DOSSIER – Coffret Lady Yakuza, la saga intégrale en huit films

Posté le 1 décembre 2025 par

Carlotta films nous permet cet automne de redécouvrir avec un imposant coffret la saga des Lady Yakuza, connue aussi sous le nom de Red Peony Gambler, conçue par la Toei pour concurrencer la série des Woman Gambler qui avait connu le succès avec trois films entre 1965 et 1966 – série dans laquelle le producteur Okada Shigeru réclamait un film ou l’héroïne serait une joueuse à la fine lame dans lequel elle dévoilerait une partie de son corps pour révéler un tatouage, ce qui inspira les créateurs de la franchise qui nous intéresse aujourd’hui.

La saga, conçue dès le départ comme une série à épisodes (8 films entre 1968 et 1972), repose sur des scénarii de Suzuki Norifumi, encore sage, quelques années avant ses excès des années 70, pour tous les films sauf le dernier, et la prestation de Fuji Junko, également interprète du générique de la série, fille d’un producteur du studio, qui trouvait là son premier rôle de premier plan après une cinquantaine de films à jouer les rôles des amoureuses des yakuza. Passé un opus initial axé sur la vengeance de  l’héroïne, la série devient une succession d’épisodes racontant les aventures de Yano Ryuno, surnommée Oryu la pivoine rouge, qui voyage à travers le Japon pour raffiner ses pratiques de yakuza avant de refonder le plan paternel, souriante et serviable à la manière d’un Tora-san de l’éthique chevaleresque. On est en plein dans le ninkyo eiga formulaïque, et plus particulièrement le sous genre du yakuza vagabond, avec son conflit entre traditions et modernité à l’ère Meiji, son érotisme de nuques, épaules et chevilles, et son idéalisations des clans yakuzas, mais avec une véritable tenue, à la manière d’un bon manga d’aventure, et la première femme cheffe de clan du cinéma nippon.

« Je suis originaire de la région de Kumamoto. Plus exactement je suis né à Itsuki. Mon nom est Ryuko Yano. On me surnomme Oryu la Pivoine Rouge. Comme vous le voyez, je ne suis qu’une simple femme. Maintenant que nous nous connaissons, je souhaiterais pouvoir compter sur votre soutien. »

Tel un Lucky Luke féminin, Oryu, accompagnée de sa chanson dont les reprises sont omniprésentes dans la bande originale, promène de ville en ville sa conception de l’éthique chevaleresque et se retrouve liée aux conflits locaux. Contrairement à un Yojimbo ou à un Zatoichi, avec leur charisme d’hommes sans nom, elle devient assez vite une sorte de célébrité, l’énoncé de son identité étant accueilli par des regards aux yeux écarquillés et la panique des déloyaux. Elle devient une figure facilement identifiable toujours élégante et souriante dans ses kimonos soignés mais prête à tout moment à neutraliser les assaillants, à mains nues, de sa lame, du poignard caché dans ses cheveux et même quand la situation le demande au pistolet ou à coups d’ombrelle. Il y a vraiment un côté héros de western spaghetti, personnage sur-compétant sorti de nulle part mais à la différence d’un Django, elle reste incroyablement pure et toujours poussée par de bonnes intentions, confronté à l’évolution du monde et à la veulerie des hommes. L’assassinat de son père ayant empêché son mariage, elle évolue dans la zone grise du chef de clan accomplissant des tâches masculines, mais toujours ramené à sa féminité, dans une impossible équation, figure éminemment japonaise dans un monde où les costumes occidentaux sont de plus en plus présents, garante de la tradition mais adepte du six coups. On la voit s’éprendre de beaux taiseux ténébreux destinés à alimenter la tragédie par leur propension au sacrifice et courtisée par des figures bouffonnes dont on sait qu’elles ne pourront pas la séduire, en bonne idole éternellement condamnée au célibat, toujours désirable mais volontairement inatteignable pour le public – paradoxalement c’est le mariage de l’actrice qui mettra fin à la série en 1972. L’intrigue est parfois suivie avec un personnage passant d’un film à l’autre, mais dans l’ensemble c’est assez accessoire, des acteurs revenant d’ailleurs plusieurs fois dans d’autres rôles après la mort de leur personnage initial. Dans l’ensemble la formule est simple : en une heure et demie, on développe un conflit lié au monde des yakuzas à résoudre (le devoir humain opposé au devoir féodal), une ou plusieurs scènes de jeu (dés ou hanafuda, ce « jeu des fleurs » dont la main perdante à donné son nom aux yakuzas) dans lequel ont met en jeu son honneur, voire sa vie, le tout dans une ritualisation hiératique, moments de déflation comique, tentation pour Oryu de redevenir une femme ordinaire compensée par la nécessité de faire régner la justice, bain de sang final, pendant lesquels l’héroïne devient progressivement de plus en plus sanguinaire avec des grimaces de triomphe sadique de plus en plus prononcés. On tient ici la première vraie figure de femme cheffe de clan yakuza (les Woman Gambler ne parlaient que de vengeance, les Lady Yakuza continuent avec ce qu’il se passe ensuite, une fois qu’on a accompli cette vengeance), mais aussi le prototype de personnages comme Lady Snowblood, et, dans une moindre mesure, La Femme Scorpion.

