SI LOIN, SI PROCHE 2024 – Vietnam, vue sur court 2

Posté le 3 février 2024 par

Dernier focus sur le Vietnam, lors du festival Si loin, si proche. Cette seconde séance de courts-métrages se trouve à la hauteur de la première. Toujours aussi variée et audacieuse, la sélection fait se côtoyer le cinéma du réel le plus âpre à la comédie décomplexée, en passant par le film surréaliste absurde et la tranche de vie.

Lune sur la briqueterie (Tran Tren Lo Gach) de Lê Thu Minh

Long court-métrage, le cinéaste filme les dernières activités du dernier four traditionnel à briques de Mang Thit. Si l’angle esthétique du film se voudrait finalement plus scientifique, sociologique (et documentaire au sens propre du terme) que réellement esthétique, la distance mise entre la caméra et les personnages du film annihile malheureusement tout lien possible entre le spectateur et les travailleurs de cette briqueterie. Loin d’en faire un mauvais film, ce dernier se trouve cependant très fragilisé à de nombreux endroits. La caméra ne semble pas savoir quoi faire de ses personnages, tandis que lorsqu’elle filme les machines, lorsqu’elle filme les animaux et lorsqu’elle filme les enfants, le tout fonctionne à merveille. Une séquence de négociation fonctionne aussi plutôt bien, puisque cette négociation impose un certain dynamisme à l’image qui est sans cesse réfréné dans le film par la caméra. Alors que c’est pourtant cela que Lê Thu Minh capte le mieux avec sa caméra et son montage : le dynamisme des machines, la vitalité des enfants qui ne peuvent se canaliser et s’imposent à la caméra, tout comme les animaux s’imposent à celle-ci aussi, ainsi que les échanges rudes. Mais lorsqu’il s’agit de filmer le travail, le dispositif s’enraye malheureusement puisque, plus que de montrer les liens entre les travailleurs, les enjeux de pouvoir mais aussi la fin d’une ère, il capte surtout la répétitivité de la tâche sans pour autant exploiter pleinement cette dernière. Il en reste tout de même un très bon film documentaire avec de nombreux moments de bravoure et dont la fragilité du dispositif n’entache pas la qualité d’un projet aussi ambitieux : filmer la fin d’une certaine manière de travailler, d’un certain monde et, par conséquent, de certaines personnes. Malheureusement, la caméra du cinéaste capte bien mieux la vitalité que l’agonie.

Supermarket Affairs de  Hang Luong Nguyen

Une mère vietnamienne rejoint sa fille aux États-Unis afin d’honorer l’anniversaire de la mort de son mari. Le décalage entre le Vietnam et les États-Unis est très violent pour la mère qui ne parle même pas anglais et celle-ci entre en conflit avec sa fille. Bien que le synopsis ait l’air très sérieux, le film aborde tout cela sous l’angle de la comédie décomplexée : situations complètement absurdes, séquences de karaoké improbables et autres joyeusetés. Même si assez classique, cette comédie reste tout de même très efficace et utilise son format à bon escient. Les effets de style, bien que très kitsch, ne font pas forcés et la cinéaste ne tombe pas dans la stylisation facile. Un court-métrage aux ambitions humbles et menées avec brio.

Mala, the little one de Diana Cam Van Nguyen

Nouvelle autobiographie en animation, le film au style graphique très agréable souffre aussi d’un aspect programmatique très lourd dans sa structure. L’on y suit Rong, jeune fille vivant en République tchèque et venant du Vietnam, qui se heurte à la discrimination à son égard et se questionne sur son identité. Ce sujet est très présent dans la majorité des métrages présentés, et malheureusement la cinéaste ne parvient à en faire plus qu’un matériel très académique. Seule la fin, toute en images et dont le lourd silence en dit bien plus que les précédents dialogues à propos de la Rong, sort de cet académisme et apparaît alors comme un vent de fraîcheur. Un film d’animation très honorable, au style bien à lui et très bien ficelé, qui aurait gagné à posséder des partis pris d’écriture et de mise en scène plus radicaux.

Nanitic de Carol Nguyen

Deux petite filles, Trang et Mai, passent l’après-midi ensemble chez leur tante s’occupant de leur grand-mère malade. Le film aborde du point de vue très enfantin de Trang sa relation avec sa grand-mère malade, presque mourante, qui ne peut plus communiquer avec personne ni bouger. Tout en douceur, la caméra suit d’abord le quotidien de ces deux jeunes filles, avec une certaine emphase mise sur le regard de Trang, héroïne de ce court-métrage. La cinéaste arrive à reconstituer des images très belles de l’enfance et de son aspect si particulier. Les jeux, tout comme la communication entre les deux petites filles, sont aussi bien écrits qu’interprétés par les deux très jeunes actrices qui ont l’air tout simplement de s’amuser dans un instant volé par une caméra invisible. Il est rare d’aboutir à de telles images avec des enfants acteurs, souvent perturbés par la caméra et les directives données. Pourtant, tout semble ici très naturel. Cette première partie qui nous plonge dans cette amitié entre Trang et Mai, se voit hantée par la présence de la grand-mère en arrière-plan qui attend, tel un fusil de Tchekov, la fin du court-métrage pour profiter de cette reconstitution aussi belle que fidèle de l’enfance afin de révéler le réel enjeu du film, tout en douceur. La confrontation finale entre la jeune fille et sa grand-mère inerte est alors très touchante, notamment grâce à cette longue introduction pleine de candeur et d’amusement. Elle n’est pas non plus grave, elle est simplement juste : nous assistons au désarroi d’une petite-fille qui ne peut communiquer avec sa grand-mère, malgré ses vaines tentatives.

A lost astronaut and a city of footprints de Khue Vu Nguyen Nam

Véritable OVNI dans la sélection, ce petit film de science-fiction verse dans l’absurde le plus radical et le surréalisme le plus rude. Il est compliqué de faire un synopsis très clair tant la narration n’est pas aimable avec le spectateur : l’on est vraisemblablement piégé dans les cauchemars d’un homme qui devient la femme de son collègue et se heurte à l’implacable bureaucratie de l’ANSA, parodie trop évidente de la NASA pour ne renvoyer vers qu’elle. Le film fonctionne par signes hermétiques : il renvoie peut-être au réel, mais à un réel qui ne semble pas être le nôtre, comme le prouve cette agence d’astronaute ANSA, reflet de la NASA, mais probablement avant tout reflet d’autre chose. Tout y est d’ailleurs reflet puisque le personnage principal est une projection d’un personnage actuellement en train de faire un cauchemar. Quitte à ne rien comprendre, autant se laisser bercer par cette douce absurdité bureaucratique et administrative qui parlera à tout le monde, d’autant plus à un public français, sous couvert de science-fiction et d’onirisme tortueux. Le film semble muter à chaque seconde, ce qui ne laisse jamais le temps de le rattraper, mais arrive tout de même à charmer le spectateur par la capacité du cinéaste à croire aveuglément en son projet, lui permettant d’aboutir à un résultat fou, mais étrangement fonctionnel.

Ce panorama sur les courts-métrages vietnamien se termine par une explosion d’idées formelles. Du premier au dernier court-métrage, la forme est le point fort des cinéastes qui comprennent et affirment dans le même temps que « la forme, c’est le fond ».

Thibaut Das Neves