ENTRETIEN AVEC YIM SOON-RYE POUR PETITE FORET (EN SALLES LE 03/07/2019)

Posté le 3 juillet 2019 par

Parmi les cinéastes majeurs de la Nouvelle vague coréenne ou plus exactement de sa réplique qui a explosée à l’aube du XXIème siècle, nous avons pu découvrir en France ses plus illustres représentants ou presque. Les distributeurs hexagonaux ont boudé une de ses figures essentielles, la talentueuse Yim Soon-rye. Femme cinéaste connue pour ses films indépendants, ses sujets sociaux et son regard toujours compatissant envers ses personnages marginaux, elle a ouvert la voie à toute une génération de réalisatrices coréennes. Borealia Films répare cet impair en distribuant son nouveau film Petite forêt, adapté d’un manga de Igarashi Daisuke qui nous avait ravis au dernier Festival du Film Coréen à Paris.

Votre film est une adaptation d’un manga de Igarashi Daisuke. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ?

Tout d’abord j’aime la nature, et c’était pour moi l’occasion de la filmer évoluer aux gré des quatre saisons. Je trouve que le cinéma est actuellement trop violent et je souhaitais réaliser une histoire plus douce et apaisée.

Connaissiez-vous auparavant l’œuvre du mangaka ?

Le film avait déjà été adapté au cinéma au Japon en deux parties, chacune représentant deux saisons. La première fut présentée à Séoul. Je n’étais pas présente mais un ami, qui avait entre autres produit mon précédent long métrage (NDLR : Whistle Blower sorti en 2014) a vu le film, et m’en a parlé. Je l’ai vu par mes propres moyens. Je l’ai bien aimé, mais j’étais tout de même hésitante, c’était trop japonais selon moi et je ne savais comment retranscrire cette histoire en Corée. Cependant, mon envie de faire un film à contre-courant, un film calme sur la nature m’a convaincue de m’y plonger.

Comment s’est déroulé l’adaptation du manga en film ? Et comment avez-vous traduit les éléments japonais du manga dans la Corée contemporaine ?

Concernant les plats, l’auteur du manga Igarashi Daisuke ne souhaitait changer aucun des recettes présentes dans son œuvre, pas plus qu’il ne souhaitait changer le titre du film. Je me suis dit que ce n’était pas possible de faire ainsi. J’ai donc trouvé des recettes coréennes qui correspondaient aux japonaises dans le manga. J’ai modifié un autre aspect du scénario. Dans le manga, la mère de la jeune héroïne quitte très tôt la maison familiale. Hye-won, l’héroïne, a à peine 13 ans quand sa mère l’abandonne. En Corée c’est très mal vu, du coup on a retardé son départ à la fin de ses études secondaires. En Corée, il peut être considéré comme dangereux pour une jeune femme de vivre seule à la campagne. Du coup dans l’adaptation coréenne, ses amis viennent souvent la rencontrer, elle a un chien de garde et sa tante vit à proximité. Je voulais montrer qu’il est difficile aussi pour des jeunes de survivre dans les grandes villes.

J’ai l’impression que les personnages dans vos films ont souvent du mal à trouver leur place dans la société. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce type de personnages ?

J’aime bien en effet les personnages de marginaux. Dans la société française, les personnes que l’on peut qualifier de « anormales » sont beaucoup moins discriminées socialement. En Corée en revanche, on est discriminé si on travaille moins bien à l’école, si on va dans une université moins cotée. Je m’intéresse surtout à ces personnes, somme toute normales, mais discriminées parce qu’elles ne rentrent pas dans les cases. En Corée, si vous n’êtes pas diplômé, vous n’avez pas d’argent, vous n’êtes pas soutenu par le système. En Corée, si vous êtes différent, il est très difficile de vivre, vous êtes désavantagé.

Votre film Southbound est lui aussi un remake d’un film japonais. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette culture ?