D’une ténacité d’acier
Mais femme malgré tout
Sous ses cheveux noirs de jais
La pivoine rouge tremble
Les regrets d’une femme, d’une femme, d’une femme, s’accumulent
Dans le ciel nocturne
Même les étoiles s’éteignent

La série s’ouvre en septembre 1968 avec le film éponyme de Yamashita Kosaku, La Pivoine Rouge (traduction presque littérale de son titre japonais « la joueuse à la pivoine rouge »), surnom de notre fameuse Lady Yakuza. Après une ouverture très stylisée où l’héroïne se présente avec une diction héritée du théâtre japonais devant un fond rouge semblable à celui des katas de certains films de la Shaw Brothers. On entre dans le cœur de l’action, une histoire de rivalités au milieu de laquelle la jeune Oryu cherche à retrouver l’assassin de son père, avec pour seul indice un portefeuille oublié sur les lieux du crime. Classique dans son déroulement, le film sait laisser la place aux moments de cérémonial (dont la phalange tranchée) mais aussi à des scènes comiques (les déconvenues de l’amoureux joué par Wakayama Tomisaburo en chef de clan bouffon, personnage récurrent de la série) ou des moments dramatiques, avec un Takakura Ken jouant sur la retenue pour exploiter son charisme, et bien entendu quelques fulgurances de violence pour montrer la détermination de l’héroïne. Dans l’ensemble, ce premier épisode est clairement conçu comme prototype, exposition pour présenter le personnage et commencer à l’iconiser afin de pouvoir lancer la franchise. La résolution de l’intrigue elle-même n’est pas très surprenante mais mise en place de façon très  maîtrisée pour mettre en valeur ses acteurs, ses costumes et ses décors. On retiendra notamment la transition de l’espace théâtral de l’introduction à la première scène de jeu en passant par un abstrait décor au fond noir, et la scène des origines où les pivoines blanches deviennent rouges lors de la décision de cesser d’être femme, symboliquement noyées du sang paternel. Dans les récits sur la création du film, le réalisateur est étrangement mis en retrait, Okada Shigeru évoquant surtout son travail avec Suzuki Norifumi et la difficulté qu’il a eu à convaincre le père de Fuji Junko de laisser sa fille jouer un personnage de femme yakuza (qui pour lui, lié au milieu dans le monde réel, devait nécessairement être un personnage en retrait) et de la dénuder partiellement pour révéler le tatouage. Cela se traduit à l’écran par un film qui travaille activement à rendre crédible le personnage de la cheffe yakuza, quitte à sacrifier une partie du dynamisme pour légitimer sa place dans la tradition (de façon assez jolie, le film se situe entre deux solos de percussions de l’héroïne, l’un extatique au début, le second désespéré à la fin).

