Le coming-of-age est un genre multi-représenté dans la fiction. Quand le jeune cinéaste philippin Raya Martin s’empare du concept en 2008, il offre un film fleuve de près de cinq heures, mal aimable de prime abord, mais pour peu qu’on se laisse porter, à la générosité sans pareille. Il s’agit de Now Showing, édité en DVD par Shellac Films depuis plusieurs années.
Passé un écran d’introduction où une catch-phrase se forme en stop-motion avec des lettres en bois pour enfant, Raya Martin nous laisse découvrir la vie de Rita, jeune Philippine de 10 ans. Filmée avec un caméscope des années 1990, une bande digitale qui saute sur le bas de l’image, un grain sale, on suit notre héroïne dans les étapes de sa vie les plus ordinaires, que ce soient des jeux avec ses copains de quartier, des fêtes d’anniversaire ou encore des soirées calmes passées avec sa tante et sa mère, cette dernière ne manquant pas tout le long du film de montrer son affection pour sa fille.
Pur exercice du style tranche-de-vie, c’est bel et bien cette image sale de caméscope qui fait basculer le travail de Raya Martin dans l’originalité. Les recours à des effets rappelant d’anciens appareils de captation d’images sont légion dans le cinéma. L’utilisation des caméscopes de cette période sont plus rares, car ils résistent mal au temps et l’image qu’ils restituent peut être qualifiée de laide au vu de nos standards actuels. Si Wang Bing a eu recours à des caméra-DV car il s’agissait de l’outil le plus adapté à son objectif de cinéma mobile et contrebandier, Raya Martin, à la manière de Tarkovski, cherche à former une image nostalgique marquante. Quiconque a grandi dans les années 1990 se souvient des films de famille avec le même grain d’image que Now Showing. Ce dernier n’est donc pas un documenteur ; le doute est dissipé très vite au regard de la narration de fiction qui se forme sous nos yeux. En revanche, via ce grain rétro et brumeux, Raya Martin joue avec le medium cinéma pour faire prendre à son récit la forme de ce qu’il décrit : des images du passé, d’une époque précise, sous forme de film de famille. Plus la vie de la petite Rita se déploie sous nos yeux, plus l’émotion se fait vive, car Raya Martin filme un amour filial et la vie d’insouciance d’une enfant comme tout un chacun se souvient de son enfance comme dans un cocon.
Fréquemment, le silence total fait son apparition, lorsque les personnages chantent ou lorsqu’intervient un long plan sur une télévision diffusant un film philippin classique, Tunay na Ina d’Octavio Silos sorti en 1939. Ce dernier point fait office d’articulation entre les deux grandes parties du film. De part et d’autre de cette séquence, l’enfance au caméscope, puis la jeunesse en caméra numérique, le cinéaste s’amuse avec les formats. Mais ce point central sonne comme une longue respiration, dont la portée apaisante de la somnolence qu’elle engendre évoque le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul ; autant qu’un début de réflexion sur l’identité philippine. Dans Chambre 666 de Wim Wenders, où de nombreux cinéastes sont invités à exprimer leur point de vue sur le devenir du cinéma, Mike De Leon ironise sur le fait que le cinéma philippin a une place minime sur la scène internationale, autant que le pays lui-même. Now Showing est produit par des instances internationales – notamment par le fond du Festival de Rotterdam, aussi a-t-il été voué à être projeté à une audience mondiale de festivaliers. Par cet extrait, Raya Martin rappelle la force et l’ancienneté du cinéma philippin, qui ne demandait, en 2008 qu’à être redécouvert, et qui l’est à présent de mieux en mieux.
Cette interlude passée, nous retrouvons Rita, la vingtaine, dont l’histoire est à présent filmée par une caméra numérique des années 2000. Elle travaille dans une boutique de DVD d’une galerie commerciale et vit toujours chez sa mère, qui prend toujours autant soin de sa fille chérie. Elle aime toujours retrouver ses amis, plus pour jouer mais pour faire la fête comme tous les jeunes adultes. Pour ce segment comme pour le précédent, les scènes de nuit sont majoritaires. Raya Martin a compris, peut-être, que l’intensité émotionnelle de la nostalgie est plus développée la nuit, à la lueur des lumières d’intérieurs, des néons de la ville. Malgré tous les élans nostalgiques du film, notons tout de même quelques moments de stress liés à l’incertitude ressentie par Rita. Tout d’abord, Rita a connu la dureté dont peuvent faire preuve les camarades de classe dans son enfance. Et surtout, avant de sortir, une fois adulte, elle subit une crise d’angoisse en pleine nuit – filmée de manière suffocante – comme un effet dû à la mise en garde de sa mère en ce qui concerne les agressions des femmes, la nuit. Now Showing, s’il s’attache à décrire une nostalgie, n’élude pas tout ce qui constitue la vie d’une femme. Et d’ailleurs, le film se clôt sur le départ de Rita alors qu’elle est enceinte, sans mal-être particulier ; de quoi donner réflexions et pensées aux spectateurs les plus intrigués. Rita a terminé sa jeunesse, entre émois juvéniles et craintes envers l’avenir. Elle s’apprête à vivre sa vie d’adulte.
Raya Martin livre avec Now Showing, une ode à l’insouciance de la jeunesse, dont beaucoup de citoyens du monde peuvent également témoigner, notamment ceux ayant grandi au tournant du millénaire, et ce faisant, offre un film capable de résonner par delà les frontières. Un geste de cinéma particulièrement pertinent dans ce genre d’accomplissement.
Bonus du coffret DVD Shellac Films
Le coffret 3 DVD est constitué d’un très beau digipack illustré et d’un livret de 12 pages rédigé par Simon Lefebvre, qui comporte quelques images issues du film. Simon Lefebvre analyse le film par le prisme de sa réception en 2008 et des déclarations de Raya Martin. Son commentaire s’avère très intéressant pour poursuivre une réflexion autour du film, car il est étayé dans son analyse propre, et émaillé d’informations sur le cinéma philippin, notamment sur son Histoire.
Maxime Bauer.
Now Showing de Raya Martin. 2008. Philippines. Disponible en coffret 3 DVD chez Shellac Films le 06/05/2014.