Grâce à l’éditeur Roboto films, nous avions eu récemment la chance de découvrir le passionnant et foisonnant univers du tokusatsu avec un coffret regroupant plusieurs épisodes de la cultissime série de films Kamen Rider, production aussi généreuse en termes de divertissement qu’engagée sur le plan sociétal et écologique. L’éditeur revient donc avec une deuxième salve de Kamen Rider, deux films, disponibles dans un coffret incontournable : Kamen Rider ZO et Kamen Rider J d’Amemiya Keita.

Avant de se pencher plus en profondeur sur ces deux longs-métrages, il est important de situer leur place dans la chronologie et l’histoire Kamen Rider. Lorsque Kamen Rider ZO entre en production, il est officiellement annoncé comme le film qui va célébrer les 20 ans de Kamen Rider, série créée en 1971. ZO sortira en 1993, soit 22 ans après et c’est un évènement pour tous les fans du célèbre justicier. En 20 ans, Kamen Rider est devenu une icône de la culture japonaise, et son succès ne se dément pas, auprès des adultes comme du jeune public, ce dernier ayant largement contribué au succès des figurines à l’effigie de Kamen Rider. Aussi, en 1993, le Studio Toei s’associe à Bandai, la firme créatrice des figurines en question pour produire Kamen Rider ZO. Pour ce nouveau film anniversaire, décision est prise de faire quasiment table rase du passé et de ne pas rappeler un Kamen Rider des séries et films précédents, tout en gardant l’ADN et la formule qui ont fait le succès desdites productions. Derrière la caméra, c’est aussi un vent de nouveauté qui souffle puisque la mise en scène sera confiée à Amemiya Keita, petit nouveau dans l’univers de la franchise, mais pas dans le milieu du cinéma puisque son savoir-faire lui avait déjà permis de se faire remarquer via son film Cyber Ninja, avec son talent pour les effets spéciaux et son goût pour le fantastique clairement affiché. Au vu du résultat final, il est sans doute ce qui pouvait arriver de mieux à l’univers Kamen Rider.

Sur le fond, Kamen Rider ZO ne se démarque pas fondamentalement de ce qui a fait le succès des aventures du justicier à moto. Un enfant en danger, une entité menaçante, Kamen Rider devient le protecteur de l’enfant et affronte le monstre. Rien de nouveau donc mais c’est sur la forme que la différence se fait. Amemiya Keita se passionne beaucoup plus pour la partie technique de son film que pour les scènes de dialogue, et a grandi avec un amour pour le cinéma américain et ses effets spéciaux, sans oublier Kamen Rider. Et pour ZO, il a certes à sa disposition un budget limité, on parle de 2 millions de dollars, mais il l’utilise au mieux pour livrer le plus impressionnant des films Kamen Rider. Tous les styles d’effets spéciaux sont mis à contribution en 40 minutes, du CGI tout à fait honorables pour l’époque (nous somme en 1993, pour rappel) et du stop-motion pour donner vie aux monstres du scénario, notamment une monstrueuse créature arachno-humanoide très effrayante. Amemiya met également un point d’honneur à soigner ses costumes, que ce soit celui du héros, beaucoup plus organique que ses prédécesseurs, ou celui des monstres, d’une qualité plastique indéniable et rempli de bonnes idées esthétiques (le pale man de Guillermo del Toro est sans conteste un hommage au Bat-man de ZO avec ses yeux dans les paumes de main). Et qui dit Kamen Rider dit combats et là encore, Amemiya s’affranchit des limites physiques jusqu’alors imposées dans la saga et choisit l’utilisation des câbles pour dynamiter la chorégraphie des combats, se permettant des combats aériens spectaculaires ainsi que des poursuites en moto beaucoup plus impressionnantes.
Mais ce qui marque le plus avec ZO, c’est la direction artistique quasi cauchemardesque de l’ensemble, qui tranche violemment avec les premiers Kamen Rider, qui visaient clairement un jeune public en 71. 20 ans plus tard, ces jeunes spectateurs ont grandi et Amemiya n’hésite pas à aller franchement dans l’épouvante et le body horror. Tous ses monstres sont filmés de manière très organiques (le corps du méchant dont les orifices génèrent des araignées et des cornes) quand ils ne sont pas purement cauchemardesques comme l’araignée, dont l’animation en stop-motion amplifie son aspect démoniaque. Le metteur en scène paye même son tribut aux maîtres du body horror organique que sont Tsukamoto Shinya et HR Giger dans son dernier acte dans l’antre du méchant, avec un des personnages qui semblent avoir fusionné avec des tuyaux et une masse vivante informe, face à un monstre démoniaque qui hurle avec une voix d’enfant. Les influences du cinéma hollywoodien sont là (impossible de ne pas penser au Terminator lors de l’ouverture), mais le metteur en scène les assimile parfaitement et les mets au service de l’univers Kamen Rider pour un résultat généreux et spectaculaire.