Le deuxième épisode, directement réalisé par Suzuki Norifumi et sorti en novembre 1968, deux mois plus tard, s’intitule en français La Règle du jeu et en japonais « L’Hospitalité pour une nuit et un repas » (« L’obligation d’une joueuse » en anglais). Le film s’amuse à reprendre de façon très proche l’introduction du premier film, avec le rituel de présentation de l’héroïne sur un fond encore plus rouge, avant de plonger dans une nouvelle scène de jeux d’argent, seulement repoussée le temps de la scène musicale qui accompagne le générique, pour asseoir fermement la formule. Oryu reçoit l’hospitalité d’un petit chef de clan. Comme il se doit, il se fait assassiner et Oryu doit bien sûr protéger ses proches pour montrer sa gratitude, d’autant plus que le chef assassiné avait essayé de l’éloigner pour la protéger, mais aussi protéger les paysans de leurs usuriers exploiteurs et affronter un terrible couple de tricheurs mettant en danger le monde du jeu. Cette fois-ci, c’est Sugawara Bunta qui vient donner la réplique à Fuji Junko. Le film continue dans la veine du premier, avec des personnages chevaleresques confrontés à des corrompus, des scènes comiques et quelques scènes d’actions très efficaces où Oryu incorpore pleinement les armes à feu à sa panoplie de justicière, là où son pistolet était moins présent précédemment, aussi nerveuse qu’un avatar de Django. Mais, là où la vengeance était précédemment le principal moteur, c’est l’honneur qui est maintenant la motivation qui transforme le personnage en justicière à part entière. On entraperçoit la patte de Suzuki dans quelques scènes à l’humour étrange, dans la multiplication des joueuses aux épaules nues et dans une scène où une femme est torturée à coups de fouet, mais dans l’ensemble, il s’agit à nouveau d’un film classique, avec les mêmes qualités que le premier film mais aussi le même risque de paraître trop guindé dans sa façon hiératique de présenter la rigidité rituelle du monde des yakuza. On peut remarquer que ce film formalise aussi la marche vers le combat finale sur une strophe de la chanson d’Oryu, étrangement la première strophe, alors que les suivants préféreront la deuxième.

Le  11 février 1969, Oryu est déjà de retour dans le premier film d’une trilogie dans la saga réalisée par Kato Tai (grand réalisateur de studio et assistant-réalisateur de Rashomon…) : Le Jeu des fleurs (littéralement « la partie de hanafuda« ). Si ses films sont aujourd’hui parmi les mieux considérés de la série, ils ont apparemment été les plus compliqués à produire, l’actrice vedette trouvant le réalisateur trop lent sur le tournage et affirmant qu’elle ne comprenait rien à ses intentions. Pourtant, il faut bien constater que ce troisième épisode est particulièrement efficace. L’introduction du film abandonne la présentation sur fond rouge pour une scène in medias res, où l’héroïne, à la façon d’un Superman, sauve in extremis une petite fille aveugle du passage d’un train. De façon ludique, le laïus de présentation de l’héroïne constitue pourtant bien les vraies premières paroles du film mais sans le fond rouge et filmé de biais, comme dans un jeu de connivence avec le spectateur qui commence à le connaître par cœur… Cette fois, la formule est bien établie, ce qui permet au film de se concentrer sur sa mise en scène, avec des jeux sur les effets de cadrage et de surcadrage, une dramaturgie des regards et du rythme de la violence. Usurpation d’identité qui perturbe la scène d’hospitalité du début, conflits de loyauté, tournois de carte où il faut identifier le tricheur, le film joue parfaitement sa partition avec une vraie dimension ludique : le mélodrame lié aux « bêtises » de la nouvelle amie d’Oryu, le trouble de voir revenir Takakura dans le rôle d’un nouveau samouraï ténébreux, les scènes tire-larmes avec la petite fille aveugle qui ne veut pas être abandonnée et même la dernière séquence du film où la chanson de l’héroïne retrouve ses paroles pour illustrer le moment où la marche du couple sous le parasol se transforme en charge martiale avant le bain de sang final. C’est l’un des épisodes où la formule est la mieux mise en valeur.

