KINOTAYO 2023 – Ryuichi Sakamoto : Opus de Sora Neo

Posté le 2 janvier 2024 par

Pour conclure en beauté et avec émotion la 17e édition de Kinotayo, la programmation offrait au spectateur la captation d’un concert exceptionnel, celui de Sakamoto Ryuichi, filmé par son fils, peu de temps avant son décès. Un voyage musical et poignant dans la carrière d’un immense compositeur.

Le 28 mars 2023, le monde du cinéma faisait ses adieux à Sakamoto Ryuichi. Un mélomane accompli, acteur à quelques occasions, et dont les partitions ont accompagné les plus grands réalisateurs. Si le grand public associe d’office son nom au célèbre morceau Merry Christmas Mr Lawrence de Furyo, ou bien encore au Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, il est important de rappeler qu’au-delà de ses travaux avec des metteurs en scène plus contemporains (Inarritu et The Revenant, Kore-eda et L’Innocence, par exemple), il fut également membre du groupe Yellow Magic Orchestra. Une vie musicale bien remplie et versatile, trop riche pour être résumée en un film de 100 minutes. Aussi, plutôt que de revenir de manière fastidieuse sur son parcours, Sora Neo fait le choix de la simplicité et de la sobriété.

Automne 2022. Sakamoto Ryuichi est en phase terminale d’un cancer. Affaibli et trop fatigué pour se produire en public, il accepte cependant de se plier avec volonté au projet de son fils. Dans le célèbre studio 509 de la NHK, endroit légendaire à la sonorisation proche de la perfection, Sakamoto va rejouer au piano 20 morceaux. Vingt compositions qui ont jalonné son parcours, qu’elles soient issues du cinéma ou d’albums de son groupe. Il sera seul en scène, devant la caméra de son fils.

Il n’est absolument pas nécessaire d’être un béophile confirmé pour apprécier le film à sa juste valeur. Certes, la tracklist n’arrive qu’en fin de métrage, et seuls les connaisseurs sauront identifier les œuvres correspondantes lorsqu’elles sont jouées, mais pour autant le plaisir et les émotions se ressentent à un tout autre niveau.

En effet, il y a quelque chose de fascinant et bouleversant qui se produit dès que le film commence. Dans un noir et blanc sobre et feutré, la silhouette mince mais élégante de Sakamoto se dessine derrière le piano. On le sait très faible et au bout de ses forces, mais dès que les premières touches sont pressées, la magie opère. Sakamoto Ryuichi se retrouve, joue avec passion, patience et minutie ses morceaux. On se saura jamais trop ce qu’il pense et ressent lorsqu’il joue sur ce piano, se donne-t-il à fond, conscient de livrer sa dernière composition avant la fin ? Grande question, mais le spectateur assiste en tout cas à la captation d’un testament musical absolument parfait. Le voyage musical est passionnant, et au-delà du plaisir de découvrir ou redécouvrir d’ailleurs de manière sobre quelques morceaux cultes, on assiste à des petits instants presque volés entre deux morceaux. Parfois on sourit, lorsque Sakamoto se rate, va trop vite, fait un faux départ et repart de plus belle avec un petit sourire satisfait. Et parfois on est ému aux larmes lorsqu’après un morceau, il dit qu’il s’est poussé trop loin physiquement. C’est ce paradoxe dans les émotions qui est présent tout au long du film. Il y a bien entendu le plaisir incomparable de voir le génie musical au travail faire un cadeau à son public en lui offrant des relectures intimistes de ses plus grands chefs-d ‘œuvres, mais après chaque note finale et le silence qui s’ensuit, il y a ce pincement au cœur lorsque Sakamoto laisse ses doigts immobiles au dessus du clavier, moment suspendu qui précède la fermeture du feuillet de la partition, symbole bouleversant d’un artiste acceptant de ne plus pouvoir jouer sa musique.

Sora Neo prend d’ailleurs le temps de filmer son père, avec toute la sobriété et respect qui lui est voué, mettant en avant des plans de ses mains et de son visage, fatigué par la maladie mais d’où semble jaillir une énergie infinie dès lors qu’il commence à réinterpréter son répertoire. Parfois, le metteur en scène nous rappelle que nous sommes face à un hommage posthume, lorsqu’il filme ce studio vide, ce tabouret désormais inoccupé, mais que l’œuvre de son père est immortelle et qu’elle lui survivra. On sent qu’il prend un plaisir presque simple à voir son père régler son piano, redécouvrir ses partitions ou changer le rythme du tempo en cours de route. Une fascination mêlée d’admiration qui se transmet  bien naturellement chez le spectateur, témoin privilégié d’un bouleversant petit concert intimiste qui se clôture d’ailleurs sur la reprise au piano du Merry Christmas Mr Lawrence. Un morceau inoubliable dont la partition immédiatement reconnaissable est ici magnifiée par Sakamoto, conscient de livrer son dernier baroud d’honneur musical avant de se retirer.

En conclusion, au delà du simple hommage d’un fils à son père, Ryuichi Sakamoto : Opus est un merveilleux et bouleversant voyage rétrospectif dans la carrière d’un artiste aux multiples visages, un musicien dont les compositions auront accompagné des générations de cinéphiles, dans un cadre sobre et intimiste.

Romain Leclercq.

Ryuichi Sakamoto : Opus de Sora Neo. Japon. 2023. Projeté au Festival Kinotayo 2023

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