LE FILM DE LA SEMAINE – La Flamme verte de Mohammad Reza Aslani

Posté le 27 mars 2024 par

Derrière l’arbre Kiarostami qui cache la forêt titanesque du cinéma iranien, Carlotta continue de sonder les joyaux passés et présents qui rayonnent du Pays des poètes. En rebond à la distribution en salles, en août 2021, de son premier film L’Échiquier du vent (1976), Mohammad Reza Aslani voit l’un de ses derniers films en date, réalisé en 2008, trouvé 16 ans après le chemin des salles en France. L’occasion non seulement de poursuivre l’exploration de ce pionnier du cinéma persan mais aussi de traverser l’Histoire multi-séculaire de ce pays considéré, non sans raison, comme l’un des berceaux de la civilisation.

À l’ère où la saga hollywoodienne Dune fait sienne l’histoire et l’imaginaire du Moyen-Orient, cette Flamme verte permet de déployer, avec un même souci du spectacle (les millions de dollars en moins), les facettes mordorées de la Perse et de l’Iran.

Le film s’ouvre par un verset de la deuxième sourate du Coran : « Comment pouviez-vous renier Dieu ? Vous qui étiez mort et à qui Il donna la vie ? Il vous fera mourir et vous fera revivre encore jusqu’à ce que vous soyez ramené à ses côtés. » À travers ces mots sacrés introductifs, se dessine la double identité de l’Iran, prise entre le zoroastrisme (religion iranienne fondée au VIe siècle, incarnée par le feu et dont le principe de « rénovation finale » symbolise l’espoir de la résurrection) et la loi du Coran. Cette flamme verte homonyme, c’est le brasier qui représente les zoroastriens, conjugué au vert qui pare les atours de l’Islam.

La première image panote sur la statue d’un groupe : un homme debout tenant une balance tandis qu’en superposition sonore, une femme plaide la justice auprès d’un juge. Ce sens de la justice et, plus exactement, les vertus du libre arbitre, de la faculté de se déterminer, est au cœur même du zoroastrisme. L’origine orientale de cette religion, comme le confucianisme ou le shintoïsme, explique probablement sa faculté d’être une foi en même temps qu’une sagesse.

Après ces prolégomènes formels, s’ensuit la séquence d’un homme au volant d’une Audi rouillée, avec 2 femmes voilées à son bord, aux portes d’un château en ruine. Dans ce désert contemporain, ils s’arrêtent au milieu d’une route, dans un paysage à la puissance tellurique et à la doublure sepulcrale typiquement iranienne (pour qui a longtemps sillonné les rhizomes pittoresques des films de Kiarostami).

Après avoir pénétré le château, la plus jeune des deux femmes se perd dans l’obscurité du bâtiment, tandis qu’une voix pousse un chant traditionnelle : « C‘était la nuit de Zamzam. Les larmes vertes couleront. Jusqu’à Sarandib. » On saisit alors que, comme dans une incantation de Shéhérazade, la même protagoniste se voit propulsée dans un pays fastueux, où la végétation a retrouvé ses droits et les parures persanes toute leur splendeur d’antan.

Dans la beauté des décors, comme cette chambre diaphane où repose la silhouette inerte d’un homme, transpercé de flèches, serti par les tentures qui cernent le lit, gît l’imaginaire des grands Modernes (Bergman, Tarkovski, Angelopoulos). Dans ce faste pittoresque, traverse aussi le souvenir de Paradjanov, celui que Godard qualifiait de « gardien du temple de la couleur au cinéma« .

Le film traverse, en autant de séquences orchestrées comme les strophes d’un sonnet, des périodes phares de l’Histoire du pays, en en chantant les louanges. Ce contraste avec le réalisme cru auxquels les films de Farhadi et Roustaee nous ont habitués donne à découvrir ou à se rappeler la profondeur poétique de l’Iran. En voulant traduire, par les facultés du cinéma, cet esprit national au lyrisme antédiluvien, Aslani évite le film Wikipedia, quitte à parfois pécher par excès d’abstraction narrative. Malgré la splendeur des costumes, certains accessoires peuvent dans le même temps apparaître assez kitsch et renvoyer plus au théâtre de tréteaux qu’aux fresques picturales.

Enamouré des beautés plastiques du patrimoine national, inclination souvent contagieuse, le réalisateur n’est pas loin quelque fois de verser dans l’imaginaire folklorique et l’esthétique de carte postale (notamment dans cette séquence des deux femmes aux castagnettes, un brin engoncé dans une imagerie touristique).

Cette traversée dans le passé (dont Faulkner n’aura jamais eu assez raison en ayant écrit « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé.« ) offre à la fois au cinéaste et à son spectateur l’opportunité de traverser l’imaginaire moderne de l’artiste (et qui tend plutôt du côté de l’Est, en Europe) et l’histoire aux influences orientales de son pays. Malgré plusieurs maladresses formelles (mais, pourra-t-on dire, du même ordre que celle gâtées des derniers Hitchcock ou de Oliveira), le film séduit par sa volonté d’extraire la représentation de l’Iran du misérabilisme moral dans lequel il est parfois plongé, par ses censeurs en premier, pour le tourner vers une Histoire légendaire, à l’héritage aussi précieux qu’il est menacé.

Flavien Poncet

La Flamme verte de Mohammad Reza Aslani. Iran. 2008. En salles le 27/03/2024

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