NIFFF 2021 – The Scoundrels de Hung Tzu-hsuan : Gangs of Taiwan

Posté le 7 juillet 2021 par

Depuis quelques années, l’industrie du cinéma de Taïwan s’ouvre à de nouveaux genres et de nouvelles approches jusqu’ici peu explorés en comparaison de pôles asiatiques comme Hong Kong ou la Corée du Sud. Dans le cadre du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) 2021 est sélectionné le premier ouvrage de Hung Tzu-hsuan, The Scoundrels, film d’action explosif dans le monde souterrain de la pègre taïwanaise.

Rui, autrefois MVP populaire de basketball à Taïwan, tombe peu à peu dans la désuétude, s’endette auprès de personnages peu scrupuleux, et gagne tant bien que mal sa vie en travaillant dans un parking, puis pour un gang local. Une nuit, sa voiture est prise d’assaut par un braqueur avec qui il s’alliera, devenant le centre de l’attention des forces de police. Débute alors une traque sans retour.

Bien que Taïwan soit un centre privilégié pour le cinéma d’action, avec le succès de films de gangsters comme Monga (2010) de Doze Niu, Godspeed (2016) de Chung Mong-hong ou de toute une vague de black movies dans les années 1980, l’imaginaire du crime est peu de choses face aux industries hongkongaises et sud-coréennes. C’est justement en cela que Hung Tzu-hsuan puise toute sa force pour son premier long-métrage, The Scoundrels, qui s’apparente à bien des égards à ce que l’on voit dans le cinéma coréen. D’abord, les ruptures de ton caractéristiques de la péninsule se retrouvent ici, dans un film naviguant entre la comédie noire et le thriller avec une aisance bien particulière, étayé de nombreux concours de circonstances et d’imprévus pour un rythme qui ne faiblit jamais. Le personnage de Rui, interprété par J.C. Lin, est embarqué malgré lui dans des manigances et des spirales criminelles plus inattendues les unes que les autres, où se révèle en quelque sorte un buddy movie avec celui qui deviendra son partner in crime, Ben, interprété par Wu Kang-ren alias Chris Wu. On pense tout de suite aux complicités improbables des films de Guy Ritchie côté Europe, et à ceux de Johnnie To côté Hong Kong, dont la signature musicale est par ailleurs ressentie dans The Scoundrels. Hung emprunte également beaucoup au charisme des figures mafieuses de Corée du Sud et de Hong Kong, notamment pour l’attitude nonchalante et le code vestimentaire, là où à Taïwan se dessinent plutôt des gangs de rustres en chemises à fleurs débraillées, en débardeurs et en sandales, à l’instar du Goodbye South, Goodbye (1996) de Hou Hsiao-hsien.

Sans être nécessairement violentes, les chorégraphies des combats insufflent du punch à ce long-métrage sous tension permanente. De pertinentes petites idées de mise en scène sont ainsi distillées, aussi Hung se permet-il quelques expérimentations audacieuses comme les scènes d’action en fish-eye évoquant la focale du coréen The Villainess (2017) de Jeong Byeong-gil, ou des jeux de ralentis et d’accélérations convoquant (sans doute de manière inconsciente) la scène de l’église dans Kingsman. Ces démarches stylistiques sont une force à ne pas négliger puisque le film en devient explosif, détonne avec le sérieux du reste, et effleure même parfois le plaisir jubilatoire quand les gangsters tombent sous les coups imprécis mais brutaux des deux protagonistes. La scène du restaurant est un bon exemple pour illustrer cet allègement de la frénésie ambiante tout en gardant le tempo : Ben fait tomber son arme dans de l’eau bouillante en cuisine, parvient à la récupérer en frappant son adversaire avec une passoire, puis revient dans la grande salle et tente de tirer en l’air pour apaiser les conflits, avant de se rendre compte que son arme doit sécher avant utilisation, erreur de débutant qui lui vaudra trois nouveaux gangsters enragés sur le dos.

Néanmoins, l’ensemble peut parfois sembler excessif, voire paradoxalement trop nerveux. Le montage a en effet tendance à sur-cut l’action, la photographie à sur-styliser la moindre scène, et le rythme à ne jamais prendre le temps de respirer pour que surgissent des temps clés mémorables. Mise à part la relation principale, peu intéressants sont les personnages féminins interprétés par Lee Chien-na et Nikki Hsieh, peut-être car leur présence n’est utile que pour le développement de Rui et de Ben, ainsi que pour leur apport au retour à la vie normale envisagée. Un effet de style réussi et entreprenant en accompagne souvent un discutable, comme si Hung ne cherchait pas à harmoniser sa réalisation, de même que l’intrigue, certes bien ficelée, mais qui a tendance à se perdre et à artificialiser le déroulement des enjeux dramatiques. Afin de profiter comme il se doit de The Scoundrels, le moyen idéal semble alors être d’accepter ces défauts représentatifs d’un premier film, de savourer son ardeur autant que sa témérité, et bien entendu de déguster le rôle surprise de Jack Kao, toujours aussi imposant qu’à l’époque.

Quand bien même cette réussite soit inégale, Hung Tzu-hsuan signe un film d’action endiablé sinon impétueux, manquant parfois le coche mais au combien satisfaisant à regarder. The Scoundrels est la promesse d’un futur brillant pour le jeune cinéaste taïwanais, âgé de tout juste 30 ans, d’ores et déjà sélectionné aux festivals du film de Kaohsiung et de Busan en 2018, et bien décidé, s’il le faut, à bousculer le paysage du gangstérisme dans le cinéma insulaire. Son nouveau long-métrage, Cuillère (2021), est sorti en début d’année à la télévision. Espérons qu’il franchisse un jour les frontières de Taïwan afin de pouvoir le découvrir, peut-être dans le cadre d’une prochaine édition du NIFFF.

Richard Guerry.

The Scoundrels de Hung Tzu-hsuan. Taïwan. 2018. Sélectionné au NIFFF 2021.

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