MUBI – East Palace, West Palace de Zhang Yuan

Posté le 1 juillet 2024 par

Sur MUBI, nous pouvons retrouver actuellement un film de Zhang Yuan, l’un des pionniers de la sixième génération du cinéma chinois. East Palace, West Palace, réalisé en 1996 et adapté d’une nouvelle de Wang Xiaobo, est communément admis comme étant le premier film de Chine continentale à traiter frontalement le sujet de l’homosexualité.

A Lan est écrivain. La nuit, il se rend derrière la Cité interdite pour trouver des amants. Il se fait un jour arrêter par un policier. Lors de son interrogatoire, A Lan dévoile les ressorts de sa vie, ce qui ne manquera pas de troubler le représentant de l’ordre…

En préambule, notons que l’homosexualité n’est pas légalement interdite en Chine, mais que les membres de cette communauté subissent régulièrement des pressions et des arrestations pour des motifs indirects. Quand Zhang Yuan s’associe avec l’écrivain Wang Xiaobo au scénario pour mettre en scène la nouvelle de ce dernier, il s’expose aux risques de restrictions de l’administration et du bureau de censure, comme plusieurs cinéastes chinois de la cinquième et sixième générations dans ces années 1990, décennie durant laquelle leurs films trouvent le chemin des festivals occidentaux et notamment du Festival de Cannes. Malgré les risques, donc, les années 1990 sont fécondes en termes de liberté de ton, et permettent à des films comme East Palace, West Palace d’exister et d’ouvrir la voie à d’autres productions – par exemple Fish and Elephant de Li Yu sorti en 2001, premier film chinois lesbien, qui ne connaîtra guère meilleur traitement.

East Palace, West Palace consiste pour l’essentiel en une conversation, entre A Lan et le policier, voire quasiment un monologue d’A Lan devant lequel son interrogateur se défait peu à peu de ses certitudes, y compris sur sa propre identité. Le spectateur déplace alors son attention sur ce second personnage, comme un miroir de lui-même. A Lan sort ce qu’il a sur le cœur, car il voit en ce policier, non seulement quelqu’un de séduisant, mais également un réceptacle de ses tourments. Le film permet ainsi de développer son sujet autour de la complexité d’une telle condition à l’intérieur d’une gouvernance qui rejette ces personnes sans fondements (jusqu’à l’ambiguïté légale, l’homosexualité n’étant pas interdite dans les textes). A Lan le fait avec calme et un sens certain de la poésie. La prose d’A Lan associée à un rythme de mise en scène qui éveille les sens, par la musique et le rythme tranquille (nous reconnaissons le style typique, la patine de l’image de la fin des années 1990) laisse un espace à la suavité et un érotisme atmosphérique.

East Palace, West Palace, à l’instar d’autres films chinois de l’époque tels que Frozen de Wang Xiaoshuai, regarde du côté de l’art contemporain. Non pas qu’il s’inscrive dans un vrai travail expérimental, mais son écriture revêt une forme en partie abstractive. Il existe un dispositif dans le film ; la parfaite écoute du policier face à la prose d’A Lan n’est pas une forme d’expression socio-réaliste, comme peut l’être typiquement Xiao-wu de Jia Zhang-ke dans le même courant cinématographique. Dans l’imaginaire collectif des mise en scène d’interrogatoires, l’exercice ne se réalise pas dans un lieu aussi onirique et avec un fonctionnaire aussi hébété. Le placement des deux protagonistes principaux, sur cet espace (« derrière la cité interdite », qui est l’autre titre du film et un lieu de rencontre homosexuelle notoire), à travers des déclamations lorgnant vers le théâtre, fait basculer le film du côté de la stylisation cinématographique. Il en résulte un renforcement de l’intensité des dires d’A Lan et par rebond, de l’empathie qu’on peut lui porter.

Si l’on cherchait à surinterpréter le film, lui trouver une dimension encore plus macro, on pourrait imaginer que le policier serait comme les gouvernants mis face à leurs propres contradictions, piégés devant leur victime qui leur assène la vérité sur l’être humain, et qui entreraient dans une crise de doute. Que ce soit sur cette vue ou bien dans l’angle des thématiques LGBT, East Palace, West Palace, est un film qui terrasse par sa poésie et son regard sur l’être humain, les multiples identités qui existent en lui et, surtout, sa capacité à se remettre en cause.

Maxime Bauer.

East Palace, West Palace de Zhang Yuan. Chine. 1996. Disponible sur MUBI.

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