Nous poursuivons l’exploration du coffret Door de Carlotta avec le second opus par Takahashi Banmei, Door 2, sorti initialement en 1991 et inédit en France.
Avec Door 2, Takahashi s’éloigne du frisson du home invasion pour revenir à ses premières amours : le pinku eiga. Nous y suivons Ai (Aoyama Chikako), jeune call-girl, et ses déambulations dans Tokyo à la recherche de rendez-vous rythmés par les systèmes de messagerie téléphonique des années 90. Takahashi ouvre son décor et s’attarde donc cette fois sur un autre type d’isolation urbaine, celle qui se joue en plein cœur de la ville dans une ère où la dématérialisation des relations commence à prendre place.
En plus de changer de genre, de lieu et de type de récit, Takahashi renouvelle entièrement son dispositif cinématographique lors de ce second volet. Là où la caméra épaule instiguait un mouvement mais également une forme de voyeurisme dans Door, Door 2 fait la part belle à une fixité des plans et à un cadre en 4/3 qui achève de créer une forme de rigidité et d’enfermement de ses personnages. On sort dans Tokyo, on rencontre du monde et on multiplie les lieux de rendez-vous, mais le cadre reste exigu et isolant. De même, le réalisateur découpe parfois les plans de sorte à isoler deux personnages, même lorsqu’ils se trouvent dans le même espace, qu’il s’agisse de champs/contre-champs ou de plans rapprochés sur l’un, puis l’autre des personnages, quand bien même ils se trouvent l’un à côté de l’autre. Encore une fois, la réalisation est au service de l’histoire puisque Takahashi s’attache à nous montrer la recherche de contact humain de son héroïne par le biais de rencontres anonymes qui débutent systématiquement de façon virtuelle. Le cinéaste détourne légèrement la signification qu’avait la porte dans Door. Au lieu de représenter l’espace de cloisonnement entre un extérieur hostile et un monde familier et ménager sécurisé, elle est désormais un passage de l’anonymat indifférent au contact, qu’il soit jouissif ou redoutable. Comme le dit Ai, tant que la porte n’a pas été ouverte, elle ne sait quel genre d’homme l’attend à l’intérieur, même lorsqu’elle se rend en compagnie de ses clients à l’hôtel.
Les multiples formes que peuvent prendre le contact physique sont alors explorées par le cinéaste. En ne prenant que des personnages souffrant d’une forme de solitude contrainte ou désirée (les clients et Ai elle-même), il montre leur approche d’une proximité charnelle par deux biais : l’érotisme et la violence, parfois mêlés l’un à l’autre. Cette violence que reçoit Ai peut être subie et amener à un déchirement encore plus profond des rapports humains, tout comme elle peut être un soulagement et une façon de sentir exister son corps. L’évènement déclencheur de la prise en main de son destin et du renoncement à une forme de passivité dans ses contacts humains est d’ailleurs un perçage d’oreille, une autre façon d’expérimenter la sensualité et la pénétration de son corps, non sans une forme de douleur. Cette relation qui parsème le récit avec le client des oreilles percées révèle d’ailleurs cette quête permanente de contact d’Ai, qu’il soit physique ou juste visuel. Lors d’une séquence d’exhibitionnisme discret avec un vibromasseur en plein récital d’opéra, Takahashi, loin de présenter un jugement des autres spectateurs, opte plutôt pour une émulation collective. C’est d’ailleurs le seul moment de son parcours (jusqu’à la toute fin, du moins) où la foule montre un intérêt positif à Ai, allant jusqu’à l’applaudir, plutôt que de l’indifférence ou de la désapprobation. A l’inverse, lorsque ce même client l’isole en la forçant à assister à ses ébats avec une autre, la situation est vécue comme une persécution par Ai, qui n’existe dans cet espace que pour observer sans être touchée ou qu’on lui porte de l’attention.
Dans cette émulsion de relations tarifées, Takahashi traite aussi de la source de la solitude de son héroïne au travers de sa relation avec deux amis d’enfance et leur triangle amoureux ayant conduit à son évincement. Au lieu de l’exploiter comme un traumatisme ayant à jamais impacté la capacité d’Ai à aimer et à s’épanouir dans une relation de proximité, le réalisateur se penche sur la découverte des relations charnelles et la création d’un lien idéalisé que fait la protagoniste entre les relations sexuelles et la simple camaraderie/proximité dont elle manque désormais. A l’instar du premier Door, Takahashi Banmei livre un film complexe et dense sur les rapports humains, en s’attachant à approfondir les éléments dont il dispose pour en tirer le plus de profondeur possible.
Les deux Door se suivent et ne se ressemblent pas, mais ils se répondent dans leurs qualités propres et si le deuxième volet perturbera peut-être les amateurs du premier qui s’attendent à un nouveau thriller, il mérite tout autant le coup d’œil que son prédécesseur.
Elie Gardel.
Door 2 de Takahashi Banmei. Japon. 1991. Disponible en coffret Blu-ray avec Door chez Carlotta le 07/05/2024.