VIDEO – Trilogie Woman Gambler : The Game of Love

Posté le 4 janvier 2019 par

Bach Films s’est lancé dans une magnifique édition des grands films d’exploitation de la Nikkatsu des années 60, restaurée en Haute-Définition. Une superbe initiative, à l’image de l’édition COMBO (Blu-ray + DVD) de la trilogie Woman Gambler en première mondiale !

 

La Nikkatsu remporte dans les années 60 un grand succès avec sa vague de Nikkatsu Action, mélange détonnant du polar à l’américaine revisité à la sauce pop et nerveuse destinée à la jeunesse. La Nikkatsu observe néanmoins les cartons de la Toei dans le yakuza eiga, porté par la veine chevaleresque du genre (Fukasaku Kinji n’est pas encore passé avec sa brutale démythification) et ses stars masculines viriles et charismatiques. La Nikkatsu décide donc de concurrencer la Toei sur son terrain en apportant l’originalité d’avoir une héroïne avec The Cat Gambler (1965). On retrouve l’habileté du studio à croiser les influences, l’esthétique du film noir américain se mariant idéalement au milieu des yakuzas dont on découvre le monde des tripots clandestins et plus précisément le jeu de dés.

L’héroïne et novice Yukiko (Nogawa Yumiko) nous sert de guide dans cet environnement qu’elle infiltre afin de démasquer l’assassin de son père. Cette vengeance se traduit par une perte d’innocence de Yukiko passant sa capacité à mystifier les joueurs dans son emploi de croupière et où la dissimulation du geste se conjugue à l’exhibition de ses charmes. La féminité est une arme et le tatouage qu’elle arbore une armure face aux yakuzas libidineux et machistes, chaque pan de sa peau blanche et laiteuse dévoilé les conduisant à leur perte. Le scénario est astucieux pour maintenir constamment l’attention (le démasquage du coupable passant par la découverte d’une paire de dés) durant les parties chargées de suspense et à la vraie progression dans l’enjeu et les aptitudes de l’héroïne. En parallèle se déroule une intrigue policière plus classique intégrant les codes du film noir à ces bas-fonds typiquement japonais. C’est pourtant le mélodrame qui domine dans l’épanouissement et la malédiction de cet éveil, la passion amoureuse sobre rencontrant la tragédie – et notamment dans la scène de tatouage s’apparentant au propre comme au figuré à une perte d’innocence, un dépucelage et un point de non-retour.

Le succès du film entraînera donc deux suites et surtout un nouveau sous-genre mettant valeur des figures féminines dans le film de yakuza, le plus célèbre étant la saga de La Pivoine rouge avec Fuji Junko. Le second volet Woman Gambler (1965) propose une sorte de suite/remake du premier film qui trouve son identité par la mélancolie qui s’en dégage. Certains éléments justifiant l’aventure sont assez grossiers (Yukiko se découvre une sœur cachée dont le père assassiné l’entraîne à replonger dans le monde des yakuzas) et d’autres paraissant l’être contribuent subtilement à ce spleen dans la redite assumée (l’apparition d’un homme sosie de l’amant disparu du premier film, et à nouveau joué par Nitani Hideaki). Le premier film montrait Yukiko devenir une femme, dans le sens positif du terme en découvrant l’amour, mais aussi dans une dimension corruptrice par la dextérité aux dés et l’apprentissage de l’usage de ses charmes pour duper ses adversaires. Ce deuxième volet en tient compte et Yukiko n’est plus l’innocente d’antan mais une criminelle aguerrie, le rôle de la candide étant désormais dévolue à sa sœur. Tout le film offre ce parallèle entre la vulnérabilité de la sœur et l’assurance de Yukiko désormais plus partenaire que protégée de son complice masculin, à nouveau pour démasquer un assassin dans le cadre d’une guerre de yakuzas. Cette réminiscence (avec la même construction d’une enquête policière en parallèle) assumée atténue donc le suspense et la crainte que l’on peut avoir pour Yukiko mais développe une dimension tragique qui la condamne à n’exister que dans cet univers. La conclusion mène alors Yukiko à une amère désillusion, où la perte de l’être cher prend un autre sens que dans le premier film – elle ne doit désormais sa solitude qu’à son milieu et non plus à la fatalité.

