Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ce mois-ci, zoom sur un festival incontournable au Japon : le Tokyo Filmex.
Apparu au tournant du siècle, le festival Tokyo Filmex, mené par Ichiyama Shozo, trouvait d’emblée une place importante aux côtés de celui de Busan. Hong Kong battait de l’aile, la Chine préparait son réveil, et TIFF s’affichait comme un enchaînement d’avant-premières de films ayant déjà un distributeur faisant de l’ombre à son ersatz de compétition officielle.
Filmex rassemblait le cinéma indépendant d’Asie, élargissait le continent en révélant des cinéastes de l’Inde, de l’Iran, de Thaïlande. Il consacrait des rétrospectives à des cinéastes japonais singuliers, en marge de l’histoire, à l’image de l’immense Nakagawa Nobuo de ShinToho, dont les films furent montrés par la suite à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Les Cahiers du Cinéma Japon existaient encore et ce qu’il restait d’une cinéphilie nippone s’aiguillait sur le regard de Hasumi Shigehiko. Ce dernier, francophile comme chacun sait, collabora rapidement avec Jean-Michel Frodon, durant ces années directeur des Cahiers à Paris, qui participa au chantier pour l’émergence d’un nouveau cinéma chinois et iranien au Japon.
FilmEx recevait d’importantes subventions de l’Etat, auxquelles s’ajoutait la participation de sponsors, notamment Agnès B, ce qui permit au festival d’avoir son t-shirt, et enfin l’apport d’Office Kitano, qui allait devenir producteur de films iraniens, mais surtout du cinéaste Jia Zhang-ke.
Kurosawa Kiyoshi, Aoyama Shinji, Shinozaki Makoto étaient des fidèles, on y projetait même les premiers longs-métrages de Kore-eda. Puis peu à peu, tous ces repères se mirent à s’effacer, fragilisant d’une édition à l’autre la forme même du festival.
Il faudrait revenir sur cette histoire qui se fissurait, qui a changé la donne au Japon pour l’ensemble de la profession. Ainsi, il fut un temps où chacun des cinéastes émergents des années 90 composait sa famille de comédiens, en révélaient de nouveaux, où des départements cinéma de grandes universités, dont Tokyo Geidai, où intervenaient Kurosawa, Aoyama, etc. infusaient aux étudiants le devenir d’une œuvre. Un département dont le président d’honneur était Kitano Takeshi.
Il y a bientôt quinze ans, le système de production opérait une métamorphose profitable aux producteurs tout en scellant le sort d’un cinéma d’art et d’essai. Le mariage entre les agences d’impresarios et les chaînes de télévision mena à un engouement du public pour des films dont le nom du réalisateur importait moins, et faisait des talentos les stars cinématographiques du nouveau millénaire. Le cas de Kore-eda est probant : les leading men de ses films depuis plus de dix ans, Hiroshi Abe, Lily Franky et Fukuyama Masaharu traversent les pubs, les feuilletons télé et émissions de variétés.
Quelque chose qu’on ne peut plus nommer ‘cinéphilie’ s’infiltre dans ce paysage. La méthode vient boucler la boucle avec la Palme d’or cette année pour Une Affaire de famille de Kore-eda.
C’est dans ce contexte qui Kitano annonçait ce printemps qu’il se retirait d’Office Kitano, qu’il avait fondé en 1992, y créant sa ‘famille’ d’acteurs, la Kitano’s Army. Tokyo Filmex devait ainsi rapidement trouver un sauveur, le groupe Kinoshita, propriétaire de maisons de retraite, du distributeur Kino Films et de l’agence de talentos Dongyu Club. Ichiyama Shozo y occupera des fonctions semblables à celles qu’il menait pour Office Kitano. La prochaine édition se tiendra comme prévue, en novembre et nous dira si tout cela porte un parfum d’akibiyori. Le festival continue, et ses échos, de Kinotayo à Nippon Connection, également proches de TIFF, se feront entendre hors du Japon.
DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin
À lire tous les seconds mardis du mois sur East Asia
DC Mini : un appareil à sonder les rêves des personnages du film Paprika, de Kon Satoshi, adapté du roman de Tsutsui Yasutaka.
Troisième chronique Japon pour un site consacré au cinéma : la première, No-Otaku, remonte au tournant du millénaire, pour Objectif Cinéma, que menait Bernard Payen de la Cinémathèque Française, la seconde, SoOtaku, plus conséquente, fut pour les Cahiers du Cinéma, avec le concours de Laurent Laborie et Jean-Michel Frodon. Enfin, celle-ci pour East Asia, avec Victor Lopez. Une chronique pour aborder ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus.
À cet égard, Kon Satoshi, qui a réalisé une œuvre sans faute, faite de strates, incarne un des derniers grands rêves du cinéma japonais, profondément lié à l’histoire de cette cinématographie (Millenium Actress) mais aussi à ce qui créait fractures et autres tremblements dans le Japon contemporain (Perfect Blue, Paprika, Paranoia Agent, Tokyo Godafathers).
Une oeuvre toujours à proximité. Une parenthèse pour souligner une complicité qui remonte au moment de la sortie au Japon de Perfect Blue, que je signalais à un collègue qui programmait la sélection asiatique d’un festival canadien. Le film fut récompensé, et je découvrais par ailleurs que Ikumi Masahiro, qui avait composé la musique du film, était déjà un ami de Tokyo. Un premier entretien pour HK Extrême Orient eut lieu, et par la suite, Kon Satoshi et moi nous discutions en amont de chacune de ses sorties, souvent dans son studio. Affiches et livres dédicacés, scellées.
Cette chronique accompagne le moment où j’exhumais l’affiche de Paprika, suite à une conférence donnée à Edinburgh.
Stephen Sarrazin.
À lire aussi :
DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 1 : Unforgiven (sur Dans un recoin de ce monde)
DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 2 : Dimmer (sur Vers la lumière)
DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 5 : Osugi Ren, last man standing
DC Mini, la chronique de Stephen Sarrazin – chapitre 6 : Festival des ex, les aléas de Tokyo Filmex