Pour l’ouverture de la 19e édition du Festival du Film Coréen de Paris (FFCP), c’est Handsome Guys de Nam Dong-Hyub qui a été choisi pour sa capacité à réjouir le public. Déjà projeté au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg et sorti en Corée en juin 2024, il s’agit de la première comédie gore coréenne et du premier film de son auteur, jusqu’ici surtout assistant réalisateur.
Le film est ostensiblement un remake du film canadien Tucker et Dale fightent le mal, transposé en Corée. Un duo de charpentiers aux mines patibulaires mais au cœur pur (incarnés par les stars Lee Sung-min et Lee Hee-joon, de nouveau réunis, et en plein concours de grimaces) croise la route d’une bande de jeunes gens riches, beaux mais odieux (un golfeur vain, sans empathie et sa cour). Les différents personnages vont être réunis par la grâce d’une malédiction liée à Baphomet et d’une étrange chèvre noire.
Comme son modèle, le film s’amuse à citer en rafale de nombreux autres films : La Nuit des morts vivants, Evil Dead, L’Exorciste, Souviens toi l’été dernier aussi bien que Fargo ou même, dans son dernier acte, Buffy contre les Vampires. Et comme si ces références ne suffisaient pas, un chien se retrouve accoutré de divers costumes rappelant d’autres franchises horrifiques comme Chucky ou Freddy. Comme son modèle, il joue sur la connaissance de l’intertexte pour créer des situations de décalage, entre l’hommage dégradé (la patte de la chèvre jaillissant de la tombe, un tragique accident d’outil agricole qui évoque les frères Coen) et l’humour de type slapstick où dans une même scène on passe d’un gag de dessin animé à un clin d’œil à Tobe Hooper avant de finir sur une mort violente à la Sam Raimi. À ce sujet, on peut d’ailleurs remarquer que si le film est une comédie gore, il n’essaie pas du tout de rivaliser avec ses modèles quant à l’hémoglobine, on est plus proche d’un Gremlins que d’un film de zombie. La chèvre est d’ailleurs un personnage assez proche d’une créature de Joe Dante, à la fois dangereuse et parfaitement ridicule, et de plus en plus folle dans ses excès au fur et à mesure que le film avance. Le jeu d’acteur est à l’avenant avec une esthétique très drama, facilement découpable en séquences pour internet, avec des ruptures de ton, des silences brusques soulignés par un arrêt de la musique pour surjouer l’effet, des jeux de champs-contrechamps jouant sur la perspective pour passer de l’horreur à la comédie, en comptant sur le jeu excessif pour autoriser les deux lectures…
Si le film se veut avant tout un divertissement geek et grand public, on peut toutefois noter que la variation coréenne permet de jouer sur quelques éléments supplémentaires : Baphomet étant un démon occidental, certains gags se permettent de se moquer du changement de langue et de la convention qui voudrait que dans un film de genre, l’acteur étranger puisse être sans difficulté compris par tout le monde. Lee Sung-min étant un acteur reconnu, il peut se permettre de soudain jouer de façon plus profonde pour ensuite désamorcer violemment l’émotion par un contrepoint burlesque. Les jeux sur le décalage culturel sont d’ailleurs au centre de l’humour de toutes les représentations finales. On peut aussi remarquer, avec le choix des interprètes des rôles principaux que le côté ironique du titre n’est finalement justifié que par le rejet qu’ont les personnages de nantis (passablement chargés par la narration, afin qu’on prenne plaisir à les voir finir dans les pires situations), ainsi que le Javert de service, des personnages prolétaires. En effet, ceux-ci sont d’autant moins laids qu’ils sont joués par des vedettes, et que leurs ennuis viennent souvent bien plus de leur comportement excentrique et aveugle aux codes sociaux (La Famille Adams n’est pas loin) que de leur laideur supposée. Le film se permet même un arrière plan légèrement féministe avec la trajectoire de l’héroïne, d’abord chair fraîche pour l’odieuse bande du golfeur narcissique, avant de devenir héroïne entre Ash et Buffy.
Le réalisateur, son producteur Kim Won-kuk (qui en a profité pour donner une masterclass au centre culturel coréen le lendemain) et Lee Hee-joon étaient présents pour introduire le film et participer à un Q & A lors de la reprise quelque jours après, et leur enthousiasme communicatif a contribué à faire de ces séances un événement. Après ce premier film qui remplit parfaitement son cahier des charges, on attend de voir ce que nous réserve la suite de la carrière de Nam Dong-hyub, qui signe ici un début fort sympathique et un peu à part dans le paysage coréen.
Florent Dichy.
Handsome Guys de Nam Dong-hyub. Corée du Sud. 2024. Projeté au FFCP 2024.