentation du cinéaste par Jean-François Rauger est elle aussi très fournie. Insistant un peu plus sur le caractère générationnel de ce cinéaste et de sa modernité japonaise (à la marge de la modernité cinématographique japonaise), Rauger nous fournit une introduction très dense. Seul bémol : cette présentation est découpée en deux parties, dont la deuxième n’est disponible que sur le deuxième film proposé par l’éditeur, Shogun’s Samurai. Ce découpage est compréhensible, bien qu’un peu brusque au visionnage, et n’enlève en rien à la qualité de la présentation (au contraire, nous n’avons qu’une envie : en voir plus !)

Le film est aussi accompagné par deux trailers, l’un pour Violent Panic, l’autre pour Shogun’s Samurai.

Thibaut Das Neves

Violent Panic: The Big Crash de Fukasaku Kinji. Japon. 1976. Disponible en Combo DVD/Blu-Ray début mai chez Roboto Films

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