UDINE 2012, Far East Film Festival – Jour 3 : Hallucinations Collectives

Posté le 23 avril 2012 par

On me demande parfois à quoi je carbure pour tenir mon frénétique rythme de visionnage, mes nombreux déplacements et la multiplication de mes activités. Bah, à la passion, pardi… À ma passion pour le cinéma et pour le cinéma asiatique plus spécifiquement. Le cinéma asiatique est ma came, celle qui tient tous mes sens en éveil, me fait passer moultes nuits blanches et finira par avoir ma peau, ça c’est sûr. Par Bastian Meiresonne.

Le cinéma asiatique n’a pas seulement un effet dopant et euphorisant sur ma personne ; il arrive aussi parfois qu’il me fasse vraiment kiffer, triper, halluciner. Une sorte de pétard amphétaminé, quoi… En cette journée du lundi, c’est exactement ce qui s’est passé.

Après une poignée d’heures de sommeil, direction au pas de course au Teatro pour le début de la rétrospective dédiée au cinéma coréen des années 1970. Je pense rédiger un billet à part pour donner des explications plus amples sur cette période précise de la cinématographie coréenne ; mais voici quand même quelques mots sur les films de la journée.

Pensant démarrer en douceur avec un petit spliff sous forme de drame familial en huis clos, Pollen (trad. littérale Pollen of flowers) tenait pourtant davantage du trip LSD avec mauvaise descente. Premier long métrage du futur réalisateur culte de March of fools, cette adaptation d’un roman de 1939 de Lee Hyo-seok raconte l’explosion d’une drôle de cellule familiale. Soit un riche industriel, Hyun-ma, qui vit avec son épouse et la sœur de cette dernière (que l’on devine également sa maîtresse – ou du moins objet de tous ses désirs) dans une belle villa. Un jour, il ramène son secrétaire particulier (et amant occasionnel) pour s’occuper de la jeune sœur. Or, cette dernière vit son premier jour de règles (à 21 ans) et, humiliée, s’enfuit de la propriété. Le secrétaire la poursuit et par un concours de circonstances, ils passeront la nuit ensemble en ville. Ce qui déplaît fort au richissime industriel, qui va traquer les amants d’infortune, résultant en une hallucinante séquence de poursuite, le riche homme au volant de sa voiture, qui tente (vainement) d’écraser son jeune secrétaire sur une plage abandonnée. Bref, le patron ramène sa maîtresse et enchaîne (!!!) son employé dans la grange. Dès lors, toute la maison se détraque avec la jeune femme pétant les câbles, le riche propriétaire incapable de faire l’amour à son épouse en souffrant de crises d’épilepsie et une domestique libérant des rats dans la chambre à coucher de ses maîtres et tapant frénétiquement sur un tambour pendant des heures. Si la dernière demi-heure ne tient peut-être pas les promesses de l’impressionnant prologue, elle n’est pas sans rappeler le cinéma révolté d’un Passolini auquel Ha Kil-chong fut souvent comparé. Marquant.

La suite du programme n’était pas en reste avec Iodo de Kim Ki-young (The Housemaid). Film « trouvable » sur le Net, il fut ici projeté dans sa « version intégrale », miraculeusement retrouvée au Japon, où il avait été jadis projeté au Festival de Tokyo, tandis que les négatifs coréens furent charcutés par la censure. Difficile de résumer cette œuvre atypique, qui raconte – grosso modo – l’enquête d’un jeune entrepreneur pour tenter de prouver son innocence dans la disparition d’un homme de son bateau. Ce dernier s’est volatilisé après avoir pris connaissance de la destination de leur voyage : l’île de Iodo, en fait une île légendaire de laquelle aucun homme n’est jamais revenu. L’entrepreneur enquête sur une île uniquement peuplée de femmes, femmes qui cachent bien des mystères. Si le film connaît certaines longueurs, impossible d’en prévoir la suite à aucun moment jusque dans son dénouement assez logique, mais ô combien choquant. Iodo est réputé pour « THE » plan (qu’il serait criminel de révéler), mais même en connaissance de cause, impossible de ne pas se manifester, comme ce fut le cas dans la grande salle du Teatro, parcourue par un énorme frisson de la part de toute l’audience.

Personnellement, je me suis passé des hot-dogs vendus tout près pour le restant de la semaine (et même avec cet indice, vous ne devinerez JAMAIS la nature exacte du fameux plan).

La barre était haute pour la suite de la journée et ce n’est certainement pas l’indonésien Kentut, qui allait pouvoir la relever. En fait, ce… vide cinématographique s’est pris les pieds dans son propre sujet avant même d’avoir atteint la fameuse barre… Et pourtant, ce bras de fer politique entre une politicienne de gauche, proche du « petit » peuple et un candidat bling-bling de droite, qui – en lieu de projet ou de programme – ne balance que des promesses sans fond, tombait à pic pendant notre propre combat des coqs français. Sauf que… sauf que… comment dire, la première demi-heure dresse donc un portrait sommaire des deux candidats qui vont finir par s’affronter longuement à la télévision. Elle tient un discours tout à fait sérieux et censé, tandis que lui tente de charmer par son physique, ses gimmicks et esquive des vrais débats de fonds. Les joutes verbales regorgent d’allusions à la situation politique indonésienne parfaitement compréhensible de tous, mais les gags sont beaucoup trop rares pour réellement captiver.