En 1994, Amemiya Keita revient derrière la caméra pour un autre volet des aventures du héros masqué, Kamen Rider J, toujours en coproduction Toei/Bandai.
Dans ce nouveau film, nous découvrons une race extra terrestre menée par la Reine du brouillard qui bien entendu souhaite asservir la Terre et ses habitants pour pouvoir y renaître, mais qui pour cela a besoin d’une jeune personne, dans le but d’en extraire de l’énergie. Kidnappée sous les yeux de son grand frère, celui-ci hérite du pouvoir du Kamen Rider que les forces énergétiques secrètes de la planète lui conférent, et s’en va sauver sa sœur.
Rien de bien nouveau sur le fond donc, avec le cahier des charges Kamen respecté du début à la fin, mais encore une fois c’est dans la direction artistique et les effets spéciaux que la différence se fait. Laissant de côté l’aspect horrifique de son prédécesseur, Amemiya Keita oriente son récit vers une tonalité plus aventureuse et grand public, en se rapprochant même beaucoup plus des Kamen Rider originaux que pour ZO. Là où ce dernier montrait un Kamen Rider littéralement propulsé en enfer face au démon araignée, avec ce volet, on revient au combat classique sur le fond, le héros affronte un monstre bestial-humanoïde (un homme-crocodile en l’occurrence), mais aux cascades beaucoup plus amples et, grâce aux câbles, Amemiya se permet des mises en scènes plus adaptées aux décors des falaises, tout en verticalité et variétés de mouvements. Dans son dernier acte, Amemiya bascule même dans le kaiju eiga avec son héros devenu gigantesque pour aller sauver sa sœur et démolir le vaisseau géant du mal. La qualité des effets spéciaux est toujours au rendez-vous, tout comme les costumes des créatures qui bénéficient d’un soin tout particulier jusque dans les moindres détails. On notera également, même si cela est timidement perceptible en sous-texte, un retour au propos écologique des premiers Kamen Rider, qui défendait l’humanité mais la planète avant toute chose.
Par la suite, Amemiya n’a pas forcément connu la gloire et la reconnaissance internationales auxquelles d’autres metteurs en scène ont accédé, mais il reste dans l’univers Kamen Rider un metteur en scène qui a su avec passion et savoir-faire rendre hommage au super héros mythique.
Après avoir vu ces deux longs-métrages, on ne peut que constater que l’univers Kamen Rider n’a de cesse de se renouveler et de se bonifier, en assumant un parfait équilibre entre besoin, nécessité même, d’oser aller sur des terrains plus adultes et matures, grandissant avec son public, et respect absolu de ce qui a fait son succès, avec un héros indestructible et fédérateur.
BONUS
Commentaire audio de Fabien Mauro et Paul Gaussem : Les deux intervenants que l’on ne présente plus se livrent à l’exercice du commentaire audio sur les deux films du Blu-ray, et reviennent avec bonne humeur et moult anecdotes sur la production, la réalisation de chaque film. C’est passionnant, on découvre ainsi par exemple que la version de ZO proposée ici est sévèrement tronquée, et cela permet de poser un regard neuf sur chaque œuvre.
Kamen Rider World : un court-métrage de 8 minutes qui fut à l’époque projeté en 3D, et qui a pour principal intérêt de mettre en scène la rencontre entre Kamen rider ZO et J.
Making-of : 2×15″
Chaque film est accompagné de son making of d’époque, petits modules vidéo où s’entremêlent interview des principaux intervenants, acteurs comme réalisateurs, et images de tournages qui donnent une certaine idée de la complexité de certains effets spéciaux lorsque le CGI n’est pas utilisé. Un passionnant complément aux films et commentaires audio.
On trouvera également dans le coffret un livret écrit par Julien Sévéon dans lequel il revient principalement sur la production de Kamen Rider ZO, en le remettant dans son contexte cinématographique et culturel.
Romain Leclercq.
Kamen Rider JO et Kamen Rider J. Japon. 1993-1994. Disponible en Blu-ray chez Roboto Films en octobre 2025.




Suivre



