VIDEO – Executioners de Johnnie To et Ching Siu-tung

Posté le 8 août 2023 par

Carlotta Films sort dans une belle édition Blu-Ray/UHD le diptyque Heroic Trio/Executioners de Johnnie To, belle tentative de fusion entre imagerie comic-book et action à la hongkongaise. On se penche sur Executioners, deuxième volet plus crépusculaire, désenchanté et marqué par son ambiance post-apocalyptique.

Au lendemain d’une terrible guerre nucléaire, l’eau non polluée est devenue une denrée rare. Inventeur d’un système de purification d’eau, M. Kim a l’intention de renverser le pouvoir en place pour régner en maître sur le pays. Le trio héroïque va alors se reformer, bien décidé à lutter contre ce tyran…

Heroic Trio (1993) fut une tentative foutraque, inventive et jubilatoire de mélanger film de super-héros au féminin avec les codes du cinéma d’action hongkongais. Le film ne rencontrera malheureusement pas le succès escompté mais, qu’à cela ne tienne, il s’agira d’en rentabiliser les rutilants décors en produisant une suite dans la foulée qui sortira 7 mois plus tard à Hong Kong. S’il fallait qualifier Executioners d’une analogie littéraire, ce serait comme si Alexandre Dumas était passé directement des Trois mousquetaires au Vicomte de Bragelonne en oubliant Vingt ans après. Heroic Trio marquait le rencontre et l’association des trois héroïnes, et ce second film saute l’étape de l’âge d’or de leurs exploits pour directement aborder leur crépuscule héroïque dans une tonalité désenchantée.

Cette rupture se fait aussi à travers le genre et l’esthétique du film. Le flamboyant film de super-héros sous influence hollywoodienne (Batman (1989) et Batman, le défi (1992) de Tim Burton, Dick Tracy de Warren Beatty (1990)) laisse donc place au récit post-apocalyptique où la majesté insouciante du trio n’a plus place. Heroic Trio mélangeait action décomplexée avec certains sursauts de noirceur et cruauté qui avaient éventuellement pu désarçonner les spectateurs hongkongais. Executioners est plus uniforme dans son ton mélodramatique et des ajouts (la petite fille du personnage d’Anita Mui) permettant de le renforcer à moindre frais. Tout comme son prédécesseur, Executioners entretient un lien fort avec le contexte socio-politique hongkongais de l’époque. La catastrophe nucléaire responsable du chaos ambiant s’inspire d’une vraie peur née de la mise en service de la centrale nucléaire de la baie de Daya en 1993, les Hongkongais craignant l’accident et l’infection de leur eau, soit la situation du film. Les antagonistes de Heroic Trio représentaient une allégorie du régime chinois qui, avant la rétrocession, hantait symboliquement les Hongkongais par les noirs desseins qu’il entretenait dans les égoûts de la ville, avant de pouvoir agir au grand jour. L’attaque est plus explicite dans Executioners avec ce régime en partie sous joug militaire, ne lésinant pas sur les arrestations arbitraires et les tueries de masse dans une scène où plane explicitement l’ombre des massacres de Tiananmen.

Dans cet environnement, notre trio se trouve empêché dans son héroïsme. Maggie Cheung toujours aussi imprévisible et vénale n’a plus le garde-fou de ses acolytes, Anita Mui ayant abandonné le costume pour son désormais rôle de mère de famille, et Michelle Yeoh la plus empathique étant fortement engagée dans le lien à entretenir entre la population et le pouvoir politique. Il n’y a réellement aucune scène, même à la fin où le trio se trouve réuni et renoue avec sa splendeur d’antan. L’ensemble du film est une suite de rendez-vous manqués entre déchéance et morceaux de bravoure plus individualisés. Cette incapacité s’exprime dans les quatre chansons conduisant et exacerbant le drame en marche durant des rebondissements clés, et le personnage de Kaneshiro Takeshi, sorte de religieux pacifiste manipulé, marque la fin de ces bonnes intentions candides.

Formellement il faut donc oublier la luxuriance de Heroic Trio avec des décors se résumant à des usines et hangars désaffecté. La photo de Poon Hang-sang baigne dans une atmosphère grise et cafardeuse d’où surnage peu d’espoir. Ce côté désespéré déteint sur les combats dans lesquels on sent une mainmise plus grande de Ching Siu-tung par rapport au premier film – il est cette fois crédité en tant que coréalisateur. Les poses iconiques sont rares voire absentes, les affrontements plus brutaux, sanglants, douloureux et moins pourvus en bottes secrètes triomphantes. D’ailleurs, hormis un Anthony Wong aussi théâtral qu’inquiétant en méchant, toute extravagance comic-book est absente dans Executioners. Il y aurait bien la longue montée en puissance voyant Anita Mui prisonnière qui se sculpte un nouveau masque dont les contours se dessinent en ombre pour ses geôliers, mais l’issue vengeresse de la séquence s’éloigne de la grâce du premier film par sa violence. Executioners est une suite surprenante et courageuse qui achève de faire de ce diptyque une tentative des plus singulières.

Bonus

Fabien Mauro et Marvin Montès poursuivent leur discussion entamée sur le bonus de Heroic Trio (15 min) pour aborder les spécificités de cette suite, le changement de ton, d’esthétique dictée par le contexte social, le budget ou la mainmise plus grande de Ching Siu-tung.

Un entretien (20 min) absolument passionnant avec Poon Hang-sang, directeur photo des deux films mais surtout vraie légende à son poste, ayant officié sur nombre d’immenses classiques du cinéma hongkongais des années 80/90 (Homecoming de Yim Ho (1984), Peking Opera Blues de Tsui Hark (1986), Histoires de fantômes chinois de Ching Siu-tung (1987)). Il évoque sa carrière dans un cinéma plus auteurisant, puis son apprentissage des spécificités du cinéma d’action, les difficultés à travailler avec un cinéaste tel que Ching Siu-tung très interventionniste avec ses directeurs photos. Il évoque les particularités du filmage des combats de Ching Siu-tung (l’insistance sur ce dernier renforce l’idée que son rôle a sans doute été plus prépondérant que Johnnie To sur la suite) et la manière dont la rupture entre les deux films a influencé son éclairage. Une interview très riche d’information et très pointue techniquement.

Justin Kwedi

Executioners de Johnnie To et Ching Siu-tung. Hong Kong. 1993. Disponible en Blu-Ray/UHD chez Carlotta le 20/06/2023.

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