Blu-Ray – DVD : Dragon Inn + A Touch Of Zen de King Hu

Posté le 21 septembre 2016 par

A Touch Of Zen et Dragon Inn : deux chefs-d’oeuvre essentiel de King Hu sortent dans leurs versions restaurées le 21 septembre en coffret blu-ray et DVD. L’occasion pour Samir Ardjoum de revenir de manière subjective sur ces deux oeuvres, et à Justin Kwedi de présenter le beau documentaire de Hubert Niogret qui accompagne ces deux chefs-d’oeuvre. 

Inutile d’en faire des tonnes sur King Hu, sur sa biographie, sur sa filmo, nous en avons suffisamment et judicieusement parlé dans nos colonnes. Non, faut aller directement dans le noyau d’un de ses films, le plus connu, le plus primé, le plus beau et le plus long. A Touch Of Zen, c’est pour le néophyte que je suis, une claque. Pas forcément au niveau des images, maîtrisées, belles en soi, violentes, charnelles, non plutôt à l’intérieur des plans, le je-ne-sais-quoi qui émeut, qui renvoie la balle, et surtout, oui surtout, qui fixe le désir sans jamais l’amoindrir. Car, et nous le voyons rapidement, tout est affaire de sexe dans ce film de  trois heures. Chaque geste, travelling, demi-travelling, chaque pas de danse crée une logique plastique qui n’a qu’un seul but, jouir.

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A Touch Of Zen est un film qui parle beaucoup. Les préliminaires sont longues, lentes parfois, et touche la sensualité de tous ces personnages en quête d’existence sexuelle. On regarde plus qu’on ne l’on touche. On savoure plus que l’on n’insiste. On frémit plus que l’on ne violente. C’est tout l’art d’un cinéaste qui n’a jamais tourné la tête devant le détail.

Introduction verbale passée, on passe à l’étape du croisement. Et là, le film prend une tournure quasi kafkaienne. La question est posée : « Comment te toucher sans te faire du mal » ? La réponse ne sera jamais dite, juste montrée. On s’approche, on s’évite parfois, on revient à la charge, on finit par pénétrer et l’un des deux mourra. C’est la loi de la jungle, de la mante religieuse, sauf qu’ici, elles sont légions.

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Plus le film avance, plus l’action se transforme. Nous virons de bord, en laissant de côté les séquences de présentation, pour aller droit à l’art martial, le fameux « Wu Xia Pian » où les codes de l’opéra se conjuguent de façon jubilatoire avec l’espace de la castagne. Et là, nous sommes dans l’éclosion sexuelle. Les corps deviennent impatients, le regard jamais fuyant, le geste totalement subversif et enfin le rapprochement finit par se mouvoir en un grand maelström de chorégraphie érotique. Car et là, faut oser, King Hu ne filme pas pour perturber le plan, mieux que ça, il offre aux sens du spectateur, un remarquable réquisitoire contre l’abstinence.

 Ein Hauch von Zen

Exemple. Lors d’un duel entre Yang Hui-chen (interprétée par l’actrice fétiche de King Hu, l’intrépide Xu Feng) et l’un des sbires du Général, le cinéaste use malicieusement de plans courts, de travellings aussi intenses qu’une foudre, et surtout cadre toujours de manière à ce que le décor, en toile de fond, soit le troisième personnage. Car l’espace renforce les sentiments des personnages, les malmène, et surtout les encadrent pour ne jamais les séparer. Il les oblige à se voir, rien que se voir, quitte à se toucher. Et chacun se bat comme si le désir ne devait jamais s’estomper. Il y a là un combat purement érotique traduit par l’érogène des corps. D’où l’impossibilité de voir en A Touch Of Zen qu’un simple film d’arts martiaux. C’est beaucoup plus perfide, beaucoup plus tentant, juste intelligent.

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Réalisé trois avant A Touch Of Zen, Dragon Inn n’en est pas moins intéressant. Moins fouillé peut-être, mais continuellement dans l’étude, simple et ludique, de l’espace. Toujours une question de décor dans ce film basé sur une histoire d’intrigues, d’assassinat et de huis-clos. Pratiquement tout le film se déroule dans un espace fermé où les sentiments sont exacerbés au possible. King Hu, comme à son habitude, plonge l’histoire dans une myriade de séquences qui servent les personnages. Chacun à son histoire, ses raisons, et le tout transforme le film en quelque chose qui oscillerait Histoire d’un pays et intimité. Là où tout brille, c’est dans la manière qu’a King Hu de travailler le hors-champ. On devine ses suggestions, on imagine comment ses personnages sont devenus ce qu’ils sont à l’écran. Il y a de la magie dans le canevas, dans cette construction scénaristique et à aucun moment, l’on sent un relâchement, voire une pause narrative. Tout va vite, très vite, et paradoxalement , le temps est respecté dans chaque plan, afin d’en cerner les enjeux.