Dès avril 1969, Oryu revient sur les écrans avec L’Héritière (pour une fois c’est à peu près une traduction littérale du titre original) de Ozawa Shigehiro (qui réalisera plus tard des classiques comme The Street Fighter et sa suite Autant en emporte mon nunchaku, mais aussi le dernier Sister Street Fighter impulsé à nouveau par le duo Okada Shigeru Suzuki Norifumi , s’il l’on en croit les dires d’Okada dans ses mémoires). Cette fois, direction Kyushu pour rendre visite à son oncle, chargé d’encadrer la construction du chemin de fer. Cependant, c’est sans compter sur l’opposition des bateliers qui ont peur de perdre leur gagne-pain et qui ont grièvement blessé l’oncle. Comme toujours, Oryu demande l’autorisation de prendre les choses en main, et elle va découvrir une situation plus complexe qu’elle ne l’avait anticipé. À ce stade dans la série, Oryu est devenue une sorte de folk heroin, des personnages qui ne l’ont jamais rencontré répandent des rumeurs sur son compte, elle est capable de maîtriser à elle seule une dizaine d’adversaire, elle brandit de la dynamite allumée avec un naturel confondant, elle pardonne sans hésiter à qui a mal agi pour de bonnes raisons… On remarque d’ailleurs que le récit escamote cette fois la présentation de l’héroïne, dans une scène où un prétendu descendant de Goemon s’invente une histoire d’amour avec elle, de figure folklorique à figure folklorique. La véritable présentation a alors lieu en acte, dans une scène-réminiscence des attaques de diligence des western, mais très japonaise dans l’affrontement. Les affrontements se font plus viscéraux, avec une Oryu échevelée à la limite du rictus sadique après avoir résisté à l’assaut final du méchant de l’épisode, avant de l’achever définitivement. À partir de ce moment, elle n’est plus l’apprentie yakuza des épisodes précédents mais bien la cheffe de clan, protectrice des siens et du peuple. Même s’il s’agit avant tout d’un film de yakuza, l’accent sur la dimension complexe des conséquences sociales de la modernité est intéressante.

Il faut attendre octobre de la même année pour qu’apparaisse un nouvel opus, de nouveau réalisé comme le premier par Yamashita Kosaku, Chronique des joueurs (« La légende des poings de fer »). Maintenant, ce sont les officiels qui reconnaissent l’héroïne qui n’a même plus à se présenter lorsqu’elle vient chercher un membre de son clan à sa sortie de prison. Alors qu’elle annonçait de nouveaux voyages à la fin de l’épisode précédent, elle est maintenant une cheffe installée et on considère comme un fait établi que tout le monde est amoureux d’elle. Cette fois, ce n’est plus sa place dans le monde des yakuzas qui est en question : « La Pivoine Rouge est admirable en tant que yakuza, mais en tant que femme elle ne vaut rien ». Le défi est cette fois de réussir à devenir un temps une femme ordinaire afin de pouvoir accomplir les rites funéraires d’un de ses hommes, mort loin de Kyushu. Bien entendu, alors qu’elle s’y attelle au milieu des indigotiers, les puissances d’argents viennent oppresser la population et il lui devient de plus en plus dur de ne pas prendre la situation en main pour faire régner la justice, alors que le protecteur des pauvres accepte de subir toutes les violences et humiliations pour protéger la population. Bien entendu, le film explore la question du cycle de la violence et l’impossibilité à revenir à une vie normale après avoir connu le monde des yakuzas. Cette fois, l’action expérimente avec des ralentis et une corde permettant plus de pièges, et les armes à feu se font plus présentes. Assez classique, le film est aussi l’occasion de revenir sur le rapport d’Oryu aux enfants, après le troisième opus.

