Le festival Kinotayo a été cette année l’occasion de nous découvrir le troisième long-métrage de Kaneko Masakazu, réalisateur particulièrement attaché à la nature et à la mise en scène de la beauté de son pays. Il revient cette fois-ci à son activité préférée, le portrait d’une rivière de la région de Giju, en mélangeant l’adaptation d’un roman local et la création d’un conte des origines.
En 1958, un enfant découvre le récit d’un kamishibai (une pièce de théâtre itinérante racontée à l’aide de dessins) sur les origines des typhons de sa région. Alors qu’un élément du conte vient à sa rencontre, il décide de sauver son village.
Le réalisateur affirme qu’on est venu le chercher pour lui proposer le projet, qui s’accordait à ce point à ses préoccupations qu’il a tout de suite accepté quitte à s’éloigner du roman qu’il adaptait, Stand By Me 1958 de Matsuda Yuya, dont il n’a repris que l’année de déroulement et le rapport au souvenir auquel il a adjoint un conte. Le personnage point de vue est un enfant, ce qui invite à se replonger dans un regard naïf, innocent, prêt à admirer la beauté de la nature. Délibérément, le réalisateur choisit de filmer de la même façon la légende et la réalité, afin de les fusionne. On passe de l’un à l’autre par la fenêtre du dispositif du kamishibai, à un moment ou l’absence d’un nouveau dessin fait de l’encadrement une fenêtre vers ce monde littéralement réenchanté, miroir du monde réel où on a oublié le respect de la nature et où on envisage de détruire les derniers arbres. C’est d’ailleurs la force et la faiblesse du film, qui va jusqu’au bout dans son effacement de la distinction entre les temporalités, en assumant son parti pris, mais il prive aussi par là la conte de toute épaisseur onirique et l’ancrage dans le Japon de l’après-guerre n’en devient que plus incident, sans réelle importance ni pour le récit ni pour son esthétique. Le titre original signifie « la rivière brillante » et c’est bien ce qui intéresse le réalisateur, l’histoire racontée est bel est bien au service du paysage décrit.

Les acteurs sont sympathiques mais un peu inégaux dans leur maîtrise du code de jeu choisi ; Yo Aoi en particulier ne semble pas tout à fait à son aise dans le rôle du charpentier de la montagne dont la beauté ne compense pas le jeu peu incarné, alors que Hanamura Asuka apporte plus d’intensité à son amoureuse tragique, plus à l’aise dans le style du réalisateur qui fait plus appel à l’intériorité qu’à la démonstration. Les rôles secondaires sont tous occupés par des acteurs chevronnés, qui font leur office, mais servent surtout à donner un peu de relief à l’histoire d’amour impossible. Il y a quelque chose de volontairement un peu étrange dans la direction d’acteur, on sent une volonté de créer un conte des origines, mais sans le jusqu’au-boutisme d’Imamura… Il y a quelque chose de trop propre pour un conte, l’auteur joue un peu avec la thématique du coût irréparable avec le bras coupé, mais il évite la cruauté inhérente au genre. Du point de vue de la structure, le film est un peu étrange, choisissant de placer la légende au milieu, plutôt qu’au début, à l’origine, comme on le ferait spontanément, semblant ainsi mimer la dérive du bol au fil de la rivière. Dans l’ensemble, le film choisit de se situer sur le mode mineur. Toujours modeste, il tente de dégager la nostalgie d’une chanson populaire, charmante mais un peu désuète, plutôt que d’embrasser l’inquiétude inhérente à la dimension fantastique du récit. C’est un choix de réalisation plus qu’un potentiel défaut, mais tout glisse comme de l’eau, les éléments s’imbriquent par hasard les uns à la suite des autres, dans une logique semi-onirique qui joue sur la naïveté.
Le but premier du réalisateur est de célébrer la nature d’une région précise ; il a même fourni un document permettant de visiter les différents lieux du film. Officiellement, tout le métrage est filmé en lumière naturelle, mais le soin apporté à l’étalonnage et à la photographie est tel qu’étrangement les lumières semblent peu naturelles, à la la limite de la carte postale, dans une volonté constante d’idéaliser la région de Giju. Ce n’est ni un film social sur la société de 1958, la mention initiale de la date restant un peu comme un vestige du roman initial, ni un conte cruel sur l’origine des typhons ; c’est l’insertion du regard naïf d’un enfant dans le récit mythologique, comme un refus de la tragédie, pour conserver la beauté de la nature, en en exorcisant l’horreur. Tout le film repose sur l’idée d’une Ophélie qui ne serait pas entraînée par les flots, d’une réconciliation des hommes avec leur environnement. Qu’on adhère ou pas avec les choix esthétiques du réalisateur, force est de reconnaître qu’il s’agit d’un joli film, fragile mais avec une vision claire, simple et classique mais efficace. Son choix de se situer à hauteur d’enfant, dans une naïveté assumée, lui permet de revendiquer un ton particulier, à la manière du récit du kamishibai.

Florent Dichy.
River’s Return de Kaneko Masakazu. Japon. 2025. Projeté au Festival Kinotayo 2025.




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