DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 43 : Retenir le désastre

Posté le 12 novembre 2024 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre aujourd’hui ses impressions sur ses dernières lectures : Eco-Disasters in Japanese Cinema, sous le direction de Rachel DiNitto et Murakami Haruki on Film de Marc Yamada – deux ouvrages publiés par l’Association for Asian Studies sous son label Asia Shorts.

L’Association for Asian Studies, fondée en 1941, a connu plus d’une métamorphose au cours de son existence. Ses objectifs consistent à porter une série de regards sur l’Asie, à travers diverses lucarnes, des sciences humaines à l’économie, des sciences appliquées à l’histoire de pratiques culturelles. On devinera les positionnements politiques et autres mécanismes de pouvoir qui hantent l’histoire de ces textes, à la manière de ce qui pouvait émerger du Musée Guimet dans les années 50, ou dans les premières critiques de films japonais. Encore aujourd’hui, de grands éditeurs en France vendent des écrivains en utilisant des formules telles que ‘polars à la sauce coréenne’.
L’AAS tente d’élever le niveau des analyses et des lectures, ainsi que celui de l’accountability, que le mot ‘responsabilité’ n’arrive pas à incarner. Sa collection contemporaine Asia Shorts ajoute d’autres enjeux, notamment celui d’une rigueur universitaire au service d’un langage qui ne s’appuie pas sur un vocabulaire théorique, afin d’être immédiatement lisibles par les étudiants et d’autres chercheurs. Les auteurs ont joué le jeu, à commencer par Rachel DiNitto, professeure de littérature japonaise à l’Université de l’Oregon, qui sollicita des essais de chercheurs reconnus, mais aussi de doctorant.e.s.

Les seize textes qui composent Eco-Disasters sont courts, et se consacrent à diverses formes de catastrophes représentées dans l’histoire du cinéma japonais. On y retrouve les environnements toxiques des films de Kaiju, de films d’auteurs tels que Pluie Noire de Imamura Shohei et Rhapsodie en Août de Kurosawa Akira ; les désastres écologiques et les enfances contaminées chez Miyazaki Hayao, de Nausicaa à Mononoke ; enfin, les apocalypses contemporaines, de Evangelion de Anno Hideaki, aux films sur les conséquences de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. Y compris un essai sur les trois films de Sono Sion, Himizu, Land of Hope, et The Whispering Star… et rien sur l’implosion post-Fukushima de la carrière de Sion. Le dernier essai désastre porte sur Asako I & II de Hamaguchi Ryusuke, dans lequel l’auteur décrit des abus environnementaux à Osaka et Hokkaido, évitant les autres dégâts propres au scénario et à la réalisation.

L’ouvrage inclut des signatures reconnues dans le champ anglo-américain, telles Jeff DuBois, et Fujiki Hideaki, professeur à l’Université de Nagoya et l’un des chercheurs Japonais contemporains les plus publiés en anglais et proche des travaux de Marc Steinberg de l’Université Concordia à Montréal.

Mais à la manière de la critique en ligne, il apporte sa part de trouvailles, ne serait-ce qu’une idée dans un paragraphe, ainsi que des maladresses de ton, notamment dans l’utilisation du ‘je/I’ qui s’adresse à un professeur plutôt qu’au lecteur. Il témoigne surtout d’une volonté d’introduire d’autres chercheurs qui, au risque d’un déséquilibre de niveaux, incarnent une véritable vitalité de réflexion sur le cinéma japonais, qui ne serait plus celle des bonus de DVD (1).

Marc Yamada, professeur à l’Université Brigham Young dans l’Utah, est déjà l’auteur d’un ouvrage consacré Kore-eda Hirokazu, et d’un autre portant sur le cinéma et la littérature de l’ère Heisei. Ce petit livre (moins de cent pages) sur les adaptations de romans et nouvelles de Murakami Haruki est étonnamment consensuel, accumulant d’entrée des citations américaines et japonaises présentées comme des vérités venues rappeler qu’il y adhère, plutôt qu’un soutient à ses propres concepts, néanmoins furtifs et présents à la lecture.

Chaque chapitre s’arrête sur les tentatives de porter Murakami à l’écran depuis une vingtaine d’années, non seulement au Japon (2), et dont Drive my Car, plutôt que Burning de Lee Chang-dong, serait l’aboutissant.

Aaron Gerow suggère que lire un roman de Murakami évoque l’expérience de regarder un film. Inuhiko Yomota avance que l’oeuvre de Murakami se distingue de celles de Tanizaki et Kawabata car elle n’est pas reçue comme de la littérature japonaise, qu’elle est traduite dans le monde entier et composée d’éléments, de références qui ne sont pas du Japon. Yamada rappelle que Murakami lui-même est un traducteur réputé de romans américains. Cet ensemble autoriserait et expliquerait cette diversité de réalisateurs, et dont Drive My Car de Hamagachi serait la plus belle réussite, la plus globale. Le cinéaste, dont le scénario puisait également dans les nouvelles Scheherazade et Kino, rassemblait un casting international pour une interprétation d’Oncle Vanya de Chekhov qui ne pouvait s’entendre sans acte de lecture du public japonais assistant à la pièce. Yamada veut demeurer fidèle à un modèle d’analyse qui souligne les dispositifs de mises-en-scène d’adaptation, à ce projet de porter Murakami l’écran, alors que ces films sont tant dans le respect de l’écrivain que l’ouvrage mériterait plutôt de s’appeler Murakami dans le texte.

Stephen Sarrazin.

1-Des éditeurs DVD en France et en Angleterre incarnent ce réflexe d’ubiquité, présent d’une sortie à l’autre, principalement pour le cinéma de genre. On pensera à Stéphane du Mesnildot, Julien Sévéon, ou Tom Mes et Jasper Sharp. Ces derniers sont récemment devenus producteurs de leurs bonus, notamment chez Arrow et Radiance, et font parfois appel à d’autres plumes, ainsi qu’à des historiens et chercheurs vétérans, spécialisés dans l’industrie du bis au Japon, à la manière du studio ShinToho.
2- La Corée du Sud, le Mexique, la Pologne, et un peu la France.

 

Eco-Disasters in Japanese Cinema, sous le direction de Rachel DiNitto

Association for Asian Studies, collection Asia Shorts, 21, 2024

 

Murakami Haruki on Film, de Marc Yamada

Association for Asian Studies, collection Asia Shorts, 22, 2024