VIDEO – On the Edge de Herman Yau

Posté le 8 octobre 2022 par

Spectrum Films nous permet de découvrir un coffret Herman Yau avec deux titres inédits en France. Penchons-nous sur On the Edge, film dramatique policier, initialement sorti en 2006.

On the Edge raconte l’histoire de Hoi Sang (interprété par un Nick Cheung au sommet de sa forme), policier sous couverture dans la mafia, dont la mission d’infiltration prend fin après 8 longues années à côtoyer la pègre. Bien évidemment, l’expérience ne l’a pas laissé indemne et le pauvre Hoi Sang se voit rejeter de toutes parts, qu’il s’agisse de ses anciens acolytes du monde du crime ou de ses « nouveaux » collègues flics qui se méfient de lui.

Après avoir mis Herman Yau à l’honneur avec une sortie en remaster d’Ebola Syndrome, Spectrum Films propose, cette fois, un film très différent du réalisateur. Nous retrouvons, en effet, davantage l’ambiance dénonciatrice, tragique et subtile que l’on pouvait observer dans un From the Queen to the Chief Executive. Yau s’attache à montrer la mise à l’écart de son protagoniste avec beaucoup de délicatesse, ce qui rend la tragédie encore plus percutante et émouvante. Que ce soient les policiers ou les mafieux, tout le monde ressent de l’empathie pour Hoi Sang et reconnaît qu’il n’occupe pas une position facile mais personne ne peut lui faire confiance sans courir de risques. Tous les points de vue des différents personnages sont légitimes et compréhensibles. Ils n’ont d’ailleurs aucun animosité envers Hoi Sang en tant que personne, mais seulement envers son statut particulier, ce qui ajoute un sentiment d’injustice de la situation du héros. Comme lui explique, par exemple, sa petite amie hôtesse de bar, comment rester en couple avec quelqu’un qui s’est révélé être policier lorsque tous ses amis sont des dealers, des parieurs illégaux ou pire ? De même, du point de vue des autres policiers, comment faire confiance à quelqu’un qui prend la défense d’un de ses anciens alliés dans une descente ? Hoi Sang ne peut prouver à personne son allégeance parce que personne ne veut le croire mais également parce qu’il ne peut se positionner lui-même.

Il est très intéressant d’observer un policier « découvrir » le monde de la police après avoir été de l’autre côté de la barrière car Yau joue sur l’ambiguïté de ce qui sépare un mafieux d’un policier et vice versa, au travers de l’entourage direct de Hoi Sang. Les personnages de « mentors » de Hoi Sang des deux côtés sont, à ce titre, extrêmement bien écrits et interprétés par Anthony Wong et Francis Ng. Anthony Wong qui joue le nouveau collègue et guide de Hoi Sang est bien plus sanguin, irritable et hors de contrôle que Francis Ng le mafieux qui, certes, appartient au monde du crime avec tout ce que ça implique, mais reste très courtois et même bienveillant avec son disciple qui l’a trahi. On comprend alors que Hoi Sang se retrouve perdu sur la voie à emprunter et même sur ses attentes et espoirs longuement entretenus de rendre enfin la justice, lorsque les milieux qu’il fréquente sont moins imperméables qu’il n’y paraît et décident tous deux de le mettre à l’écart.

Comme il est répété à de nombreuses reprises dans les bonus de On the Edge, la particularité du film se joue sur son traitement du sujet. Le film arrive après une lignée conséquente de films sur la problématique des flics sous couverture, Man on the Brink d’Alex Cheung et Infernal Affairs d’Andrew Lau en tête. Il se démarque alors en prenant le parti de montrer l’après mission plutôt que l’entrée d’un policier dans un monde mafieux, mais surtout, dégage un point de vue beaucoup plus intimiste qui fait la grande force du film. Nous prenons tout autant le temps d’approfondir les ressentis contradictoires de Hoi Sang que de suivre l’avancée des intrigues et l’émotion qui s’en dégage est réellement palpable. Nick Cheung brille d’ailleurs dans les moments où l’on se recentre sur la vie quotidienne et les états d’âme de son personnage avec un jeu en retenue qui laisse cependant percer beaucoup de tension accumulée dans des moments clés et qui le rende très crédible dans le rôle. Yau mise également sur une économie de moyens cinématographiques et musicaux, à l’instar de From the Queen to the Chief Executive qui sied parfaitement à son scénario. Il n’associe les moments d’action frontaux qu’aux séquences les plus émotionnelles du film, ce qui décuple leur intensité et fonctionne bien mieux dans l’ensemble que s’il avait opté pour un ton plus grandiloquent. On the Edge est extrêmement maîtrisé dans son montage et son rythme, alors qu’il est beaucoup plus dépouillé que d’autres films du réalisateur. Il n’est jamais ennuyeux ou trop timide et la magie opère dans tous les thèmes choisis et la façon de les traiter.

Alors que le film se situe dans une période post-« ère de gloire » de Yau, il constitue peut-être l’un des chefs-d’œuvre du réalisateur et prouve que celui-ci est capable de se démarquer dans des domaines et des genres divers et variés. On the Edge démontre également que le cinéma hongkongais des années 2000 a su offrir quelquefois des films à la hauteur de ceux des années 80 et 90.

Bonus

Une présentation d’Arnaud Lanuque : Comme toujours, une présentation très riche et complète, dans laquelle Lanuque revient sur le contexte du film et se penche sur sa place dans l’Histoire du cinéma hongkongais. Il propose aussi une analyse très intéressante sur le lien entre les conflits internes du personnage de Hoi Sang et ceux des Hongkongais qui ne savent plus où se situe leur identité nationale, entre la Chine, l’Occident et la ville de Hong-Kong. Il revient également sur le parcours de Nick Cheung avec beaucoup de détails passionnants.

Interview de Brother Hung : Le compositeur attitré de Yau (et pas que !) revient sur sa carrière et sur l’évolution de la composition à Hong-Kong depuis ses débuts dans l’industrie, aux alentours des années 90. Il est très intéressant d’entendre un compositeur donner son point de vue sur l’industrie, détailler sa façon de travailler et même fournir des analyses précises de ses musiques pour quelques films spécifiques. On apprend également que la musique de films a été tout aussi transformée que le cinéma par le passage au numérique. Brother Hung parle aussi énormément de sa relation avec Yau et de son estime pour le réalisateur et ses méthodes de travail, ce qui n’est que très peu surprenant au vu du résultat, les bandes-sons des films de Yau étant particulièrement qualitatives.

Making-of : Un petit making-of qui permet de voir tous les acteurs principaux, ainsi que Yau s’exprimer sur le film. Nick Cheung, en particulier, fournit des analyses très intéressantes sur son personnage, en précisant qu’il l’a interprété comme un homme le plus lambda possible et non comme un « super flic », pour ajouter à la tragédie de l’ensemble.

Gala 1ère : Des images de l’avant-première avec des petites interviews des membres du cast et de Herman Yau. Nous nous situons beaucoup plus du côté racoleur que lors du making-of dans le choix des questions (ex : demander à quel point la scène de sexe entre deux personnages étaient torride à leurs interprètes) mais il est intéressant d’avoir le point de vue du public post-projection.

+ La bande-annonce originale du film

Elie Gardel.

On the Edge de Herman Yau. 2006. Hong-Kong. Disponible chez Spectrum Films le 08/09/2022.

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