FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2023 – The Real Superstar de Cédric Dupire

Posté le 4 décembre 2023 par

Pour sa 45e édition, le Festival des 3 Continents consacre une rétrospective à l’acteur culte de Bollywood, Amitabh Bachchan. Aux côtés des neufs long-métrages sélectionnés à Nantes (parmi les 200 qu’a tourné la star), une œuvre singulière : The Real Superstar, du réalisateur français Cédric Dupire. Le film, composé de centaines d’extraits réorganisés de la filmographie du demi-dieu indien, est une expérience déroutante qui questionne notre rapport au cinéma, à l’identité et aux personnages que l’on s’invente.

Qui est Amitabh Bachchan ? Pour les Indiens, il est l’éternel jeune homme en colère révélé dans les films d’actions des années 1970, le romantique prêt à tout pour sa dulcinée, le patriarche qui règne sur Bollywood depuis maintenant cinq décennies. Pour les Occidentaux, il est tout au plus un nom hurlé par le personnage de Jamal dans Slumdog Millionaire (2008), qui se précipite enfant vers son idole avec une photo à dédicacer, ou la figure du businessman criminel Meyer Wolfsheim dans Gatsby le Magnifique (2013).

Le réalisateur Cédric Dupire le découvre quant à lui lors de séjours professionnels en Inde. Son image est omniprésente dans l’espace public : “je m’intéresse au rapport que les gens entretiennent avec le cinéma, au culte pour les acteurs, explique-t-il.  A l’époque, je n’étais pas fan de l’acteur, je n’avais vu que certains des films dans lesquels il avait tourné, mais la fascination qu’il suscite, encore aujourd’hui, sa place dans les imaginaires et dans l’espace urbain, tout cela a éveillé mon intérêt”.

Le résultat est à mille lieues de ses productions habituelles : “je ne vois pas du tout cela comme un documentaire, c’est presque tout le contraire, indique-t-il. C’est un film expérimental, une projection de ce que pourrait être la vie d’Amitabh Bachchan et de ce qu’il représente.”

 

Pendant dix ans, avant que les financements pour produire cette œuvre singulière ne soient enfin débloqués, le réalisateur collecte les DVD de l’acteur et les dérushe quand il trouve du temps. Une fois le projet validé, il y a trois ans, il s’attaque à toute la filmographie d’Amitabh Bachchan et en classe chaque extrait. Un travail complexe et laborieux, qui aboutit, selon ses mots, à un “film avec des bouts de films” :  “il y a eu un gros travail d’épuration. Ce n’est pas un film de fan : je n’ai pas gardé mes scènes préférées, mais celles qui servaient la narration. » 

De sa naissance à sa mise à mort (figurative), le Bachchan de Cédric Dupire est en effet un personnage parmi d’autres, une créature fictive qui se démène avec son identité et son image autant qu’avec la police, les colons ou les criminels qu’il affronte. Tous les personnages qu’il interprète à l’écran ne sont en fait que des avatars d’un seul et même homme imaginé : “il fallait faire naître et vivre un être de fiction. Le mode de narration est donc particulier, cela peut troubler. On a le point de vue d’un personnage qui n’a pas conscience qu’il est un personnage, et le film met en scène en quelque sorte cette quête identitaire”.

Ce tâtonnement, cette dualité, est visible dès les premières minutes : né de multiples mères, souvent dans la souffrance, Amitabh Bachchan semble poursuivi par des forces obscures et menaçantes. Pour fuir, il commence alors à courir, d’abord en bas âge, puis enfant, adolescent et enfin, adulte. Dans une superbe enchaînement de rushs, il s’élance vers l’inconnu, avec rage et détermination. 

Ses différents avatars se révoltent alors, s’engagent, défendent les opprimés. Mais l’angoisse guette : est-il vraiment ce héros que tous adulent ? Il rencontre son double, doute de sa réalité, se palpe le visage, traverse des pièces remplies de miroirs où son image se multiplie à l’infini. Il recommence à courir : mais dans quel but ? Derrière un rideau, une femme semble l’attendre et lui demande en chantant : “avez-vous perdu quelque chose monsieur ?”

Son monde se distord, et rencontre, soudain, le nôtre : dans un twist narratif, le réel de l’acteur rencontre celui du personnage. Sur fond noir, une voix d’archive se demande pourquoi une foule veille depuis près d’un mois un hôpital de Bombay. “La plus grande star de la plus importante industrie du monde lutte actuellement contre la mort, et cette fois, pour de vrai”. En 1982, l’acteur est victime d’un grave accident sur un tournage, et frôle le pire. Dans notre monde, Amitabh Bachchan sort triomphant de cette épreuve, plus que jamais adoré du public. Dans le monde de Cédric Dupire, l’homme qui sort est proche de la folie et pétri de doutes, poursuivi par des gens qui l’aiment sans qu’il comprenne pourquoi. Il cherche, désespérément, la sortie.

Réflexion aussi fascinante que déconcertante sur le pouvoir de l’image, de son double et de son reflet au cinéma, The Real Superstar est un objet filmique non identifié aux frontières de la réalité et de la fiction, une fable déconstruite qui dérange et interroge quant aux passions que nous projetons sur ceux qui nous font rêver. Un puzzle, à sans cesse recommencer.

Audrey Dugast

The Real Superstar de Cédric Dupire. France. 2023. Projeté au Festival des 3 Continents 2023.

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