Entretien avec Okuyama Hiroshi pour My Sunshine

Posté le 26 décembre 2024 par

Nous avons rencontré Okuyama Hiroshi à l’occasion de la sortie de My Sunshine, deuxième de ses films à sortir en France après Jésus (2018). Un beau coming of age sportif confirmant les espoirs placés en le réalisateur.

Tout comme votre premier film Jésus, My Sunshine est en partie inspiré de votre expérience personnelle et de votre enfance. Est-ce que les deux jeunes protagonistes peuvent être considérés comme des doubles de vous-même et de votre sœur, notamment par la dualité entre l’insouciance du garçon et l’instinct de compétition de la jeune fille ?

Mon premier film Jésus était en effet très inspiré de mon expérience personnelle. Pour celui-ci, un peu moins même si le fait d’avoir pratiqué le patinage artistique m’a donné l’idée d’utiliser ce sport dans un film. En revanche, pour ce qui est de l’histoire et des personnages, il n’y a pas tant d’identification que ça. Cela dit, comme j’ai écrit le scénario, forcément dans l’histoire ou pour chacun des personnages, il y a une part de moi-même. Je ne peux m’inspirer que de ce que j’ai vécu, donc il y a forcément des éléments inspirés de ma vie et de mon entourage. Sans parler de Takuya, il y a notamment parmi les figures parentales du film une inspiration de gens que j’ai connu.

Il est rare dans les fictions sportives et notamment japonaises (animé, manga) de totalement évacuer la dimension de compétition, de dépassement de soi et de victoire. Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce pas de côté, à traiter du sport sous cet angle plus intime ? Et quelles sont les fictions empruntant la même approche qui ont pu vous inspirer ?

C’est vrai que le film sportif est un genre en soi qui peut avoir un aspect excitant par cette notion de l’effort et du dépassement de soi comme vous le dites. Moi en l’occurrence je voulais surtout parler des relations humaines, utiliser le sport comme prétexte. Ce ne sont pas des athlètes qui visent à devenir des professionnels, c’est une activité extrascolaire. C’est un élément qui vise à poser une situation pour les personnages et les rapprocher. Pour ce qui est des influences, Billy Elliot (2001) est un film que j’aime beaucoup, même si le sport y est plus central. Dans Somewhere de Sofia Coppola, le sport y apparaît aussi simplement en filigrane. J’avais envie de trouver un intermédiaire entre ces deux films.

Pour rebondir sur Billy Elliot, est-ce que le choix d’avoir un héros masculin pratiquant un sport à l’essence plus « féminine » pour le grand public, en contrepoint de sa première expérience du hockey sur glace, sport plus machiste, brutal et viril, était aussi une volonté ?

Ce qui a fait que j’ai choisi le patinage artistique, c’est surtout de l’avoir pratiqué moi-même. Le fait d’avoir des amis pratiquant le hockey pouvait les inciter à gentiment se moquer de moi, j’ai le souvenir d’avoir eu du mal à assumer faire du patinage et de ne pas toujours oser le dire à mes amis. Plus que Billy Elliot, c’est donc le souhait de partager cette expérience personnelle qui m’a incité à l’intégrer au film.

Tous les sentiments reposent sur des détails, des objets et des attitudes de personnages sans être explicités verbalement (les cartons contenant les anciennes photos du coach par exemple). Comment avez-vous préparé en amont, durant l’écriture du scénario, puis dans votre mise en scène, cette approche subtile, jouant sur le ressenti ?

Oui pour ce film j’avais d’emblée en tête la façon dont je voulais le mettre en scène, le fait que l’on n’explique pas les choses. Je sais que je voulais assez peu de dialogues, et en même temps, pour diriger mes comédiens j’avais besoin de leur donner des éléments d’explication pour savoir qui étaient les personnages car forcément, le script ne les nourrissait pas sur cet aspect. J’avais donc écrit une sorte de biographie que j’avais donné à chacun des acteurs pour qu’ils puissent s’y référer et avoir ces éléments en tête.

D’ailleurs, ayant casté des acteurs sachant patiner, comment faire « désapprendre » à un patineur, par quelles étapes passe-t-on pour le faire passer pour un novice à l’écran ?

Des deux acteurs, il n’y avait que pour Takuya où il fallait faire passer une certaine maladresse de débutant. Mais des deux c’est celui pour qui le patinage restait un hobby, il avait donc un niveau assez intermédiaire. C’était assez facile car il avait une très bonne condition physique donc en lui expliquant avec des mots, il a su s’adapter assez vite dans sa prestation.

Plus les trois personnages s’épanouissent, plus l’espace de la patinoire semble devenir un espace de liberté, de plus en plus épuré et à part du reste du film. J’ai l’impression qu’il y a une progression dans le récit. Une sorte de caméra isolée sur les premiers essais maladroits de Takuya au milieu du tumulte de la patinoire. Puis la photo prend des teintes colorées presque féériques lors de la première danse en couple, et enfin il y a l’entraînement en extérieur sur le lac gelé. Est-ce que c’était une progression réfléchie ?

