Un film beau mais décousu, audacieux mais frustrant, tissé sur les thèmes de l’errance, de l’amour et de la perte. Avec son deuxième long métrage de fiction, Franck Guérin vise haut mais ne convainc pas. Par Antoine Benderitter.
Un film d’évidence schizophrène. Deux lieux, deux époques. De nos jours et sept ans plus tôt. D’une part, la ville de Taipei. D’autre part, un village de montagne en France. Deux espace-temps s’entrelacent, se télescopent. Point commun à ces récits, un homme taciturne et désemparé, Abbas, auquel Yann Peira prête sa forte présence physique. Les prémisses de l’histoire : Abbas recherche une jeune fille disparue des années plus tôt. Sa compagne, Lian, cherche à le sortir de son état de torpeur. Mais Abbas porte en lui le souvenir obsédant d’événements tragiques survenus sept ans auparavant, dans une montagne coupée du reste du monde et menacée par une pandémie…
Franck Guérin place son film sous le signe de la folie. Pas une folie furieuse, plutôt un délire tranquille. L’ambiance est cotonneuse, parfois sépulcrale. La narration décousue du film ne s’embarrasse guère de tenir par la main son spectateur. À ce dernier de tenter de suivre, quitte à se perdre, le flux des fantasmes, des souvenirs et des associations d’idées. Heureusement, l’intérêt est de temps en temps réveillé par de splendides images de la nature (la brume flottant sur les montagnes et les cours d’eau) et de surprenantes saillies sensuelles (corps nus superbement filmés, surtout ceux des femmes). Le mutisme de l’ensemble intrigue au départ, puis finit par sentir le procédé : seuls le début et la fin de One O One s’avèrent réellement prenants, comme si le film avait pris à la lettre la symétrie de son titre, pour ménager un zéro émotionnel et dramatique en son milieu.
D’où naissent les films ? Devant une œuvre si singulière, on se prend à rêver de ses origines. Une scène, dans le dernier fragment narratif, pourrait fournir une clef. Lian et une amie se promènent de nuit dans une rue de Taipei ; les lumières de la ville scintillent autour d’elles, les rues, parcs et fenêtres grouillent d’ombres et de vie. Taipei fascine, à l’image de ces grandes mégapoles modernes dont elle constitue l’un des archétypes. L’immeuble One O One, dont la présence architecturale hante le film, matérialise à merveille un tel fantasme urbain. Pendant que le spectateur s’imprègne de cette atmosphère, les deux jeunes femmes bavardent, échangent sur le mystère des liens entre les choses. Elles affirment que tout se tient : entre un lieu, un visage, un parfum croisés lors d’une promenade, un fil invisible peut se tendre. Voilà une de ces expériences de tous les jours auxquelles, trop pressés, nous ne laissons que trop rarement la chance de mûrir, prendre forme. Le film pourrait être né d’une de ces libres associations d’idées tramées durant la contemplation et l’errance. Le spectateur se trouverait ainsi confronté à un hommage à la poésie d’une ville, d’un paysage, à une émotion mystérieuse à laquelle seule une attention aiguë et patiente aux êtres et aux choses permet d’accéder.
Dommage qu’en regard d’un si fort potentiel, One O One propose une mise en scène et un rythme qui épousent si peu la pulsation hypnotique du rêve mais se contentent de la mimer. Sensation d’artifice, comme si le récit finissait par tourner à vide. D’où provient cette impuissance ? Peut-être du fait que le film est trop impatient de faire état de ses mystères, de ses beautés, oubliant que le plus important, ce n’est pas de multiplier les ellipses et les fulgurances, mais avant tout de susciter le désir. Alchimie subtile, que peu de cinéastes parviennent à atteindre – si ce n’est par exemple David Lynch, un des modèles évidents du film. L’ambition de One O One, son audace, n’accouchent cependant pas d’une chose arrogante et vide, juste d’une expérimentation un peu autiste, peut-être au fond trop timide, pas assez sûre d’elle-même. À la subjectivité de chaque spectateur de trancher sur son véritable impact émotionnel : il n’est pas déconseillé à qui lit ces lignes de tenter sa chance. Ni à son réalisateur de se lancer dans une nouvelle tentative, dont celle-ci pourrait alors rétrospectivement apparaître, qui sait, comme la belle mais frustrante préfiguration.
Verdict :
Antoine Benderitter.
One O One de Franck Guérin, en salles le 27/06/2012.