Après quelques projections événements lors de sa sortie chinoise, Her Story, le film événement de Shao Yihui, connaît une sortie bienvenue. Très bien reçue par la critique chinoise et succès populaire en salles, ce film met en scène les aventures de Wang Tiemei, femme divorcée qui essaie de jongler avec sa vie professionnelle et sa vie privée. Après un déménagement, elle rencontre une voisine aussi fantasque que Tiemei, Xiao Ye, qui décide de se lier à l’héroïne et à sa petite fille.
Outre son succès commercial, le film a aussi été choisi par les autorités chinoises comme exemple modèle de succès populaire, certains journaux le présentant comme une réponse au succès américain de Barbie. En Occident, l’aspect « féministe » a été mis en avant, mais, pour des raisons de climat politique évidentes, la réalisatrice elle-même n’utilise pas ce mot, préférant parler d’une célébration des accomplissements féminins dans la société telle qu’elle est. Il est à noter que le film a aussi été utilisé comme outil de promotion touristique par la ville de Shanghai, ce qui souligne à quel point le film a été perçu comme consensuel malgré ses thèmes, preuve de l’habileté de sa réalisatrice à manœuvrer dans le cadre dont elle dispose, pour réaliser une œuvre qui peut sembler à la fois résolument moderne et éviter les ennuis politiques.
Song Jia incarne le personnage principal, Wang Tiemei, incarnation du sérieux, journaliste devenue éditrice en chef d’un site internet, persuadée qu’à force de volonté et de discipline elle peut arriver à concilier tous les aspecte de sa vie. Bien entendu, les attentes de cette protagoniste se heurtent à la réalité, qu’il s’agisse de sa vie de famille, du succès du site ou de son désir d’écrire. En contraste, Zhong Chuxi joue avec Xiao Ye une jeune chanteuse, en apparence épicurienne mais pleine d’insécurités quant à ses relations affectives et amoureuses, dont la vie chaotique impacte peu à peu celle de sa nouvelle voisine et amie. La très jeune Zeng Mumei joue Moli, la fille de Tiemei, une petite fille qui se sent forcée de grandir trop vite, heureuse de se trouver une grande sœur d’adoption. Autour de ces trois figures centrales, vont s’agiter trois personnages masculins : le père de Moli, le batteur du groupe de Xiao Ye et l’homme riche dont cette dernière s’est entichée. A partir de ce canevas somme toute très classique, la réalisatrice présente une comédie très réussie, avec des tranches de vie de ce petit groupe de personnages, sa force se trouvant dans la qualité de l’écriture et l’interprétation.
Si le film n’est pas explicitement féministe, son geste n’est pas anodin, en embrassant pleinement le point de vue féminin, notamment dans une scène très réussie où la petite fille part du principe que l’expérience des règles est une norme et s’étonne des réactions de son père. L’article sur la condition de femme de carrière mère célibataire dont la rédaction sert de fil conducteur à l’intrigue de Tiemei, sans être une remise en cause révolutionnaire des normes sociales, revendique une place dans la société pour des situations qui, effectivement, existent déjà dans la société chinoise contemporaine. Le film ne joue pas non plus à mettre en scène une opposition frontale entre hommes et femmes ; deux des personnages masculins sont d’ailleurs soucieux de se déconstruire pour montrer qu’ils sont prêts à mériter Tiemei (hilarant Mark Chao, le jeune Detective Dee de Tsui Hark, en ex-mari lecteur de la sociologue Ueno Chizuko, qui essaye avec plus ou moins de compréhension des enjeux de se conformer à ses lectures). Le troisième, s’il n’est résolument pas déconstruit, devient dans le dernier tiers du film un personnage très amusant, avec une lecture des comportements de Xiao Ye toujours dans un décalage grotesque avec ce qu’on en sait. On peut aussi noter un aspect plus discret, mis en avant par les vidéos de chasse aux Easter eggs du film sur les réseaux sociaux chinois, repérant des allusions visuelles à des figures féminines marquantes, souvent associées au féminisme. En résumé, bien qu’en étant plus léger sur ces thèmes, Her Story est finalement bien plus subtil et précis dans sa mise en avant de luttes féministes que Barbie.
Le film joue aussi plus largement sur la comédie sociale en générale, avec une intrigue de harcèlement scolaire au dénouement inattendu, l’intrigue secondaire de Moli qui apprend la batterie, pour un itinéraire de progression malgré les difficultés en apparence balisées dont la conclusion est, là encore, en décalage avec les tropes mis en place, ou la question des métiers des deux principaux personnages masculins qui joue sur les places sociales et interroge sur les formes de solidarités masculines. La question des valeurs culturelles est aussi mise en scène dans un épisode où Tiemei découvre avec une surprise que ce qui constitue une vraie célébrité n’est pas la même chose selon qu’on parle à une petite fille de 9 ans ou à Maxime Bauer (rédacteur en chef adjoint d’East Asia), n’en déplaise aux cinéphiles.
Le film n’est pas non plus exempt de moments dramatiques : le personnage de Xiao Ye est un personnage souvent utilisé de façon comique mais l’exploration de ses fêlures au cours du film est aussi un de enjeux centraux. De même, la brutalité occasionnelle de l’attitude de Tiemei finit par devenir un sujet du métrage. Pour autant, le film est avant tout un feel good movie : l’amitié entre femmes semble permettre de dépasser tous les problèmes rencontrés, Taylor Swift semble être un modèle féministe suffisant, et les hommes, mêmes problématiques, sont finalement plus bêtes que méchants. Comme Barbie, le film ne cherche pas à réinventer l’industrie mais il permet de proposer un point de vue féminin, sympathique et plein de clins d’œil, dans un exemple réussi de ce qu’on appelle maintenant la « ta shidai », l’ère des femmes (pour plus d’information à ce sujet, il faut lire les articles de Brigitte Duzan). En l’état, il s’agit d’un film charmant, avec des personnages attachants, bien au-dessus de la moyenne des comédies chinoises ciblant un public essentiellement féminin, ce qui correspond bien à son titre chinois qui évoque la joliesse des « petites choses ».
Florent Dichy
Her Story de Shao Yihui. Chine. 2024. En salles le 09/04/25