REBONDISSEMENT : la candidate de gauche est victime d’un attentat et est blessée d’une balle. Entre la vie et la mort, les médecins attendent qu’elle lâche un « kentut », un pet pour ne plus engager son pronostic vital. Oui, dès qu’elle aura lâché son pet, elle aura survécu. Bref, la mobilisation du « peuple » à l’extérieur de l’hôpital permet au réalisateur Aira Kusumadewa de dresser un joli portrait des différentes couches sociales et religieuses, entre moines bouddhistes, extrémistes musulmans, nonnes catholiques et même d’obscurs cultes innommables. Il s’agit donc d’une satire politique, assez hallucinante dans le paysage cinématographique indonésien (surtout pour la présence du comique Deddy Mizwar dans le rôle principal et de celui du producteur), mais qui tourne beaucoup trop rapidement en rond. Il aurait mieux fallu en tirer un court ou moyen-métrage plus ciblé et incisif  pour totalement convaincre. En l’état, Kusumadewa confirme son statut de trublion indépendant, absolument nécessaire dans l’actuelle configuration cinématographique indonésienne cadrée, passionnant pour les chercheurs et cinéphiles, mais ô combien horripilant pour un public plus « généraliste ».

Kentut pourrait donc s’apparenter à cette fameuse « baisse de régime » liée à toute absorption de produit illicite avant de rebondir – vite, vite, une sucrerie pour reprendre du poil de la bête. Celaa tombe bien avec The Great Magician de Derek Yee, on a eu la bonne dose de romance / guimauve et d’action dopante pour repartir. Ce qui ne veut pas dire, que la dernière production du réalisateur du Shinjuku Incident soit d’une réussite exemplaire. En fait, elle fait partie de ces sempiternelles productions voulant à tout prix conquérir le marché chinois. Largement financé par des producteurs du vieux continent, Yee s’inspire également du récent engouement pour les spectacles magiques en Chine pour imaginer une histoire en deux temps. Soit une première partie assez captivante, pleine de tours de magie et d’effets spéciaux, durant laquelle une troupe itinérante tente de faire « disparaître » un militaire haut gradé au cours de l’un de leurs spectacles. Et puis RUPTURE DE TON, on tombe dans une gaudriole vaudevillesque durant laquelle le casting quatre étoiles cabotine à outrance, sans que l’on se sente vraiment concerné. Pour rester dans la « thématique » de la journée, ce serait un peu comme rejoindre des amis déjà saouls ou défoncés au cours d’une soirée. Ce n’est pas forcément désagréable, mais on ne se sent pas vraiment intégré au groupe.

LA suite du programme, ce serait un peu la continuité de la comparaison de la fin du dernier paragraphe : on a rejoint les potes et roulé un bon cinq feuilles / vidé la bouteille de vodka pour « rapidement » les rejoindre – sauf que – forcément – on n’a pas été au même rythme et l’on se retrouve dans un état quasi second. On bloque. Song of silence, c’est exactement cela : film chinois typiquement auteurisant (que certaines mauvaises langues ont reproché d’avoir été pensé et conçu pour un « circuit festivalier »), cette histoire d’une jeune ado sourde-muette trimballée entre sa mère et son père permet à son réalisateur de multiplier les lents plans contemplatifs et longs moments de silence. Ce n’est pas désagréable en soi, notamment en raison de l’admirable interprétation des principaux protagonistes, mais il manque un certain cachet d’authenticité. Ce premier film souffre également de la plupart des problèmes inhérents au genre avec un réalisateur redoublant d’énergie pour accumuler toutes les misères du monde. Rien ne sera épargné au spectateur : depuis un simili-viol, en passant par un avortement, un suicide et que-ne-sais-je encore. Et pourtant, et pourtant, sous le poids écrasant d’illustres prédécesseurs semble parfois pointer un talent plus personnel, comme dans cette magnifique description de trouvailles de deux jeunes femmes aussi paumées l’une que l’autre, et qui vont finalement réussir à dépasser leurs préjugés pour unir leurs forces face aux affres de la vie. Dans ces moments, la caméra de Chen Zhuo épouse littéralement le corps et l’esprit de ses jeunes actrices, en les scrutant au plus près. C’est sans doute également le fruit d’un long travail préparatoire (12 mois) entre le réalisateur et ses acteurs pour obtenir des moments d’une beauté aussi fulgurante.

On terminera la journée / nuit sous ecsta par la comédie acidulée Sukiyaki. Un film à sketches autour de la thème de la bouffe, réalisée à deux mains par le seul Maeda Tetsu, ancien assistant de Takia Yojiro, Itami Juzo, Higashi Yoichi et Kurosawa Kiyoshie et réal du consensuel School days with a pig. On aime ou on n’aime pas ce genre de film, souvent tape-à-l’œil, et servant surtout leurs réalisateurs à expérimenter genres, effets et différents types de mise-en-scène, comme il est largement le cas ici. Dans le cas présent, un jeune yakuza rebelle intègre une cellule de quatre prisonniers, qui ont pour habitude – chaque Noël – de raconter leur meilleur souvenir de repas. Ces expériences culinaires serviront de passage en revue de plats typiquement japonais, mais permettront également d’en dévoiler un peu plus sur chaque protagoniste. Un film de type fast-food, vraiment, aussitôt vu, aussitôt oublié et où il y à boire et à manger ; l’avantage, c’est qu’un segment ne met jamais longtemps à finir pour entamer le démarrage d’une autre histoire.

Cette journée d’hallucinations collectives aurait pu se terminer de manière parfaite, mais la projection du désopilant My own swordsman a malheureusement été reportée au jeudi pour des raisons techniques. Retour à la vie, donc, mon autre came…

Du côté de la table ronde quotidienne, les invités taïwanais (Giddens, une représentante de Sony) et coréens (le réal de Dangerously excited) dressaient un portrait assez intéressant de l’industrie de la musique et de son étroite relation avec le cinéma.

Bastian Meiresonne.

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