C’est alors qu’arrive le chapitre le plus étonnant de la saga : en mars 1970, Kato Tai revient avec Le Retour d’Oryu, suite directe mais située des années plus tard du Jeu des fleurs. Oryu cherche maintenant ce qu’est devenu la petite fille autrefois aveugle qu’elle avait promis de revoir avant la bataille finale du troisième épisode. Le film s’ouvre sur une nouvelle forme de présentation, Oryu offrant son visage à une jeune femme, dans l’espoir que les mains de l’aveugle permettent de la reconnaître. C’est sans doute l’épisode le plus sombre de la série, traitant directement du devenir des personnages abandonnés par l’héroïne entre chaque épisode, avec une violence notablement plus graphique lors de certains affrontements. La trame se fait aussi plus urbaine, mélangeant lieux de la modernité, pickpocket et des liens de plus en plus ténus entre monde du théâtre et monde des yakuzas, tout se transformant en farce tragique, où même Oryu perd goût au défi des scènes de jeu, malgré le soutien de Sugawara Bunta. Le ton est beaucoup plus pesant qu’à l’accoutumée, plus encore qu’auparavant le sort réservé aux femmes est dénoncé et la longue scène d’action finale se fait vraiment désespérée, avec une héroïne qui finit aussi sanglante qu’échevelée, prête à se sacrifier si on ne lui rappelait pas que d’autres comptent sur elle.

Plus d’un an plus tard, en juin 1971, Kato Tai clôt sa trilogie dans l’octologie avec Prépare-toi à mourir ! (comme le précédent, ce titre est assez fidèle à l’original japonais). Ce titre illustre bien l’état d’esprit général. À nouveau seule, malgré ce que cela implique pour les personnages de l’opus précédent, Oryu rencontre de nouveau des pauvres exploités par des riches, et découvre que des yakuzas locaux dérogent dans cette affaire aux codes chevaleresques. Bien sûr, elle ne peut s’empêcher d’intervenir. Une nouvelle fois, grâce à ses jeux de cadrages et de mise en scène, Kato essaie de transcender la formule, en variant  la façon dont les scènes de jeu sont présentées mais aussi lors des combats. L’une des trouvailles du film est dans la présence d’un enfant qui voit en Oryu une mère de substitution et qui revient périodiquement faire s’affronter la possibilité d’une normalité avec la monstruosité grandissante du monde des yakuzas, ce qui occasionne une scène finale très forte, sorte de nouvelle version de celle du film précédent, poussée jusqu’à son aboutissement logique, passant du rictus de la meurtrière sanglante aux larmes de la femme prisonnière de sa propre malédiction. Les quelques scènes comiques permettent de rappeler les origines de la saga, mais Kato semble vraiment plus concerné par montrer la façon dont le monde des yakuzas abîme la société et les êtres qu’à proposer le grand divertissement chevaleresque des débuts. On sent presque planer l’ombre des quasi-yurei de Kaji Meiko derrière le sourire poli de Junko Fuji.

En janvier 1972, Oryu abandonne enfin son errance pour rentrer chez elle dans Le Code yakuza (« Je ferai respecter la justice » en VO) de Saito Buichi (qui réalisera plus tard dans l’année un épisode de Lone Wolf and Cub/Baby Cart). Cette fois, on retourne aux fondamentaux, Oryu doit intervenir dans des querelles de succession, et elle retrouve Sugawara Bunta dans un dernier rôle d’adjuvant. Mais à ce moment, on sait déjà que l’actrice va prendre sa retraite pour se marier, et après le passage de Kato Tai, la formule est difficile à reprendre, surtout pour un réalisateur moins inventif. En outre, c’est le premier film de la série sans implication de Suzuki Norifumi, au moins co-scénariste de tous les autres opus de la série. Le film est tout à fait convenable par ailleurs, il pâtit juste de sa place dans la série et de sa certitude de mettre une fin, au moins provisoire, à l’histoire d’Oryu ; on le voit par exemple dans la scène d’introduction pré-générique, qui s’est installée depuis le dernier générique, ne racontant cette fois plus rien du tout, Oryu nous regarde juste depuis un pont. Nouveautés cependant, pour la première fois le film est situé à une date précise, à la fin d’une ère, et le chef de clan comique joué par Wakayama Tomisaburo est convié à la scène de fin en même temps que Sugawara Bunta, et cette fois-ci, le trajet sur le troisième couplet de la chanson du thème se fait en bateau plutôt qu’à pied. Le film se clôt de façon proche des deux précédents opus mais ici, on accompagne Oryu hors de scène avec théâtralité, comme un dernier salut, ou plutôt, comme si le film entier n’avait été qu’un ultime rappel.

