EN SALLES – Déménagement de Somai Shinji

Posté le 26 octobre 2023 par

Survivance ressort en salles cette semaine Déménagement de Somai Shinji, un des sommets du réalisateur sur son thème de prédilection de l’observation du monde de l’enfance. C’est l’occasion de mettre en lumière un immense cinéaste, influence majeure entre autres de Kore-eda Hirokazu.

Renko, 11 ans, rêve d’une famille unie et heureuse mais voit avec douleur ses parents se séparer. La petite fille se révolte d’abord intérieurement puis finit, traumatisée, par commettre des actes insensés prouvant combien son psychisme est perturbé. D’une surprenante maturité, elle refuse cependant d’accepter la situation et son attitude devient de plus en plus extrême et dangereuse pour elle-même et son entourage.

Somai Shinji est un des cinéastes majeurs du cinéma japonais des années 80 et 90 – la prestigieuse revue japonaise Kinema Junpo le consacrera d’ailleurs meilleur réalisateur japonais des 80’s – dont l’œuvre demeure malheureusement méconnue en Occident et notamment en France où seul Typhoon Club bénéficia d’une sortie en salles. Ce film était un des sommets sur l’un des thèmes majeurs de la filmographie du cinéaste, la peinture de l’enfance et l’adolescence. Dans ce cycle, chaque intrigue part d’un bouleversement pour les jeunes protagonistes.

Celui-ci peut être symbolique (le typhon enfermant les personnages dans Typhoon Club (1985)) ou intime (le décès du père dans Sailor Suit and Machine Gun (1983)) mais constituera une étape vers la maturité des héros juvéniles à travers l’épreuve des maux du monde des adultes. Pour la jeune Ren (Tabata Tomoko) dans Déménagement, ce bouleversement va concerner la séparation de ses parents qu’elle n’acceptera jamais vraiment. La scène d’ouverture scelle à la fois le dernier moment d’union familiale, révèle les non-dits qui amorcent la rupture et surtout l’impact que cela a déjà sur Ren. Cette scène de repas dans son découpage et la disposition des personnages sépare ainsi les parents, réunis au sein d’un même plan uniquement avec Ren au centre de l’image, en tant que victime de la scission, mais aussi seul lien qui rapproche encore le couple.

L’intrigue montrera ce divorce comme une forme de soulagement chez les adultes. Pour le père (Nakai Kiichi) qui a quitté le foyer, c’est une échappée libératoire face aux responsabilités qu’impose la société japonaise aux hommes quand la mère (Sakurada Junko) y voit également une émancipation à la soumission féminine attendue – un échange vindicatif évoquant les motifs de rancœurs et déceptions de chacun. Ces subtilités et surtout cette acceptation tranquille de ce bouleversement est insupportable pour Ren. Somai situe cette perte de repères face à l’extérieur dont cette position d’enfant de parents divorcés suscite la malveillance des autres camarades de son âge pour lesquels ce modèle familial est encore peu répandu. C’est également un désordre intime où Ren se confronte à la solitude, à des responsabilités domestiques anticipées. La fillette en détresse répond à chaque situation par un excès aussi désespéré que buté.

Ses caprices provoquent un rapprochement forcé des parents qui ravivent des plaies à vif, notamment la longue séquence où elle s’enferme à la salle de bain. L’appartement illustre tout ce qui sépare la famille désormais dans chacune de ses pièces. La promiscuité du couloir remet en avant les reproches passés, la composition de plan dans le salon unit le couple par l’image mais les éloigne dans le jeu de focales, et enfin un mur empêche toute communication entre Ren et ses parents – la vitre de la salle de bain brisée par la mère, le père prostré face à la chambre de Ren. Dès lors, ce refus véhément de notre héroïne repose sur la fuite en avant, dans une course effrénée pour ne pas regarder en face un état qu’elle refuse, pour estomper des explications qu’elle ne veut pas entendre. Le traitement de Somai totalement à fleur de peau, propose une manière assez unique d’aborder ce thème du divorce.

La dimension sociale est sous-jacente mais c’est clairement la douloureuse expérience morale et physique de cette séparation qui guide la mise en scène. Cela donnera l’atmosphère pastorale tour à tour apaisante puis hallucinée et éprouvante de la dernière partie. Ren apprend à isoler le souvenir auprès de ceux ayant perdu bien plus qu’elle, et les festivités du matsuri d’été donneront lieu à une expérience mystique poignante. Les rires et les larmes s’entremêlent face au souvenir, où Ren semble enfin prête à grandir. Tabata Tomoko livre une performance bouleversante pour son jeune âge, suscitant une émotion et empathie de tous les instants. Somai Shinji s’avère définitivement un maître pour filmer l’enfance dans cette œuvre s’offrant comme un pendant japonais de Luigi Comencini sur les même thématiques (L’Incompris (1966), Eugenio (1980)…). Le film sera présenté dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 1993, mais sans que cela débouche sur une reconnaissance du cinéaste en France. Cette ressortie est enfin l’occasion d’y remédier.

Justin Kwedi.

Déménagement de Somai Shinji. Japon. 1993. En salles le 25/10/2023.

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