Après le succès de son premier long métrage The Attorney (2013), Yang Woo-seok adapte sa propre bande dessinée numérique (2011-2016) et nous embarque dans un film d’action et d’espionnage. Steel Rain est disponible sur Netflix depuis le 20 mars 2019.
Dès sa première semaine de sortie en Corée du Sud le 14 décembre 2017, le film totalise trois fois plus d’entrées que Star Wars VIII. Massacre de jeunes femmes à la Battle Royale, cruauté froide des grands méchants, et bons gros dérapages de bagnoles : Steel Rain ne fait pas dans la dentelle. Et pourtant. Sur des fondations assez grossières vient se tisser la relation touchante entre deux Coréens, l’un du nord, l’autre du sud : cette paire du clown blanc et de l’auguste apporte son souffle à l’histoire et nous embarque dans une aventure palpitante.
Yang Woo-seok met le feu aux poudres entre les deux Corées. Lorsque des rebelles nord-coréens maquillent sous les couleurs du sud un coup d’Etat contre leur propre dirigeant, l’étincelle embrase les deux pays. Au cœur du chaos, on retrouve Jeong Woo-seong, aussi stoïque que dans son rôle du « Bon » de Le Bon, la Brute et le Cinglé de Kim Jee-woon dix ans plus tôt. Il interprète Eom Chul-woo, un ancien espion nord-coréen fidèle à sa patrie, missionné pour assassiner quelques officiels soupçonnés de trahison, et qui s’improvise garde du corps improvisé de son chef d’Etat mortellement blessé durant l’attaque des rebelles. De la survie du Commandant suprême dépend alors le sort du peuple coréen. Eom Chul-woo, accompagné de deux jeunes femmes dévouées, fuit vers la Corée du Sud pour sauver leur Numéro Un. Pendant que les hautes sphères sud-coréennes et leurs alliés américains s’arrachent les cheveux à trouver une échappatoire à l’affrontement imminent, un bureaucrate sud-coréen des Affaires Etrangères, Kwak Cheol-woo (joué par Kwak Do-won), met la main sur le héros : l’acteur accompagnait déjà Yang Woo-seok dans son premier long métrage, et marquait les esprits dans The Strangers de Na Hong-jin, où il tenait le rôle principal. Malgré les menottes que l’homme politique passe aux poignets de l’ancien espion, les deux compères s’évertueront à mettre à profit leurs compétences respectives afin d’endiguer le conflit.
La scène du coup d’Etat mérite une attention toute particulière. Elle constitue le point de bascule à partir duquel va se dérouler un long fil de péripéties, et elle est tout à fait surprenante. Ce sont divers lieux qui s’enchaînent rapidement, mettant en parallèle des soldats surgissant d’une trappe située dans le fond d’une église, une foule d’employées attifées de fuchsia et prêtes à accueillir le Chef suprême de la Corée du Nord, des militaires résolus, des militaires paniqués, notre agent 47 coréen qui, paré de son fusil à lunette, scrute le cortège officiel et s’aperçoit que sa cible n’est pas là, et des Américains dans leur hélicoptère, perplexes devant le lancement impromptu d’un missile. On n’a pas tout suivi, on ne lit plus les noms des lieux qui apparaissent à l’écran, mais on adhère. Même la scène d’impact du missile, durant laquelle le réalisateur nous garde dans le conduit d’aération du héros, s’économisant ainsi une scène coûteuse en effets spéciaux, convainc. D’autant qu’elle est vite rattrapée par une deuxième salve, détaillée, la fameuse « pluie d’acier » annoncée par le titre, qui crée un véritable patchwork de corps roses et ensanglantés. La course commence, et le héros nous garantit toutes sortes de rebondissement. Si l’évolution des personnages, les agitations du gouvernement et la résolution de l’histoire restent faciles à prévoir, les étapes de l’aventure à proprement parler étonnent, alternant affrontements contre des méchants motivés et pauses culinaires ou musicales réconfortantes. Certes, la narration est parfois confuse, et on ne sait pas toujours qui fait quoi et à quelle heure. Mais ce manque de clarté motive presque à se laisser prendre au jeu.
Ce qui maintient l’intérêt est le couple Eom Chul-woo et Kwak Cheol-woo, qui ont ensemble quelque chose du duo Mason et Goodspeed dans The Rock de Michael Bay, coopérant au-delà de leurs divergences contre le fanatisme de leur adversaire. Leur caractérisation exacerbée met en pratique un principe de comédie efficace, à savoir la réunion de personnalités que tout oppose. Et la version coréenne du buddy movie fonctionne très bien. Eom Chul-woo cherche à nous plomber de sa rigueur maladive ; Kwak Cheol-woo, lui, y va de sa gaucherie attendrissante, en ponctuant les scènes sérieuses d’incidents comiques. L’association du drame et du burlesque, comme chez Bong Joon-ho, est bien présente. Celle des dramas qui multiplient et font durer les plans pour bien appuyer le propos d’une scène, est également là, bien que moins gracieuse. Le spectateur bon public s’en amusera, désireux de rester complice de la relation fraternelle en développement. L’autre déplorera les 2h19 de long métrage en énumérant toutes les étapes de course-poursuite ou de silences qu’il aurait fallu couper au montage.
Bien entendu, le film se fait le défenseur de la fraternité entre les deux Corées. Le regard est aussi simple que les gros fils de l’intrigue, mais sa sincérité et son actualité suffisent. Le cinéaste prend le temps de donner un aperçu des intérêts propres aux autres pays concernés par le sort des deux Corées : les Etats-Unis, le Japon et la Chine. Chacun a sa représentation caricaturale et dénuée de relief : la belle blonde de la CIA qui concilie séduction et professionnalisme, le bougre coréen d’origine et chinois dans l’âme qui en a vu des vertes et des pas mûres, et le Japonais silencieux. Peut-être Yang Woo-seok a-t-il cherché à y accumuler trop de thèmes : famille écrasée par la censure, occultation de toute forme d’espoir individuel, dévotion au pouvoir en place, décision politique qui sert ses intérêts propres, et prédominance de la k-pop. Quoiqu’il en soit, le rythme général du film, les interactions du duo (on soulignera la scène dans la salle d’interrogation où Eom Chul-u est transi de douleurs sous la couette), la qualité des scènes d’action parviennent à surprendre, et on ne sait jamais trop dans quoi on va tomber après la coupe.
Louise W. R.
Steel Rain de Yang Woo-seok. Corée. 2017. Disponible sur Netflix le 20/03/2019.