La progression dramatique des deux premiers volets lie ainsi de plus en plus Yukiko à cette existence, ce que Revenge of the Woman Gambler (1966) vient entériner. On s’éloigne du remake déguisé du second épisode avec une intrigue qui quitte Tokyo pour la province. Yukiko, en démasquant un pickpocket dans un train, se met à dos un clan yakuza tyrannique qui souhaite dominer la ville. Placée malgré elle dans une guerre des gangs, elle va prendre le parti du plus faible et aspirant à légaliser ses activités. L’enjeu criminel démontre l’assurance désormais acquise par Yukiko où elle brave sans férir des situations bien plus dangereuses que dans les précédents films. Les parties de dés occupent une place plus congrue du récit mais recèlent des enjeux cruciaux (un territoire pouvant s’y jouer plutôt que par un affrontement ouvert) où Yukiko montre sa dextérité, mais elle devient également une vraie héroïne d’action tenant tête physiquement aux hommes. L’enjeu sentimental place Yukiko face à un jeune homme détourné du destin yakuza pour un honnête métier d’ingénieur, mais près à y basculer par amour pour elle.

La maîtrise de Yukiko se conjugue ainsi à un vacillement dans ses élans du cœur, alors qu’elle gravit les échelons jusqu’à devenir boss d’un clan – protégée d’un mentor dans le premier volet, partenaire compétent dans le second et enfin protectrice à son tour dans le dernier film. L’interprétation de Nogawa Yumiko est pour beaucoup dans cette force dramatique, la détermination comme la vulnérabilité jouant toujours sur une sincérité palpable – à l’inverse du jeu plus glacial de Fuji Junko dans la saga de La Pivoine Rouge à venir et mettant en scène une autre femme yakuza.  L’actrice se fit connaître pour ses rôles mémorables chez Suzuki Seijun (notamment dans La Barrière de la chair (1964) et Histoire d’une prostituée (1965)) mais c’est la série des Woman Gambler qui fit d’elle une star, la Nikkatsu mettant (à son cœur défendant) en avant une image sexy pour attirer le public.

Autre lien avec Suzuki, le réalisateur Noguchi Haruyasu (réalisateur des trois films) est un vieux routier du cinéma japonais déjà passé par la Daei et la Nikkatsu où il fit son retour au milieu des années 50. Ce fut donc le mentor de Suzuki Seijun dans ses premières années à la Nikkatsu, et si formellement la saga ne donne pas dans l’inventivité et la folie pop des Nikkatsu Action, on appréciera une forme de sobriété et d’élégance dans un beau cinémascope. Le réalisateur sait mettre en image la dichotomie de l’héroïne tout au long des trois films, soignant ses cadres pour la rendre imposante et arrogante (toutes les scènes de confrontations, une belle séquence de rituel d’intronisation yakuza dans le troisième film) et jouant d’une belle photo clair/obscur pour signifier le déchirement dans les scènes sentimentales.

Une saga passionnante donc pour laquelle on saluera Bach Films qui en sort la première édition vidéo mondiale.

Bonus : Une présentation concise et passionnante de la saga par Dimitri Ianni, sa place dans les productions Nikkatsu et le cinéma d’exploitation japonais ainsi que le parcours de ses participants. Un entretien avec le réalisateur Marc Caro, pas forcément centré sur Woman Gambler mais qui témoigne de cette influence du cinéma de genre japonais sur ses films.

Woman Gambler de Noguchi Haruyasu. Japon. 1965, 1966. Disponible en DVD et Blu-Ray chez Bach Film le 21/08/2018.

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