Disparu brutalement en 2010 d’un cancer à l’âge de 46 ans, Kon Satoshi fut une étoile filante de l’animation japonaise, auteur d’une œuvre courte (quatre films et une série) mais à l’influence considérable. Le documentaire de Pascal-Alex Vincent, projeté en avant-première à Cannes Classics, parvient à trouver un équilibre juste pour intéresser le néophyte en remontant chronologiquement la filmographie, les thèmes et motifs formels du réalisateur tout en captant l’attention des connaisseurs à travers les réflexions des nombreux intervenants.
Les différentes manières de perdre le spectateur dans une porosité entre rêve et réalité, réalité et fiction, constitue un des fils rouges de l’œuvre de Kon. Pascal-Alex amène implicitement cette question dans sa mise en scène à travers le montage alterné entre tranches de vie tokyoïtes et extraits de films du réalisateur. Les témoignages expliquent ainsi comment l’émotion spécifique recherchée détermine l’approche de cette thématique récurrente de Kon. Ainsi dans Perfect Blue, la vulnérabilité et la perte de repères de l’héroïne trouvent une force supplémentaire par les confidences de la doubleuse, à la gorge nouée, et ancienne idol qui a réellement vécu ce harcèlement de fan. Les figures féminines du réalisateur, souvent à la personnalité double subie ou assumée, prolongent celle du cinéaste telle que dépeinte par les témoignages. Entièrement dévoué à son univers, Kon laisse ainsi un souvenir amer à Oshii Mamoru avec lequel il collabora sur le manga Seraphim ou bien n’hésitera pas à écarter son producteur de Millennium Actress quand il ne trouvera pas les financements pour Tokyo Godfathers. D’un autre côté, il est souligné à quel point il lutta pour permettre aux équipes d’animateur de ses films de travailler dans les meilleures conditions matérielles et financières.
Cette dualité entre le génie (qu’il était parfaitement conscient d’être) insoumis et le chef d’orchestre prévenant détermine brillamment tout le portrait en creux que propose Pascal-Alex Vincent. Tous les personnages de Kon Satoshi poursuivent de façon obsessionnelle un idéal humaniste et romanesque, même dans une œuvre aussi conceptuelle que Paprika. Les visions oppressantes, chaleureuses ou hallucinées sont donc par là, guidées par une émotion servie par la virtuosité de Kon, ce qu’appuie le montage de ses morceaux de bravoures les plus fous. C’est donc passionnant de voir se disputer quelques réflexions peu amènes sur l’homme mais où chaque interlocuteur semble pardonner (les plus rancuniers ayant refusé d’apparaître comme Otomo Katsuhiro ou le compositeur Hirasawa Susumu) au vu des résultats filmiques.
C’est cette foi et ce désir de voir s’épanouir son génie par son entourage qui permet à Kon Satoshi de poursuivre sa carrière alors que c’est à partir de Tokyo Godfathers voire Paprika qu’il rencontrera réellement le succès commercial. Mais Kon possède cette faculté à emmener mécène, collaborateur et spectateur vers son imaginaire foisonnant et sa vision est même espérée par d’autres créateur comme Tsutsui Yatsutaka, auteur du roman Paprika qui le sollicitera personnellement pour l’adapter. Les néophytes seront forcément happés par les images et leurs réminiscences dans le cinéma contemporain (Darren Aronofsky qui assume ses emprunts dans Requiem for a Dream et Black Swan, Inception de Christopher Nolan, la déférence du jeune réalisateur de Spider-Man: Into the Spiderverse) pour inciter à aller plus loin. Les fans découvrent un peu plus l’homme, ses failles et contradictions tout en ayant des aperçus narratifs et esthétiques de ce qu’aurait pu être son film inachevé Dream Machine. Un beau portrait juste et poignant, notamment lorsqu’on pourra lire les derniers mots de Kon Satoshi sur son blog.
Justin Kwedi
Satoshi Kon, l’illusionniste de Pascal-Alex Vincent. France-Japon. 2021. Sélectionné à Cannes Classics. Prochainement en salles