On pourra s’étonner d’un tel écart entre les derniers films de la série, mais c’est qu’il existe deux films en dehors de ceux du coffret dans lesquels la pivoine rouge s’illustre en juin et novembre 1970, tous deux réalisés par Suzuki mais semble-t-il scénarisés par Takada Koji, comme le dernier morceau de la saga : la série des « Chef mafieux au chapeau de soie« , consacré au personnage joué par Wakayama, dans lesquels Oryu devient un personnage secondaire, versant visiblement comique de la franchise (le second épisode s’appelle « L’ours à la petite moustache« ). Si le coffret Lady Yakuza marche suffisamment, le complétiste se prend à rêver que Carlotta les diffuse aussi, à la fois en tant qu’œuvres de Suzuki et pour avoir l’impression d’avoir vraiment fini notre voyage avec Oryu. Pour ceux qui en demanderaient encore, la série Sister Street Fighter possède la même équipe créative et a été pensée comme une version moderne de la Pivoine Rouge.

Édition Blu Ray:

Carlotta nous gratifie ici d’un coffret très soigné, avec un boîtier élégant contenant quatre disques et un très qualitatif livret contenant toutes les archives papiers possibles, avec de très belles illustrations.

Chaque film est présenté dans son format scope d’origine, accompagné d’un piste mono en DTS HD-MA très claire. L’image conserve à chaque fois son grain argentique et elle ressemble aux étalonnages que l’on constate sur les films de cette époque encore disponibles sur pellicule, y compris dans ces moments où le type de focale employée rend l’image très légèrement brumeuse.

Chaque film est précédé d’un introduction optionnelle (et disponible aussi à part) de Stéphane du Mesnildot, d’environ 3min, qui essaie à chaque fois de mettre en valeur les spécificités du film précis, pour éviter que l’effet de répétition ne nuise à la réception de l’œuvre. Une bande annonce originale est également disponible pour chaque film.

Sur le troisième disque, le critique britannique Tony Rayns revient pendant 20 minutes sur la série et ses effets de style, en se concentrant tout particulièrement sur la trilogie de Kato Tai, réfléchissant entre autre sur la parenté entre les Lady Yakuza et les westerns. Sur le quatrième disque figure un essai de 30 minutes où on retrouve Stéphane du Mesnildot offrant son éclairage sur le ninkyo eiga, qui retrace l’histoire du genre et ses liens avec les véritables yakuzas (notamment à travers le père de Fuji Junko) mais travaille aussi à replacer cette série particulière de films dans son contexte, avec même parfois un peu d’analyse filmique précise quand le temps le permet (un intéressant développement sur la façon dont la mise en scène d’Oryu croupière au milieu des yakuzas dénudés peut renvoyer à la déesse Kannon). Dans l’ensemble, ce mini cours permet de se mettre dans de bonnes dispositions pour évaluer la série à sa juste valeur.

Florent Dichy.

Remerciement à Laetitia Aya Citroen pour l’aide en japonais.

La Pivoine rouge de Yamashita Kosaku. Japon. 1968.
La Règle du jeu de SuzukiNorifumi. Japon. 1968.
Le Jeu des fleurs de Kato Tai. Japon. 1969.
L’Héritière de Ozawa Shigehiro. 1969.
Chronique des joueurs de Yamashita Kosaku. 1969.
Le Retour d’Oryu de Kato Tai. Japon. 1970.
Prépare-toi à mourir ! de Kato Tai. Japon. 1971.
Le Code yakuza de Saito Buichi. Japon. 1972.

Lady Yakuza, la saga intégrale en 8 films. Disponible en coffret Blu-ray chez Carlotta Films le 04/11/2025.