La société japonaise, vue de l’extérieur, peut paraître très monotone, mais si on regarde plus près, de personnes à personnes, on trouve beaucoup de caractères très bizarres, elle est d’une incroyable richesse. En Corée, en revanche ce n’est pas possible de vivre ainsi. C’est très différent.

On trouve d’autres points communs entre Petite forêt et Southbound. Il y a l’idée de retour sur l’île natale et de transmission des valeurs. Est-ce fortuit de votre part, et pourquoi ?

Effectivement, je ne pense pas qu’il y ai tant de ponts communs entre ces deux œuvres si ce n’est qu’elles sont toutes les deux tirées d’œuvres japonaises. Les deux m’ont été proposées par des producteurs différents. Ce n’est pas moi qui les ai découvertes. Concernant Southbound, avec ces personnages qui vivent en dehors du système, sans le gouvernement, on peut dire que ce genre de personnes n’existent quasiment pas. En revanche, au Japon on trouve plus facilement des gens qui aspirent à ce genre de vie. Je préfère raconter des histoires sur des gens ordinaires. C’est le thème qui m’inspire le plus. D’une certaine manière, je soutiens ces minorités.

Comment s’est déroulé le tournage de Petite forêt ?

Le plus important en effet était de montrer les quatre saisons distinctes de la Corée. Pour chercher l’endroit idéal avec mon équipe, nous avons cherché dans tous les petits recoins de la Corée, en commençant par la région de Gangwon (NDLR : Nord-Est de la Corée), et nous sommes descendus petit à petit parce que nous ne trouvions pas le paysage idéal. Après trois mois de recherches infructueuses, nous étions tellement désespérés. J’étais à la recherche d’une maison qui était à la fois très traditionnelle et esthétique. Un des membres de mon équipe qui était en vadrouille pour les repérages a fini par trouver une bâtisse dans la région de Gyeongsang du Nord, c’est tout en bas, à 350 km de Séoul, pas loin de la ville de Daegu dans un petit village paumé qui s’appelle Gunwi, que nous avons trouvé cette maison qui était vide et nous avons demandé au propriétaire si nous pouvions la retaper un peu et aménager l’intérieur pour le tournage. Les prise de vues se sont étalées sur 10 mois. Pour réussir à capter les quatre saisons, chaque partie devait être filmée en trois semaines. J’aurais préféré prendre plus de temps, mais nous dépendions des contrats et des budgets. La contrainte était de capter les différentes phases de chaque saison qui ne sont pas les mêmes. Le début du printemps ne ressemble pas forcément au milieu ou à la fin du printemps. Par exemple, durant l’automne, il y a la mousson, donc il faut filmer avant la cueille des rizières, puis cette période où les pommiers fleurissent. Tous ces moments sont très différents, donc il était compliqué de prendre une bonne période dans le temps de tournage et de tout boucler à temps. C’était le grand défi du film. Pareil pour la neige, il fallait être présent au meilleur moment. Il me vient à l’esprit une anecdote, durant le tournage en hiver. Il fallait que personne ne marche devant la petite cour de la maison au risque de faire des traces de pas et de faire des faux raccords, ce qui était quasi impossible. Dès que quelqu’un laissait des traces, il se faisait enguirlander par le reste de l’équipe. Une fois le tournage terminé, ce fut un grand soulagement et tout le monde l’a exprimé en allant marcher dans la fameuse cour.

Aviez-vous des consignes particulières pour représenter la nature ? Comment avez-vous collaboré avec votre directeur photo sur le travail de la lumière ?

Mon choix s’est porté sur cet opérateur, Lee Seung-hoon, parce qu’il était notamment réputé pour mettre en valeur les actrices. Il fallait que Kim Tae-ri irradie de sa beauté naturelle à l’écran. Il fallait mettre en valeur non seulement la nature mais aussi les plats que cuisine Hye-won dans le film. Cela peut paraître simple, mais au contraire, dans ces scènes, les acteurs ne sont pas à l’écran, et il fallait que l’on capte l’attention du spectateur. Je souhaitais vraiment collaborer avec un artiste capable de rendre tout cela à l’écran et je suis contente d’avoir travaillé avec lui.

