Plus d’un an après sa découverte à Cannes, le chef-d’œuvre de Jia Zhang-ke arrive en vidéo. Une année qui a encore fait mûrir un film sur lequel nous avons encore et toujours envie de revenir.
Il y a d’abord eu cette découverte frontale, insaisissable à Cannes en 2013. Notre première critique à lire ici annonçait d’ailleurs surtout une ferme volonté de revoir le film et d’y revenir. Nous avions certes déjà longuement commenté la filmographie de Jia à travers un dossier rétro ici, lu ses passionnants écrits là, et même rencontré le maître à l’occasion de la sortie de I Wish I Knew, histoires de Shanghai lors d’une interview filmée à voir à ce lien, mais rien ne nous préparer à la métamorphose sublime du cinéaste.
Le temps de la réflexion a succédé au temps de la découverte et de l’éblouissement. Lors de la sortie du film en salles, nous refusions la publication d’une simple critique pour privilégier un jeu de piste thématique à travers trois axes de lectures possibles : l’animalité, la lâcheté et l’angle économique. Ce qui ne nous a pas empêchés d’avoir un débat critique autour du film lors d’un mémorable podcast, au cours duquel Sidy Sakho devait hyperboliser les quelques défauts du film pour se faire entendre face à ses contradicteurs eastasiens (ceci dit il nous a d’ailleurs par la suite avoué avoir revu et apprécié le film lors de cette seconde vision).
Un an plus tard, la sortie vidéo du film est surtout un prétexte pour nous replonger dans toutes ces vagues qu’à provoquées le film, qui s’est hissé sans mal à la première place de notre Top 10 2013. L’édition proposée par Potemkine est simple, mais rend honneur au travail de Jia Zhang-ke grâce à une belle copie (dotée d’une VF, qui ne manque pas de surprendre tant on s’imagine mal les personnages de Jia parler français, mais certainement utile pour les ventes télé) et de deux petits suppléments.
Une interview assez complète du cinéaste par Michel Ciment et Hubert Niogret apporte un éclairage positif sur l’œuvre, notamment quand Jia évoque les racines Wu Xia du film et sa filiation avec Chang Cheh (pour la thématique « d’une personne ordinaire, prise dans les remous sociaux, qui répond à l’oppression par la violence »), King Hu (pour l’art paysagiste de l’auteur de Touch of Zen) et l’Opéra mettant en scène Lin Chong. Quelques propos de Marie Holzman et Alain Wang, spécialistes de la Chine, complètent l’édition. Ils évoquent pêle-mêle la thématique du malaise dans la société chinoise, la censure, la conception chinoise de la justice et rapprochent le travail de Jia de celui de Li Yang et Shangjun Cai, en déplorant le manque de visibilité de ce type de cinéma en Chine. Plus récemment, le succès sans précédent de Black Coal dans son pays vient d’ailleurs apporter une nuance à ce propos. Mais il est indéniable que l’année écoulée a vu un renouvellement du cinéma chinois indépendant, à travers la prise en charge de codes esthétiques appartenant à des genres populaires, permettant à leur propos critique de toucher beaucoup plus largement.
On est alors curieux de l’évolution du cinéma indépendant chinois, qui semble atteindre en ce moment une maturité esthétique et commerciale. Le cinéaste a d’ailleurs annoncé un nouveau projet… hors de Chine (pour en savoir plus, lire ici). D’ici là, on peut revoir à l’infini A Touch of Sin…
A Touch of Sin, de Jia Zhang-ke, disponible en DVD et Blu-Ray, édité par Potemkine, depuis le 03/06/2014.
See you space cowboys,
Victor Lopez