FESTIVAL DES CINÉMAS INDIENS DE TOULOUSE 2024 – 12th Fail de Vidhu Vinod Chopra

Posté le 6 mai 2024 par

La vie est un perpétuel redoublement : c’est en tout cas le postulat du film de Vidhu Vinod Chopra, 12th Fail, sorti l’année dernière en Inde. Inspiré de faits réels, le récit suit le parcours semé d’obstacles d’un jeune homme issu d’un milieu rural pauvre pour devenir officier de police. Multi-récompensé dans son pays d’origine et aujourd’hui visionnable sur Netflix, le film a également reçu le prix du long-métrage au Festival des cinémas indiens de Toulouse 2024

Être officier de police en Inde, ça se mérite. Pour accéder à ce rang prestigieux, il faut passer trois séries d’épreuves : deux écrites et une orale. Chaque année, plus d’un million de candidats tentent leur chance, mais seuls 0,2% d’entre eux obtiennent le poste rêvé. C’est cet examen particulièrement difficile que le jeune Manoj (Vikrant Massey) décide de passer coûte que coûte en quête de justice et d’élévation socio-économique. 

Originaire d’un petit village dans la région de Chambal, située au nord de l’Inde, Manoj grandit en effet dans un monde de petite délinquance, de pots de vin et de triche organisée. Exemple parlant : pour permettre à leurs élèves d’avoir leur diplôme à la fin du lycée, et ainsi d’accéder à des emplois corrects – selon leurs dires – les professeurs autorisent leurs élèves à copier les uns sur les autres, à écrire des antisèches et vont même jusqu’à leur donner eux-mêmes les réponses. Avec l’arrivée d’un nouveau chef de la police, qui met fin à toutes ces malversations, Manoj va toutefois découvrir le sens de l’honnêteté et de l’intégrité. Inspiré par cet homme droit et par son propre père, qui décide de poursuivre le maire du village devant la Cour suprême pour corruption, le jeune garçon part de chez lui, déterminé à entrer dans les forces de l’ordre. Avec un faible niveau d’anglais et une éducation générale qui laisse à désirer, Manoj ne part pas gagnant. Chaque candidat ne dispose par ailleurs que de quatre essais. Echec après échec, mais avec l’aide de nouveaux amis et d’une jeune femme aimante, l’aspirant officier va se donner corps et âme dans la préparation du concours. 

Plutôt connu pour ses deux réalisations emblématiques de la fin des années 1990 – 1942: A Love Story (1998) et Mission Kashmir (2000) – et pour avoir produit des films à succès comme 3 Idiots (2009) ou PK (2014), Vidhu Vinod Chopra fait un retour saisissant avec ce récit d’apprentissage, ancré dans une réalité socio-économique particulièrement méconnue du public étranger. Le succès surprise de 12th Fail, grâce au bouche à oreille, remet également sur le devant de la scène l’acteur Vikrant Massey, remarquable protagoniste du sombre A Death in the Gunj (Konkona Sen Sharma, 2017). Son incarnation du personnage de Manoj, tout en retenue et en vulnérabilité, n’est d’ailleurs pas sans rappeler ce dernier rôle. Ce n’est néanmoins pas un jeune homme fragile et instable qu’il joue ici, mais un étudiant d’abord naïf et plein de bonne volonté, dont l’évolution vers la maturité et l’accomplissement personnel permet au comédien de délivrer une performance sensible et nuancée. 

Le prochain projet de Vikrant Massey ne lui offrira malheureusement pas la même marge de manœuvre. Dans la fâcheuse lignée des films de propagande qui sont produits à la chaîne par Bollywood ces dernières années, The Shabarmati Report (Ranjan Chandel, sortie prévue en août) se présente de nouveau comme un récit glorifiant le pouvoir en place et diabolisant la communauté musulmane. Si la sortie du film, d’abord envisagée en mai, a été décalée en août pour cause d’élections nationales (la démocratie n’est pas encore morte en Inde, on peut au moins s’en réjouir), sa simple diffusion sur grand écran n’est pas bon signe pour l’industrie. Il est d’ailleurs amusant de noter que toutes ces productions sont affublées de termes comme “rapport”, “dossier”, “histoire” (The Kashmir Files en 2022, ou encore The Kerala Story en 2023) ; un moyen comme un autre de sous-entendre que la vérité prétendument cachée par les ennemis de la nation serait enfin révélée à la population. Il est regrettable qu’un talent comme celui de Vikrant Massey soit gâché dans de telles réalisations.

Dans 12th Fail, son personnage, dans un vibrant plaidoyer pour l’éducation à la fin du film, prend pourtant le contre-pied de l’intolérance et des manipulations politiques des dirigeants indiens. “Les illettrés sont la banque de votes la plus fiable et sont facilement manipulables sur la base de la caste et de la religion”, souligne-t-il. Le jeune homme cite même Bhimrao Ramji Ambedkar, un des fameux pères de l’indépendance indienne et leader de la cause des intouchables. Vikrant Massey ne croit-il pas au message de son film ? Que va faire cet acteur si prometteur dans un énième bourbier nationaliste ? 

Basé sur la véritable histoire des officiers Manoj Kumar Sharma et Shraddha Joshi, 12th Fail est une œuvre porteuse d’espoir, un appel à la justice sociale et à la persévérance. La forme est parfois lourde de didactisme – le déroulé du récit est vraiment très scolaire – et souffre de plusieurs longueurs, mais le fond, par sa défense inlassable des petites gens, a une portée universelle. La description minutieuse du quotidien des candidats, souvent malheureux, aux examens dans le système notablement compétitif de l’Inde fait toute la force du long-métrage et donne à voir une réalité édifiante. Digne héritier de films sur l’éducation comme 3 Idiots ou Hindi Medium (Saket Chaudhary), 12th Fail est une production bollywoodienne marquante qui vaut définitivement le détour.   

Audrey Dugast

12th Fail de Vidhu Vinod Chopra. Inde. 2023. Projeté au Festival des cinémas indiens de Toulouse 2024 et disponible sur Netflix.

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