Cette année, le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) projette Choke, le premier film du réalisateur Gen Nagao, le récit d’une étrange dystopie en noir et blanc…
L’humanité a perdu la parole et vit comme à l’âge de pierre dans des bâtisses abandonnées. Notre héroïne vit seule dans un grand immeuble et fera l’amère rencontre de plusieurs hommes, un groupe de trois bandits venus la dépouiller et la salir, ainsi qu’un jeune homme séduisant et charmant mais doté d’une face sombre…
Choke présente deux aspects. En premier lieu, c’est un film dans un noir et blanc somptueux qui se sait se montrer ludique. Bien que vivant à l’âge de pierre, les protagonistes sont vêtus de tissus tout propres, impeccablement coiffés, et cela n’est pas gênant ni incohérent (dans un premier temps). En effet, on sent que Nagao Gen a voulu jouer avec ce contexte en le mettant en scène, comme si les êtres humains dépeints étaient des enfants jouant dans un grand bac à sable. Si l’héroïne fait l’expérience de la brutalité des hommes, certains passages se révèlent tendres et joyeux, ce qui ne fait jamais sombrer le film dans l’horreur, mais au contraire offre une tonalité légère au film, rêveuse et détachée.
Cela étant dit, la seconde facette du film, celle qui concerne la violence des personnages masculins et tout le segment final du film, se révèle forcément moins puissante. Comme le film ne tombe jamais vraiment dans l’angoisse par sa tonalité, malgré les meurtres, le viol et les cauchemars de l’héroïne qui la fait craindre un autre assaut d’un homme, il est difficile de trouver convaincante toute la portée politique du film. Par ailleurs, la façon dont s’agencent les relations hommes-femmes paraissent très schématiques et semblent presque obéir à certains clichés du genre – l’héroïne est constamment nourrie et aidée par d’autres personnages, tous masculins : un vieil homme qui fait office de mentor et qui ne la trahira jamais, et son compagnon arrivé au milieu du film, qui lui construit un système d’arrivée d’eau. Ce petit ami, censé se révéler cruel, a tout pourtant du beau garçon doux et tendre, coiffé comme à la mode japonaise actuelle et il offrira d’abord de la sérénité à l’héroïne. Il y a quelque chose de dissonant dans la façon de le représenter et surtout de le faire jouer.
Que retenir alors de ces deux pôles opposés ? Choke est un premier film probablement involontairement ambigu. Il sait se montrer généreux dans son approche cinématographique, en profitant d’un décor abandonné et de tenues fantasques, qu’on pourrait rapprocher de bandes dessinées comme Rahan ou d’autres œuvres de science-fiction des années 70, en version cinéma petit budget de passionné. En supprimant la parole à ses personnages, il rend par ailleurs le langage de son film universel, dans la lignée de La Guerre du feu, et en remplissant complètement l’objectif de rendre compréhensifs le scénario et les émotions des personnages. Toute l’intrigue se révèle parfaitement claire, et on se plait à penser que plus de films sans dialogue viennent peupler le paysage cinématographique.
En revanche, son propos sur la masculinité violente ne fonctionne pas vraiment. En faisant du compagnon de l’héroïne un homme doux qui semble venir d’un J-drama tranquille, la menace qu’il constitue se révèle incohérente – non pas que les hommes violents ou agresseurs aient toujours la tête de l’emploi dans la vraie vie, loin de là, mais dans la constitution de l’univers du film, cet aspect semble avoir été pris légèrement et peut faire tiquer le spectateur. Plus que le personnage lui-même (nous avons vu d’autres « beaux gosses » se révéler des monstres dans le cinéma japonais), c’est l’écart entre d’un côté le terrain politique sur lequel s’aventure le réalisateur et le refus de s’abandonner à une atmosphère réellement violente et engagée malgré ce qu’il s’y passe, qui rend le film définitivement étrange et peut-être trop timoré du point de vue de l’intention.
Choke est donc un film bipolaire, étonnant, à prendre pour ce qu’il est : un essai cinématographique où le cinéaste tente des choses, en en réussissant certaines et ratant d’autres, qu’il pourra approfondir par la suite.
Maxime Bauer
Choke de Gen Nagao. Japon. 2023. Projeté au NIFFF 2024