C’était très important pour moi d’arriver avec un parti-pris clair, d’avoir des contrastes, de ne pas être dans un entre-deux. Si l’on décide d’être loin il faut l’assumer. C’est vrai qu’au départ on a d’abord le regard du coach, et pour marquer cet élément, il faut avoir cette distance, des regards en amorce avec des patineurs traversant son champ de vision avec un effet de rideau. Puis on se rapproche progressivement, sans doute à partir du moment où le coach donne des chaussures de patinages à Takuya, et à partir de là, les couleurs jusque-là assez froides se réchauffent un peu. Tout cela est une question de distance de caméra, et pour moi il fallait que l’on comprenne, que ce soit en caméra fixe ou à l’épaule, que l’on ressente vraiment où en était l’histoire à travers la mise en scène.

Au-delà de l’intrigue sentimentale autour de Sakura, amoureuse de son coach, est-ce que le fait de justement aller s’essayer à la compétition ensuite ne représente pas une régression, un retour à la normalité de la logique sportive ? Cela se ressent aussi visuellement puisqu’après l’échappée en extérieur sur le lac gelé, on retrouve l’enfermement avec le lieu du concours, dont les teintes ternes dénotent avec l’aspect de plus en plus coloré des scènes précédentes.

Pour ce qui est de Sakura, je me dis qu’elle ne sait pas elle-même ce qu’elle ressent pour son professeur. On ne sait pas si c’est un sentiment amoureux ou de l’admiration. Mais quand elle le voit avec son compagnon et les sourires qu’il lui adresse, sourires qu’il adresse aussi à Takuya, on comprend qu’elle pratique aussi la danse sur glace pour avoir droit à ce genre d’attention. Elle réalise alors que ça n’arrivera peut-être pas, ce qui explique sa déception et son comportement. C’est ainsi que je ressentais ce moment du film, mais en même temps je ne voulais pas être trop explicatif. Donc il fallait le structurer par rapport au reste du film et c’est ainsi que j’ai choisi de l’exprimer, davantage que dans une volonté de retour au réel.

Concernant justement ces sourires que le professeur exprime à la fois dans le privé et pour Takuya, est-ce que cela correspond à la lassitude ressentie vis-à-vis de sa carrière passée, et d’une fraîcheur qu’il retrouve avec le novice Takuya plutôt que Sakura plus sérieuse et compétitrice ?

Oui c’est tout à fait ça, et c’est le plaisir que prend Takuya à patiner qui incite le professeur à lui faire former un couple de danseur avec Sakura. De son point de vue à elle, c’est presque insultant, mais le but du coach est de lui rappeler que patiner, c’est avant tout un plaisir.

Je reviens sur votre travail formel par rapport à l’espace de la patinoire : est-ce que le choix de filmer dans la région d’Hokkaido s’intégrait aux partis-pris esthétiques du film ? L’intrigue pourrait tout à fait se dérouler dans la patinoire d’une grande ville urbaine comme Tokyo. Je pense aussi à une possible mentalité plus fermée, notamment concernant l’homosexualité du coach.

Si j’ai choisi Hokkaido, ce n’est pas par rapport à une mentalité fermée, cela s’est posé dans un second temps. Pas par rapport à une discrimination ouverte, mais plutôt de préjugés, mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai voulu filmer en province. Sinon le patinage est plutôt un sport d’intérieur et effectivement il y a des patinoires un peu partout. Mais si à un moment de l’intrigue je voulais sortir de la patinoire, il me fallait un lieu qui le permette d’où le choix d’Hokkaido. Il s’y trouve un lac appelé Toya, du côté de la mer du Japon et nous y sommes allés en repérage avant de décider d’y filmer. C’est vrai que si l’on regarde les films de patinage, ils sont beaucoup en intérieur et ne laissent pas passer la lumière naturelle. J’avais besoin à la fois d’une patinoire où la lumière naturelle pouvait entrer et aussi que l’on puisse en sortir pour aller dans la nature.

Est-ce que le sport a permis de questionner de manière universelle, ou plus spécifiquement liée au Japon, le rapport entre l’accomplissement personnel et l’intégration au collectif ? Ce qui s’intègre bien avec le fait que le coach soit homosexuel.

Oui le sport était un élément intéressant dans le cadre du film, notamment entre la différence entre les sports collectifs et individuels. Au départ, Takuya pratique un sport collectif, le hockey, dans lequel il a du mal à trouver sa place. Il va donc être admiratif et envieux de Sakura pratiquant un sport individuel et qui brille à ses yeux. Malgré tout, c’est le binôme qu’il va former avec elle et l’entraide qui en résulte qui est importante, c’est cette évolution qui était intéressante à marquer.

Nous demandons toujours en fin d’interview un moment de cinéma qui a marqué nos interlocuteurs.Quel serait le vôtre ?

J’adore la scène dans Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse (1956, Palme d’or du court-métrage au festival de Cannes, Oscar du meilleur scénario original, Prix Louis-Delluc ) où le petit garçon rencontre le ballon rouge pour la première fois.

Propos recueillis par Justin Kwedi à Paris le 10/12/2024.

Traduction : Léa Le Dimna

Remerciements : Marilou Duvauchelle, toute l’équipe de Makna et d’Art House.