 Dragon Inn

Deux films. Deux temps. Deux manières de travailler le cadre. Et un cinéaste aussi polisson que bruyant.

Samir Ardjoum.

SUPPLEMENT : KING HU DE HUBERT NIOGRET

Passionné, érudit et analytique, un excellent documentaire qui permet de mieux cerner l’art du grand King Hu est présenté en bonus des deux films.

L’excellent documentaire d’Hubert Niogret nous éclaire grandement sur le réalisateur. A travers le témoignage d’anciens collaborateurs (où le fan de la Shaw Brothers reconnaîtra des figures bien connues comme Yueh Hua) et de spécialistes locaux, le parcours, les thèmes et le style King Hu se dévoilent de manière passionnante. On découvre ainsi que le réalisateur fut d’abord un acteur comique très populaire avant d’être peu à peu introduit à divers postes techniques de plus en plus importants grâce à son ami Lee Han Hsiang (autre esthète s’il en est) pour lequel il finira assistant réalisateur sur des films comme The Love Eterne. Les intervenants situent pourtant bien la différence fondamentale entre King Hu et son mentor : quand Lee Han Hsiang était capable de faire preuve d’une certaine souplesse  et s’adapter aux situations, King Hu se montrait d’une rigueur inflexible à sa vision. L’un était un grand réalisateur populaire, l’autre un artiste. On sourira lors de cette savoureuse anecdote de tournage sur A Touch of Zen où un décor étant altéré par le changement de saison, et brisant la continuité visuelle, King Hu proposera sans sourciller de revenir tourner l’année suivante ! C’est d’ailleurs cette détermination qui amène le premier clash dans la carrière de King Hu avec le triomphe amer de L’Hirondelle d’Or où, trop lent et perfectionniste, il fut menacé de remplacement par Run Run Shaw. Fort de ce succès où il invente les codes du wu xia pian, il claque la porte de la Shaw Brothers et s’envole pour Taiwan, où, à l’occasion de la production de Dragon Gate Inn, il contribuera à la construction de l’industrie cinématographique locale (il y tournera plusieurs de ses films suivant).

King Hu

 

Un autre aspect qu’approfondit grandement le documentaire, c’est l’érudition de King Hu qui transparait dans toutes ses œuvres. Il exécutait lui-même les calligraphies illustrant les génériques de ses films, et sorti du cinéma, il faisait figure d’autorité historique sur certaine facettes inattendues tel que la cuisine impériale. Visuellement, on constate à quel point sa mise en scène suivait l’esthétique des rouleaux de peintures chinois, notamment par ses travelling lointain suivant en parallèle l’avancée des personnages, qui créaient une sorte d’à plat reproduisant de manière cinématographique l’horizontalité des peintures. Cela le différenciait de Lee Han Hsiang, qui, puisant dans la même inspiration picturale, usait plus de la profondeur de champs et d’une volonté de capter les êtres dans leur quotidien, quand King Hu voulait figer ses personnages dans un cadre, capturer l’image d’un lieu et d’un moment précis. Narrativement, le réalisateur usa également de la très troublée ère Ming pour nouer des intrigues alambiquées à suspense, parfaitement adaptée à la mode du moment pour les films d’espionnage à la James Bond. Cet ensemble, combiné aux multiples trouvailles (de montages notamment lors des combats), détermine l’imagerie du wu xia pian comme le montre les différents extraits comparant ses scènes phares à celles de films de Tsui Hark ou Zhang Yimou.

En 45 minutes à peine, tout est exploré avec soin et précision, Niogret allant judicieusement dans une direction plus artistique que biographique. L’errance et les projets avortés des dernières années (le tournage houleux de Swordsman où il est évincé par Tsui Hark ; son projet sur la construction des chemins de fers américain par les émigrants chinois qui ne verra jamais le jour) sont occultés pour une vision positive et touchante.

Justin Kwedi.

A Touch Of Zen de King Hu. Taïwan. 1970. & Dragon Inn de King Hu. Taïwan. 1967. 

Disponible en coffret blu-ray+ DVD le 21/09/2016.

Édité par Carlotta.

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