FFCP 2024 – Classiques : une Histoire bien animée

Posté le 26 novembre 2024 par

L’une des bonnes surprises de cette édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) est le retour des séances dédiées aux classiques du catalogue de la Korean Film Archive. Cette année, la sélection était composée de trois films d’animation : l’adaptation du classique littéraire A Story of Hong Gil-dong de Shin Dong-hun (1967), le conte joué par des marionnettes Kongjui et Patchui de Gang Tae-ung (1978) et le film d’aventure patriotique General Ttoli: 3rd Tunnel de Kim Chung-gi (1978).

A Story of Hong Gil-dong est l’adaptation d’un roman classique basé sur un bandit du XVIe siècle, et plus précisément une animation de l’adaptation en bande dessinée de ce roman, par le propre frère du réalisateur. C’est un film matriciel, premier long métrage d’animation coréen, sur un héros patriote (certains prétendent que son roman est l’un des premiers textes écrits exclusivement en hangeul, sans idéogrammes). La conception du film semble avoir été elle-même une aventure, avec la réutilisation de pellicules utilisées par l’armée américaine et un apprentissage à marche forcée des techniques nécessaires à un tel projet. Esthétiquement, c’est un film assez étonnant, avec des arrières plans évoquant souvent les estampes et une fluidité des corps qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres de Tezuka, ou même des frères Fleischer (une scène avec des squelettes dansants ressemblant fatalement un passage emblématique de Minnie the Moocher…). L’ensemble a fatalement vieilli, avec des animations parfois un peu simplistes ou des boucles qui se répètent ostensiblement, en particulier lors du combat final, mais l’ensemble garde un charme certain, avec des combats, des monstres, des magistrats corrompus, de la magie et son héros au cœur pur entre Robin des Bois pour sa fonction de folk hero et Son Wukong avec son nuage. Pour les curieux, le film est légalement disponible en haute définition et sous-titré en anglais ici, accompagné d’une de ses suites.

Kongjui et Patchui est le deuxième long métrage de Gang Tae-ung, pionnier de la stop motion coréenne qui joue ici sur la forme du conte. La proximité du conte originel avec Cendrillon semble presque moquée par la présence des animaux. Si les oiseaux sont comparables à ceux de Disney, les autres habitants de la forêt sont bien plus malicieux et inquiétants (il y a quelque chose des lapins de David Lynch dans l’animation parfois hasardeuse de ces corps entre le jouet d’enfant et modèles de taxidermiste), et le sadisme est bien plus assumé, comme dans tout bon conte traditionnel. La dimension spirituelle du conte est aussi bien présente avec la reconnaissance de la vertu de l’héroïne par divers avatars bouddhiques, confrontée au prosaïsme arriviste de la marâtre et de la délicieusement odieuse et repoussante sœurâtre… Ce qui distingue définitivement ce conte de Cendrillon est sa deuxième partie, où on glisse dans le film de fantôme, avec sa chamane maléfique, son corps métamorphosé et sa fleur portant le spectre de la jeune femme noyée, les marionnettes se prêtant particulièrement bien à ce jeu sur l’inquiétante étrangeté. Si on peut déplorer que le film renonce à la punition cannibale finale, toute droit sortie de L’Investiture des dieux et du sort tragique de Bo Yikao, il se rattrape en nous offrant une scène d’horreur assez graphique, réduisant à zéro l’effort de mansuétude des protagonistes. On reconnaît des influences culturelles mondialisées, mais l’esthétique globale reste profondément coréenne. On peut aussi apprécier le détail final du salut général, pour rappeler les origines théâtrales du spectacle de marionnettes, qui permet aux plus jeunes de relativiser les moments terribles du dernier acte (sanglant, comme il se doit, quelque belle que soit la comédie en tout le reste). Encore une fois, ce conte pour enfants pas sages est disponible ici.

General Ttoli: 3rd Tunnel de Kim Chung-gi est un film dont la  dimension de document historique est clairement visible : après le succès de Robot Taekwon V, le réalisateur est approché par la Fédération des Jeunes Anticommunistes pour produire un film de propagande contre la Corée du Nord. Il en résulte un objet improbable où un héros à demi nu, sorte de Tarzan des forêts coréennes, ami des animaux, va affronter les bêtes nord-coréennes pour les beaux yeux d’une jeune fille au visage tout droit sorti de Candy Candy. Dans une subtilité toute relative, les communistes sont littéralement représentés comme des animaux qui affament les humains et les rééduquent dans leurs écoles,  et les soldats sont des loups brutaux, sous les ordres du fourbe camarade Renard. Il y a quelque chose de déconcertant à voir la représentation des populations nord-coréennes dont la souffrance est exposée de façon pathétique et réaliste, se juxtaposer à un loup animé en train d’agiter son fouet ou à un renard leur reprochant leur discours réactionnaire. Le chef communiste est d’ailleurs un porc portant un masque humain, habillé comme une sorte de moine démoniaque. L’animation est assez aléatoire, avec des moments soignés qui alternent avec des moments qui rappellent le pire de l’animation japonaise, avec des plans statiques et flous, des boucles réutilisées en dépit du bon sens, pour meubler lors des passages musicaux (et tant pis si les lèvres des personnages s’agitent sans raison), et des mouvements de tête presque terrifiants. Kim Chung-gi s’est inspiré de Go Nagai, jusque dans le côté cheap de sa production, mais, comme lui, il a réussi à rentabiliser ses créations avec des franchises, le Général Ttoli étant revenu plusieurs fois par la suite. Malgré ses évidentes faiblesses techniques, le film sait aussi être distrayant, avec sa bande son entraînante et ses situations improbables, dans un style désuet. Il est peu probable que ce film soit de nouveau projeté en France, ce qui rend d’autant plus unique ce choix du FFCP, mais pour ceux qui en ont été privé, encore une fois, le film est visible ici.

Pour ceux qui voudraient enrichir leur connaissance du cinéma d’animation coréenne, la KFA offre maintenant une chaîne dédiée en plus de sa chaîne principale. Et l’indispensable Bastian Meiresonne propose aussi une rapide rétrospective sur sa page Hallyuwood, riche complément de son déjà très généreux Hallyuwood.

Florent Dichy

A Story of Hong Gil-dong de Shin Dong-hun, Kongjui et Patchui de Gang Tae-ung, General Ttoli: 3rd Tunnel de Kim Chung-gi. Corée du Sud. 1967-1978. Projetés au FFCP 2024