Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il évoque ici l’exposition de Theaster Gates : Afro-Mingei, qui se tient au Mori Art Museum de Tokyo du 24 avril au 1 septembre 2024.
The Minds of Pretenders
Première exposition de cette ampleur au Japon de l’artiste afro-américain Theaster Gates, Afro-Mingei se veut l’incarnation d’un partage d’expériences identitaires entre deux communautés, et d’une résistance culturelle. Gates souligne la dimension contestée du mot mingei, apparu au Japon au début du XXe siècle et désignant un mouvement qui célèbre la beauté des objets du quotidien, fabriqués par des artisans anonymes. L’artiste, dont l’intérêt pour la culture et l’artisanat du Japon remonte à plus de deux décennies, en retrouva les signes lors d’une visite à Tokoname, au centre du pays dans la préfecture de Aichi, célèbre pour sa maîtrise de la poterie. Cette rencontre résonna en lui, rappelant le mouvement Black is Beautiful des années 60-70-80 en Amérique, une période au cours de laquelle la communauté noire lutta afin de forger une identité collective face à une culture eurocentriste.
Afro Minguei rassemble des œuvres de l’artiste et celles d’artisans japonais avec lesquels il collabore et qui eurent une influence sur sa vie et sa pratique d’artiste. Elle comprend quatre volets, Shrine, Blackness, Afro-Minguei, et Black Library & Black Space. Chacune atteste de la force de travail de Gates, de son raffinement, de ses trouvailles conceptuelles rappelant, des décennies durant, l’exclusion d’artistes afro-américains du monde de l’art moderne et contemporain, à travers un choix de pièces évoquant stratégies modernistes et post-modernes, réalisées avec des matériaux tirés de l’histoire du combat des droits civiques et de ceux représentant les métiers auxquels les hommes et femmes de couleur furent consignés.
La disposition et l’accrochage des œuvres dans les premières salles qui composent Shrine et Blackness sont sobres et respectueuses. L’objectif consiste à dévoiler le geste de faire en tant qu’acte spirituel, traçant un parcours allant de céramiques et d’objets de culte shinto et bouddhistes, à une installation imposante, a heavenly chord (2022), soulignant le rôle de la musique dans les églises de Chicago, où il grandit, et plus largement au sein de l’histoire afro-américaine.
Une œuvre qui serait l’ondulation de la projection vidéo de 2014, Gone are the Days of Shelter and Martyr, dans laquelle Gates et son groupe de musique expérimentale, The Black Monks, réalisent une performance dans une église du quartier sud de Chicago qui allait être détruite. Elle se penche sur l’effacement de traces spirituelles et politiques qui s’y trouvèrent. L’immense installation Black Library & Black Space veille à corriger cette attaque contre le recueillement, en célébrant toutes les dimensions de l’expérience afro-américaine réunies dans des ouvrages de fiction, d’essais, de revues musicales, de sports, de société, et d’ouvrages d’engagement politique, établissant une histoire que l’Amérique ne mérite pas.
L’exposition se termine de façon monumentale avec l’installation Afro-Mingwei, faite de pièces conceptuelles post-cultural studies, qui ont déjà leur place dans les musées et les collections contemporaines. A leur côté, deux murs de poteries, de jarres de sake, de verres en céramique, d’enceintes, table tournante, une boule miroitante des années 70, sur fond de sélections soul, dance, et hip hop. Earth Wind Fire sur la platine lors de la visite de presse, au cours de laquelle Theaster Gates se prêtait aux journalistes venus le photographier posant devant la Collection Koide Yoshihiro (1941-2022), potier de Tokoname. Il y avait longtemps qu’une telle présence médiatique s’était déplacée pour un événement d’art contemporain. Gates répondait à la production de cet maître-artisan avec la dernière pièce, We all drink Together (2024), un autre mur faisant usage d’une autre collection, celle de jarres de sake du grand-père du potier Tani Q, sur lesquelles est posé le logo pour le plus récent projet de Gates au Japon, Mon Industries. Le catalogue nous rappelle que Mon signifie « porte » en japonais. Une œuvre qui pointe vers la sortie et la boutique du musée où se trouvent divers produits imprimés.
S’il y a cette banalité, cette absence de surprise dans la scénographie de ce travail vu autrement ailleurs, il reste néanmoins porteur d’enjeux qui eurent leur place autrefois au Japon dans le champ de l’art et de la culture, qui laissaient technique, politique, et spiritualité coexister. Theaster Gates ne se préoccupe pas du sacré, mais son œuvre s’accroche à une démonstration de foi. Au Japon, celle-ci prend bien des formes, y compris dans l’accident, l’erreur, la fêlure. Des caractéristiques qui font cependant défaut à cette exposition nécessaire.
Stephen Sarrazin.
Theaster Gates: Afro Mingei, au Mori Art Museim de Tokyo. Du 24 avril au 1 septembre 2024.
Site officiel : https://www.mori.art.museum/en/exhibitions/theastergates/index.html