KINOTAYO 2015 : We shall overcome de Mikami Chie

Posté le 21 janvier 2016 par

Un passionnant documentaire qui, en évoquant un conflit écologique local nous parle du Japon d’aujourd’hui.

Au Japon, 74 % des bases américaines sont établies à Okinawa. Pour protester contre le projet de construction d’une nouvelle base sur place, un groupe de citoyens occupe les lieux ; parmi eux, Fumiko, 85 ans, survivante de la bataille d’Okinawa. Ce documentaire raconte l’histoire de ces habitants. Et veut donner la voix à ceux qui vivent depuis soixante-dix ans à côté des bases.

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We Shall Overcome est le deuxième film de la réalisatrice Mikami Chie, un documentaire profondément lié à son attachement aux îles d’Okinawa. Mikami Chie est au départ journaliste (après des débuts en tant que speakerine à la télévision japonaise) et déménage à Okinawa en 1995 pour y présenter les news locales. Elle produira également plusieurs documentaires liés à l’actualité et histoire de l’archipel. C’est dans ce contexte que s’entamera la longue maturation de We Shall Overcome. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et malgré sa restitution au gouvernement japonais, l’archipel d’Okinawa abrite un grand nombre de bases militaires américaines, soulignant la relation soumise du Japon depuis la fin du conflit. The Targeted Village (2013), premier film de Mikami Chie dénonçait déjà les écarts de cet état de fait avec la lutte de villageois contre l’arrivée des avions Osprey et l’entraînement des militaires qui troublait leur quotidien. Le film eut un réel impact à sa sortie et contribua à l’évacuation de la base suite à cette mobilisation. We Shall Overcome évoque un autre conflit dû à cette présence américaine.

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En 1997, il est décidé de construire une nouvelle base militaire à Okinawa. Une décision susceptible de dénaturer le paysage et aussi de briser l’activité économique des pêcheurs locaux. La réalisatrice va suivre l’opposition d’un groupe des prémices du projet jusqu’à sa possible concrétisation en 2014. L’émotion naît en liant l’histoire de la région à celle, plus intime, de ses habitants. Fumiko, octogénaire ayant survécu non sans séquelles à la bataille d’Okinawa traverse ainsi des décors naturels chargés de souvenirs, heureux comme douloureux mais imprégnés d’une histoire personnelle comme globale qui s’apprête à être balayée par les bulldozers. On suivra également une famille dont le père a su transmettre cet engagement et attachement aux valeurs de la région à son fils ainsi que divers protagonistes dont les personnalités sont esquissées dans les actions revendicatives qui parsèment le film. Les rares lueurs d’espoir (l’élection d’un gouverneur soutenant leur action) sont le plus souvent balayées par la froide réalité où Mikami Chie dénonce autant l’autoritarisme du gouvernement de Abe Shinzo (et la fascination militaire en partie sous influence des Etats-Unis) que l’apathie de la population japonaise – à laquelle le film est clairement destiné – sortis des habitants d’Okinawa.

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Ainsi, tant que le point de vue en reste à ce cadre et à la passion des habitants, leur acharnement et leur volonté de changer les choses restent galvanisants et communicatifs. Dès que le spectre s’élargit au fil du récit, le sentiment d’inéluctable se ressent par ce pouvoir invisible qui dicte brutalement sa volonté. Les manifestants apparaissent comme un vestige d’un Japon disparu, dont la mémoire cède à la fois au modernisme et la soumission à l’étranger. Captivant et poignant, We Shall Overcome malgré son issue résignée (les manifestants assistant impuissants à la lourde machinerie se mettant en place sur terre et sur mer) semble redonner un souffle à un certain cinéma militant révolu depuis très longtemps au Japon avec cette nouvelle bataille d’Okinawa.

Justin Kwedi.

We Shall Overcome, de Mikami Chie. Japon. 2014. Présenté au festival Kinotayo en 2015.

Plus d’informations ici.

À lire également : notre interview de Mikami Chie.

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