Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre ici ses réflexions autour de Morita Yoshimitsu, à l’occasion de la rétrospective que lui consacre La Maison de la Culture du Japon à Paris du 11 mai au 7 octobre dans le cadre du cycle Les maîtres méconnus du cinéma japonais.
Réalisateur de 21 longs-métrages, Morita Yoshimitsu (1950-2011) compte parmi les membres d’un groupe de cinéastes dont une part de l’oeuvre est marquée du sceau autrefois infâme des années 80 au Japon. Comme ses contemporains Itami Juzo, Somai Shinji, et Obayashi Nobuhiro, il est lié à un film qui aura connu, faute d’une grande carrière internationale, une forme de notoriété emblématique et emphatique à l’image des excès, des débordements économiques de cette décennie. Son film Jeu de Famille serait à mettre en compagnie de Tompopo de Itami, Typhoon Club de Somai, et House de Obayashi, soit des titres qui marquèrent le début et la fin d’un regard tourné vers cette génération à situer entre celle des grands maîtres de la Nouvelle Vague Nippone et celle apparue à la fin des années 80. Oshima Nagisa et Imamura Shohei tournaient encore des films intransigeants, tandis que Kurosawa Kiyoshi, Tsukamoto Shinya, et Kitano Takeshi s’apprêtaient à prendre la relève.
La Maison de la Culture du Japon rassemble 8 films de Morita, une sélection qui rappelle un nouvel engouement pour les films japonais, de la part du public japonais ; des films qui rencontreront un immense succès sans avoir connu de distribution hors du Japon. Une tendance qui se confirmera au cours des années 90 et qui se poursuivra bien après l’an 2000. Certains titres de ce programme, dont Lost Paradise (1997) et The Black House (1999), présentés par Misawa Kazuko, épouse et productrice du réalisateur, et Oshima Michiru, compositrice de la musique de ces films, renouaient avec des formes de récits peuplés de personnages aux destins désespérés. Ils faisaient preuve d’un constat lucide, révélant les conséquences d’une nouvelle modestie économique. Lost Paradise, avec Yakusho Koji, qui au cours de la même année tenait le rôle principal dans Cure de Kurosawa, L’Anguille de Imamura, et Bounce KoGals de Masato Harada, fait le deuil d’une réussite sociale et culturelle, retraçant le limogeage d’un rédacteur en chef influent, et la traversée d’une liaison adultère passionnelle, qui valut au film une réputation quasi-sulfureuse. The Black House s’arrêtait sur la relation entre un agent d’assurance et une femme qui se demande comment l’assureur pourrait résoudre le dilemme d’une somme à verser à celle qui signerait le contrat après s’être suicidée ; un film qui lorgnait du côté de Billy Wilder et Sunset Boulevard et Double Idemnity, dans lequel on croyait pouvoir tricher la mort.
On regrettera cependant que d’autres titres de Morita ne soient pas dans la sélection. Ainsi son adaptation du roman de Banana Yoshimoto, Kitchen en 1989, année de la sortie de Violent Cop de Kitano et de Tetsuo de Tsukamoto, et sur lequel il faudrait revenir. Ou Sorekara (1985), son autre film avec Matsuda Yusaku, qui permit de découvrir un autre visage de cet acteur disparu trop tôt, ici membre d’un triangle amoureux dans lequel un homme (Matsuda) fait le choix de ne plus faire la cour à une femme lorsqu’il comprend que son meilleur ami en est également épris. Et qui, après leur mariage, découvre que le cœur y est toujours.
Il y a une dimension alambiquée aux films de Morita, à la fois dans le scénario et dans la mise en scène, qui aura empêché de faire de lui un auteur, au même titre que ces nouveaux cinéastes qui eux étaient à Cannes, Venise, et Berlin. Une nouvelle génération de chercheurs souhaite aujourd’hui la dépasser, afin de légitimer cette œuvre, rappelant notamment l’immense popularité de Morita à Hong Kong, et qui comptait Wong Kar-wai parmi ses admirateurs. Des extraits de la musique du film Sorekara sont d’ailleurs utilisés dans In the Mood for Love.
Autre titre absent, Mohou-han (2002), autre succès au box office, est une autre adaptation de roman. Film et récit mortifères de serial killer qui en inspire un autre, un copycat, sur fond de dissonances entre deux manières de penser le cinéma, comme le démontre un casting comprenant le vétéran Yamazaki Tsutomu, et Nakai Masahiro, encore membre du groupe SMAP à cette époque. L’écart est tel, perceptible dans le souffle et les regards hors-champ de Yamazaki, qu’il renvoie malgré lui au mauvais goût, à l’absurdité de Jeu de Famille, film qui avait le mérite de ne pas en être dupe. Mohou-han confirme les limites d’un système qui ne parvint pas à se réinventer, épuisé par un parcours qui voyait le cinéaste sans cesse passer d’un genre à l’autre. La critique anglo-saxonne aime dire de Morita qu’il fut un réalisateur professionnel, à l’image de ceux des concept films hollywoodiens, de Richard Fleischer à Richard Donner. Pourtant, ses films sont la démonstration de malentendus constants avec le cinéma de genre. Ils importent néanmoins en tant que nouveau chapitre d’une période sinueuse de l’histoire du cinéma japonais entrain de s’écrire.
Stephen Sarrazin.