Pourquoi votre choix pour l’actrice principale s’est porté sur Kim Tae-ri ?

Il s’agit d’un film où l’actrice principale est présente du début à la fin. Pour chaque saison, nous avions trois semaines de tournage, et nous avions environs 45 séquences dans le plan de tournage. Kim Tae-ri était présente sur près de la totalité de ces séquences. Elle était presque un membre à part entière de l’équipe de tournage. Mon choix pour le personnage reposait sur le fait qu’étant donné son omniprésence à l’écran, le spectateur ne devait pas se lasser en la voyant. Kim Tae-ri incarne pour moi la beauté naturelle. Quand je l’ai découverte dans le film de Park Chan-wook, Mademoiselle, j’ai vu qu’elle n’était pas refaire, comme certaines actrices coréennes. Elle incarne la beauté naturelle et elle était le choix évident pour incarner le personnage de Hye-won.

Vous êtes la 7éme femme cinéaste en Corée, vous avez ouvert la voie à de nombreuses femmes réalisatrices qui ont souvent été mises à l’honneur au FFCP. D’après vous, qu’apportent-elles de plus dans le cinéma coréen et quelle est la singularité de leur regard sur la société coréenne ?

Je ne pense pas que ce soit un cas unique en Corée, toujours est-il que j’ai plutôt l’impression que les réalisateurs en Corée ont plus l’ambition de réussir socialement et commercialement au travers de leurs films, ils cherchent plus à être aux commandes de films à grand spectacle par exemple. Les femmes réalisatrices font des films de moindre envergure, des projets sur des sujets qui nous touchent plus personnellement, et dans lesquels nous nous sentons peut-être plus à l’aise. Nous avons peut-être moins de poids commercialement, mais nous parvenons dans nos choix à apporter plus de diversité dans le cinéma coréen. Je pense notamment à la réalisatrice Lee Kyoung-mi (NDRL : ex-assistante-réalisatrice de Park Chan-wook, réalisatrice de The Truth Beneath). De l’autre côté, l’industrie du cinéma coréen actuellement ne permet pas de bien distribuer des films indépendants ou d’art et essai, cela ne s’accorde pas avec cette mouvance actuelle de films commerciaux qui envahissent les salles et ne laissent pas de place à cette diversité, et les premiers perdants sont les spectateurs. C’est bien dommage !

Que pensez-vous de l’industrie du cinéma coréen actuellement ?

Comme je viens de le dire, le cinéma coréen mise le paquet sur les gros films commerciaux au détriment de la diversité. Quand on évoquait le cinéma hongkongais il y a 20 ans, on avait l’impression qu’il y avait les 4 ou 5 mêmes acteurs qui jouaient dans tous les films. Les spectateurs ont fini par se lasser et le cinéma HK a depuis disparu. On retrouve le même schéma en Corée, on voit toujours les mêmes réalisateurs qui misent sur leurs acteurs stars. Aujourd’hui, ces derniers ne veulent plus que la responsabilité du film ne repose que sur leurs épaules donc ils cherchent à partager l’affiche avec d’autres acteurs avec qui ils ont l’habitude de tourner, des copains. Ça sent le réchauffé pour les spectateurs. Si nous ne parvenons pas à sortir de ce système de distribution et de production, le cinéma coréen va s’affaiblir. Nous avons pourtant de jeunes talents très prometteurs, et qui proposent des choses différentes mais ils n’ont pas les moyens de s’exprimer. Et s’ils parviennent à réaliser un premier long qui fait un peu parler de lui, ils sont de suite contactés par les grosses compagnies et finissent par rentrer dans le moule.

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 28/03/2019.

Traduction : Ah-ram Kim.

Remerciements : Christophe Boula et Emilie Maj de Borealia Films ainsi que toute l’équipe du FFCP

Petite forêt de Yim Soon-rye. Corée. 2018. En salles le 03/07/2019.

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