Festival du Cinéma Chinois de Paris – Arc en ciel dans la steppe de Ning Jingwu

Posté le 22 juillet 2025 par

Pour clore sa 16e édition, le Festival du Cinéma Chinois de Paris a présenté Arc en ciel dans la steppe de Ning Jingwu, film de 2003 situé dans la steppe mongole, narrant la vie d’une vétérinaire et de son assistant dans la steppe.

Dans la steppe mongole, Tang Ying, vétérinaire, souffre de la séparation avec son amoureux parti dans le sud à Guangzhou.

Le film impressionne d’emblée visuellement, avec sa représentation de la steppe au gré des saisons, son caractère parfois presque documentaire dans l’activité des vétérinaires. Bien entendu, la question du rapport entre citadins et habitants des marges est posée, avec la figure de l’assistant qui rêve de retrouver ce qu’il perçoit comme la civilisation, obsédé par son walkman et ses chewing-gums, mais le film ne procède jamais au retour à la ville ; il embrasse la rudesse de son environnement, sans jouer la carte de l’ambivalence tradition contre modernité. Le métier de vétérinaire permet aussi d’introduire des problématiques peu fréquentes, comme celle de la responsabilité de l’erreur médicale lorsqu’il s’agit d’un animal, qui donnent un vrai cœur au récit. De façon générale, les animaux semblent presque aussi importants que les personnages dans ce monde où les humains sont rares. Sans être démonstratif, le film garde en permanence une dimension écologiste, célébrant la cohabitation de l’homme et des bêtes, alors que l’épidémie du SRAS et le réchauffement climatique lorgnent à l’horizon. Ce n’est pas un film qui joue sur la surprise de ses péripéties, mais qui essaie de donner de l’épaisseur au temps qui passe, un poids réel aux actions du quotidien, pour pleinement saisir un moment de vie.

L’intrigue se construit principalement autour de deux figures : Tang Ying, la vétérinaire, sorte de sainte laïque qui semble entièrement dévouée à la communauté et à ses bêtes, une des rares femmes « seules » des environs, souffrante discrètement du départ de son compagnon pour essayer de faire fortune à Guangzhou, et Xu Huang, son assistant, aussi inattentif qu’elle est prévenante, dont l’évolution sera au centre du récit. En effet, si l’héroïne s’inscrit pleinement dans le territoire, ses paysages et ses us et coutumes, le jeune homme passe sa vie sur des cartes, rêvant sans cesse d’un ailleurs, sans vraiment prendre le temps de prendre en compte où il est. Il y a quelques scènes charmantes sur la naissance des sentiments entre le citadin et une jeune bergère mais on sait dès le départ que tout est destiné à la catastrophe puisque, par définition, elle fait partie de ce monde alors que lui veut fuir, se réfugiant derrière le plaisir instantané sans réfléchir aux conséquences, surtout dans une organisation sociale qu’il maîtrise mal. De la même façon, sa tentative bravache de prouver sa virilité en auscultant de façon très maladroite un animal sans supervision hante le reste du film, lui étant dans le déni autant que Tang Ying dans l’expiation d’une faute qui n’est même pas la sienne.

D’une certaine façon, il n’est pas anodin que le festival ait choisi de projeter le film le lendemain du Sacrifice du Nouvel An de Sang Hu. Dans les deux cas, on assiste à des portraits de mères courage qui se sacrifient pour leur proches et affrontent des épreuves de plus en plus intenses. Mais, si le classique des années 50 de Sang Hu, présente le récit comme un conte d’un passé révolu, aboli par le nouveau régime, Arc en ciel dans la steppe présente une histoire contemporaine de son écriture, où le poids de la fatalité sociale se fait encore sentir (notamment à travers ce qu’on apprend du sort du fiancé, au fur et à mesure de l’arrivée de ses lettres) dans une perspective mois littéralement tragique où la vie peut être difficile mais également belle. Tang Ying pardonne à l’ami qui a essayé de l’agresser, au villageois qui l’a humiliée, elle accepte de se mettre en danger pour permettre de sauver les animaux et elle continue à aider Xu Huang malgré ses errances, sa mesquinerie et ses trahisons. Elle accepte la violence du monde, parce qu’elle a aussi l’occasion d’en voir la beauté. Même au sein d’un terrible tempête de neige, il reste toujours la perspective de voir l’arc en ciel se dessiner. Ses priorités sont altruistes et c’est ce qui en fait le personnage le moins ouvertement malheureux du film : elle pleure celui qu’elle ne peut plus voir, mais accepte la joie d’un enfant à l’idée que le poulain va naître comme une gratification plus importante que l’argent alors que les hommes autour d’elle se détruisent pour une vaine fortune ou des rêves de gloire.

Le film joue à alterner son point de vue avec celui de Xu Huang, elle à cheval, lui à vélo, elle déjà accomplie mais gardant sa blessure secrète, lui plein de défauts mais capable de devenir meilleur. En seulement 1h20, l’enjeu du film est d’apprendre au spectateur comme au jeune assistant à aimer la steppe, dans ses difficultés, mais aussi dans sa fugace beauté (le film rappelle à plusieurs reprises les conséquences du changement climatique, et le recul permanent des terrains de pâturage…). C’est un instantané d’un monde en train de disparaître (et, si on en croit le réalisateur, déjà partiellement disparu de nos jours, avec un région qui devient sans cesse plus aride), présenté de façon touchante, avec de très beaux plans larges qui transmettent l’amour du film pour les paysages de la région. Comme film et comme document, il gagnerait à être davantage vu.

Florent Dichy

Arc en ciel dans la steppe de Ning Jingwu. Chine. 2003. Projeté au Festival du Cinéma Chinois de Paris