EN SALLES – PERFECT BLUE DE KON SATOSHI (09/05/2018)

Posté le 8 mai 2018 par

Splendor Films propose de redécouvrir sur grand écran Perfect Blue de Kon Satoshi en version restaurée à partir du 9 mai. Retour sur le premier chef-d’oeuvre du maître.

 C’est sans regret que Mima, chanteuse, quitte son groupe pour se consacrer à une carrière de comédienne. Elle accepte un petit rôle dans une série télévisée. Cependant son départ brusque de la chanson a provoqué la colère de ses fans et plus particulièrement celle de l’un d’eux. Le mystérieux traqueur passe à l’acte en dévoilant en détail la vie de la jeune femme sur Internet, puis en menaçant ses proches.

Idéalement mis en orbite par son mentor Katsuhiro Otomo d’abord dans le milieu du manga (où il sera son assistant sur Akira) puis celui de l’animation (Roujin Z, le magnifique film à sketch SF Memories pour lesquels il conçoit les décors et signe les scénarios dont celui du meilleur sketch Magnetic Rose), Satoshi Kon a enfin pris son envol avec ce coup d’éclat inaugural qu’est Perfect Blue. Comme cela se vérifiera largement par la suite, l’inspiration de Satoshi Kon lorgne largement plus vers le cinéma « live » que l’animation (son Tokyo Godfathers (2003) remake officieux du Fils du désert (1948) de John Ford) et ses influences sont plus occidentales que japonaises, que l’on reste dans le domaine du cinéma (Terry Gilliam et sa trilogie de l’imaginaire Bandits, Bandits (1982), Brazil (1985) et Les Aventures du baron de Münchhausen (1988)) mais aussi du côté de la littérature avec Philip K. Dick (même si, tout de même, l’auteur japonais Yasutaka Tsutsui dont il adaptera le Paprika et à qui on doit La Traversée du temps est une référence avouée). Dans toutes ces influences on décèle un attrait pour des auteurs ayant su déformer la perception de la réalité, thématique qui est au cœur de l’œuvre du réalisateur. Kon mêle cela à un sujet typiquement japonais, à savoir la fascination pour les Idol, ces starlettes locales éphémères naviguant entre pop music formatée, mannequinat et cinéma dont les attraits de lolitas attirent une horde de fans plus ou moins recommandable.

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On suit donc les mésaventures de l’une d’elles, Mima, qui va quitter son groupe à succès pour embrasser une carrière d’actrice au grand désespoir de ses admirateurs, en particulier l’un d’entre eux, particulièrement dangereux. Après avoir créé une page web où il endosse son identité tout en semblant étonnamment informé de son quotidien, il va peu à peu menacer les membres les plus influents de son entourage. Satoshi Kon crée dès le départ une confusion entre rêve et réalité qui ira croissante avec la tension et surtout l’état mental de son héroïne. On le comprend dès la scène d’ouverture où, de manière encore sobre, on a un mimétisme à travers le montage, le jeu sur les raccords entre le quotidien de Mima et son existence d’Idol qu’elle s’apprête à quitter. La séparation reste là encore bien définie et perceptible mais le réalisateur, en entremêlant suspense classique et propres angoisses existentielles de l’artiste, va peu à peu nous perdre dans un dédale où l’on ne distinguera plus rien.

Perfect Blue

La menace est ainsi autant extérieure qu’intime avec une héroïne déchaînant les passions par ses choix bien éloignés de son ancienne carrière policée (photos dénudées, tournage de scènes sexuelles explicites) et ses propres doutes et culpabilité se confondent avec ceux des fans les plus virulents, laissant de nombreuses fois entendre que le harceleur est une création de son esprit. La mise en scène de Satoshi Kon obéit ainsi plus aux codes du thriller schizophrène (on pense souvent au Répulsion de Polanski) où la notion de point de vue est malmenée par le mental vacillant de Mima. C’est d’abord des personnages qui disparaissent puis réapparaissent dans une même séquence et nous faisant douter de ce que l’on voit (les présences/absences du fan pervers sur le tournage du film) avant que ce ne soit les séquences elles-mêmes qui s’escamotent dans un maelstrom troublant où réalité et fiction sont indistinctes, chaque dérapage se concluant par un réveil en sursaut de Mima ne sachant plus si elle a vécu, rêvé ou tourné ce que l’on vient de voir. Pour plus de confusion encore, cette perte d’identité et de repère correspond aussi à l’intrigue du film que tourne Mima avec un personnage schizophrène suite à un traumatisme. Satoshi Kon laisse autant une réalité factice envahir notre perception que le fantasme cauchemardesque le plus prononcé avec le double torturé et envahissant de Mima symbolisant sa culpabilité mais qui prendra un tour plus concret dans la conclusion.

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Le brio de la réalisation compense les quelques carences techniques d’une œuvre au budget modeste, avec notamment des arrières plans statiques et des scènes de foules grossières où la population demeure à l’état de silhouettes sans détails. L’influence du film (qui voyagera grandement et sera de nombreuses fois récompensé en festival) est considérable notamment chez un certain Darren Aronofsky qui reprendra un plan à l’identique dans son Requiem for a Dream (Mima recroquevillée dans sa baignoire hurlant en silence et imitée par Jennifer Connely dans Requiem) et de nombreuses situations dans Black Swan (2010) notamment les jeux de miroirs et de reflets. Ce sera quelques années plus tard le tour d’un Christopher Nolan de lorgner cette fois sur Paprika (2007). Même s’il cherche surtout à transposer des idées de mise en scène « live », Kon sait brillamment user des codes de l’animation lorsqu’il s’agit de verser dans le pur baroque notamment lors de la conclusion avec les déplacements irréels du double de Mima, atteignant même le pur génie quand il confond fantasme et réel dans un même plan (le reflet de vitre montrant le vrai visage du double dans un rictus dément tandis qu’une Mima radieuse et inquiétante sautille juste à côté).

Le résultat est tout simplement stupéfiant et plus qu’un grand film d’animation, Satoshi Kon signe un des plus grands thrillers des quinze dernières années et digne des plus grands dès ce galop d’essai. Le plus fou c’est que le meilleur était encore à venir, un pur diamant noir.

Justin Kwedi.

Perfect Blue de Satoshi Kon. Japon. 1997. En salles le 09/05/2018.

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